En 1938, Orson Welles prend l’antenne sur CBS radio et lit, en direct, la Guerre des Mondes, le classique de la littérature fantastique par H.G. Wells. Ce soir-là, il s’en donne à cœur joie, la diffusion est entrecoupée de flash info et autres effets sonores.
Cette nuit du 30 octobre, certains auditeurs, affolés, croiront vraiment à l’invasion d’extraterrestres sur le sol américain. Encore célèbre aujourd’hui, ce canular radiophonique a marqué toute une génération d’auditeurs.
Si l’anecdote prête aujourd’hui à sourire, le cinéma, lui non plus, n’est pas en reste pour brouiller la frontière entre le réel et le fictif. Ceci nous amène à vous parler des Found Footage avec, tout d’abord, Le projet Blair Witch.
Quand le cinéma devient méta
Le projet Blair Witch, Daniel Myrick et Eduardo Sánchez, 1999.
“Le projet Blair Witch”, ce titre de film vous dit certainement quelque chose, et ce, même si vous ne l’avez jamais vu, tant il a révolutionné notre façon de voir un film, autrement que comme une fiction.
L’histoire nous invite à suivre trois étudiants en cinéma qui enquêtent sur de mystérieux événements survenus dans la forêt de Blair, située dans le Maryland. Nos trois compères n’en cherchent pas plus, ils sautent dans leur mystery mobile et les voili voilou, caméra sur l’épaule, à camper dans la forêt de Blair, pour réaliser leur projet de fin d’études. Le film nous plonge immédiatement dans un parti pris très étrange. La caméra est un personnage à part entière. Les acteurs s’adressent directement à elle, certains plans sont flous, hasardeux, car filmés directement par les personnages. Nous regardons en direct, les rushs, à la manière d’un reportage, la cassette retrouvée, alors que les personnages sont toujours « portés disparus ».
Il n’y a pourtant, jamais eu de sorcière à Blair, ni même aucune disparition mystérieuse. Tout est inventé de toutes pièces par les deux réalisateurs.
On rembobine, au départ une idée brillante
1993, deux étudiants en cinéma Daniel Myrick et Eduardo Sánchez passent une petite annonce dans un journal local: « jeunes réalisateurs recherchent acteurs pour tournage éprouvant ». Le scénario original ne tient que sur une page A4, les deux réalisateurs indiquaient aux acteurs les instructions sur l’histoire chaque matin du tournage.
Ils vont sans le savoir marqué l’histoire du cinéma. Ici, pas d’équipe technique, ce sont les acteurs qui se filment eux-mêmes. A cause du maigre scénario fourni, la plupart des lignes de dialogues ont été improvisées directement à l’écran, rendant les interactions entre les personnages encore plus crédibles.
Le projet Blair Witch casse un bon nombre de codes établis. Le « contrat » entre le spectateur et le film est rompu. S’agit-il d’acteurs ou alors, est-ce que ce qui est montré à l’écran est vrai ? Mais, s’il s’agit d’un film, où est l’équipe technique ? Tant de questions qui surprennent l’audience lors des premières diffusions, tout comme ce soir du 30 octobre 1938, lorsque Welles annonçait la venu d’aliens à la radio. Le cinéma nous ment constamment en nous racontant des histoires, mais si un film nous dit qu’il est vrai, comment ne pas le croire ?
La légende Blair Witch
Cette volonté de crédibilité va conduire les réalisateurs à malmener leur casting afin de les éprouver physiquement et mentalement. L’équipe reste huit jours dans la forêt avec pour seuls vivres, des maigres rations de gâteaux et barres chocolatées, dans le seul but de créer des tensions et frustrations entre les acteurs. Durant le casting, les réalisateurs insistent sur la mythologie autour de la ville de Blair et sa sorcière, si bien que, lors du tournage, les acteurs étaient convaincus du caractère hanté de la forêt. Mais tant qu’à mettre à bout ses acteurs, autant y aller à fond, non ?
C’est ce qu’ont fait Daniel et Eduardo, en secouant en pleine nuit les tentes des acteurs. Ils avaient également caché des hauts-parleurs diffusant des rires d’enfants dans la forêt. Après le clap de fin, les acteurs sont sortis épuisés de ce tournage et, selon le témoignage de l’équipe, à l’issue de la prise finale, l’actrice principale a été prise d’une crise de pleurs qui dura plusieurs heures.
Au-delà des conditions de tournages, c’est la campagne promotionnelle du film qui a grandement participé à son succès, grâce à son aspect novateur. Avant que le film ne sorte, on pouvait apercevoir des avis de recherche avec le visage des acteurs. Un faux site web a également été créé avec photographies et archives de journaux (tous faux) afin de retracer, mais surtout créer, toute cette légende autour de Blair.
A la sortie du film, la mère de l’actrice recevait des appels et des lettres des spectateurs, convaincus que les acteurs avaient réellement disparus. Avec 60 000 dollars de budget, pour 250 millions de recettes, ce projet d’étudiants a révolutionné le cinéma et ouvert la porte au genre du “found footage”.
Le vrai premier found footage
Vous pensiez qu’on avait atteint des sommets, avec ces quelques anecdotes croustillantes ? Détrompez-vous. Bien avant ça, en 1980, Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato, avait fait énormément parler de lui, dans ce genre qu’est le found footage.
Ce n’est clairement pas par son scénario, on ne peut plus basique, que le film a marqué les esprits. C’est après sa distribution qu’il a commencé à faire polémique, notamment pour les scènes d’extrême violence qu’il met en scène de façon assez crue.
Ce film est aujourd’hui l’un des plus interdits et censurés de par le monde. Pourtant, ce n’est pas les exemples de films violents et gores qui manquent sur nos écrans. A l’écran, tout le problème réside justement dans la frontière entre ce qui est réel et ce qui est fictionnel.
Bien avant Le projet Blair Witch, Cannibal Holocaust développa ce principe de “documentaire” retrouvé a posteriori.
Un réalisateur meurtrier ?
Pour les besoins du tournage, le réalisateur a isolé ses acteurs pendant un an pour que les spectateurs pensent que les événements du film étaient vrais. A la sortie du film, Deodato, a été mis en examen pour meurtre et a dû s’expliquer dans un démenti quand à la soit disant mort de ses acteurs. Il était, à l’époque, accusé d’avoir réalisé un “snuff movie” (terme désignant une vidéo ou un long-métrage mettant en scène la torture, le meurtre, le suicide ou le viol d’une ou plusieurs personnes). C’est seulement après des interventions sur de nombreux plateaux de télévision, accompagné du casting, que les charges seront levées.
Ridicule non ? Pas vraiment. Il faut savoir que les indigènes présents dans le film sont vraiment des peuples vivants en Amazonie, lieux du tournage. On vous rassure aucun cannibale n’est présent sur le tournage mais la production ne leur a absolument pas demandé l’autorisation pour les filmer et s’installer sur les lieux.
Des méthodes très douteuses
Ce qui fera basculer d’un cran le film, dans le domaine du répréhensible, est son extrême violence envers les animaux, qui sont tous de vrais êtres vivants. Ce n’est pas moins de six animaux (entre autres, une tortue, un coati ou encore un singe et un cochon) qui perdront la vie lors de ce tournage ; sacrifier et tuer dans un sacro-saint souci de réalisme. Les acteurs, n’ayant pas été prévenus des scènes de tortures et de meurtres, réalisés par leurs personnages, quitteront, en larmes, le tournage après avoir été obligés de mettre à mort ces animaux.
Déjà en 1980, où il était courant de blesser des animaux lors de tournages, ces actions avaient attiré une extrême réprobation de la part du milieu du cinéma. On comprend facilement, pourquoi il a fallu attendre Blair Witch Project, directement inspiré de cette façon de filmer, pour que le genre cartonne au box office.
Aujourd’hui, le found footage est une façon de filmer bien connue du public. Des films comme Paranormal Activity mais aussi le très bon Rec., ou encore Cloverfield, se sont inspirés du genre, caméra embarquée. Pour autant, aucun spectateur n’a cru que ces films montraient des événements réels lors de leur projection.
La fin d’un genre ?
Mais alors, est-il devenu impossible de réaliser de nouveau un found footage convainquant ? Spoiler, c’est encore possible. Il faut réinventer les codes (vous commencez à connaître le principe normalement maintenant). Cela n’aurait pas de sens de réaliser un film où le personnage retrouve une vhs, ni même un dvd ou tout autre support physique. Nos modes de consommation d’images et de vidéos ont évolué et c’est, peut-être, de ce côté qu’il faut désormais chercher pour nous faire douter sur le vrai et le faux. Voici donc deux films qui réinventent le genre du found footage.
– Gonjiam: haunted asylum, Jeong Beom-sik, 2018
La réalisation s’approprie très bien les codes de la vidéo youtube, filmée caméra à l’épaule, comme dans Le projet Blair Witch, mais il y a aussi le retour du plan face caméra Gopro des acteurs. Le tout possède un côté familier et réaliste, qui marche très bien. Dans ce genre de vidéos “chasse au fantôme”, sur Youtube, on se demande toujours ce qui relève du vrai ou de la mise en scène. Et qui n’est pas friand.e de petit documentaire sur des lieux hantés ?
– Unfriend Dark Web, Stephen Susco, 2018
La réalisation est extrêmement immersive, les acteurs se parlent par webcam et messagerie instantanée. On navigue sur l’ordinateur et ses fichiers, aux cotés du personnage principal.
À regarder sur son ordinateur portable pour encore plus d’immersion, ou pas, pour les plus flippés.ées d’entre nous !
D’un essai totalement gore, à un coup de maître qui révolutionna notre approche du réel face à un écran de cinéma, les codes du found footage composent aujourd’hui le lexique du cinéma. Le genre comporte encore quelques belles pépites à découvrir et à réaliser !
On se retrouve le mois prochain, pour parler d’un film de Noël. Un indice, il ne faut pas l’exposer à la lumière, ni le mouiller et surtout pas le nourrir après minuit.
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