Deux oreilles pointues, une fourrure blanche doublée d’un pelage de bourre, des pattes habituées à la neige du grand nord canadien, et un regard planté dans le vôtre. Une rencontre. Comment décrire avec des mots cette photographie prise par quelqu’un qui s’en passe allègrement, au profit du silence des heures passées dans ces contrées froides, à espérer cette rencontre ? Une image sur papier glacé pour nous, un souvenir gelé que l’on imagine encore présent pour lui.
Expédition en Hautes Latitudes
Moins 45 degrés, c’est la température qu’il fait ce jour là, huitième d’une expédition sur l’Ile d’Ellesmere, au nord ouest du Canada. C’est l’année 2013. À ce moment, Vincent Munier, photographe, vient de bouger, de danser comme souvent dans ce genre de situation, pour essayer de se réchauffer avant de se mettre dans son duvet.
Des expéditions comme celle-ci, à chercher le loup arctique, il en a vécu déjà plusieurs, seul ou accompagné de son père, lui-même passionné de nature sauvage. N’en sont restées que des empreintes de pattes, porteuses d’espoir et déjà magiques pour celui qui se plaît à imaginer ces rencontres avec le sauvage, les rêvant avant que peut-être, seulement peut-être, elles se produisent. À ces latitudes, les conditions sont difficiles, demandent des mois d’entrainement, une parfaite connaissance de son corps, de l’environnement, de son matériel. Chaque détail compte.
La fin de journée arrive, la lumière jaune magnifie le paysage. Comme d’habitude, un dernier coup d’œil dans les jumelles avant d’aller se reposer un peu. Et là, est-ce une hallucination due au froid ? Non. Ce sont bien eux. 9 loups arctiques s’approchent en ligne. Ils sont de plus en plus distincts à mesure qu’ils avancent. On ne peut qu’imaginer l’émotion vécue à ce moment-là par Vincent Munier. Il s’apprête à vivre cette rencontre qu’il attend depuis longtemps. Ils arrivent, Vincent est à plat ventre pour les photographier. Ils sont maintenant là, autour de lui.
Les plus aguerris de la meute restent un peu au loin à l’observer quand les jeunes s’approchent, allant jusqu’à tirer sur les fils de son traîneau ou même mordiller le bas de son pantalon. Alors le photographe se met debout, révélant sa position verticale d’Homme, que n’ont peut-être jamais vu les loups, dans cette région située à plus de 400 kms du dernier village inuit. On imagine de la curiosité. Vincent Munier savait qu’il les cherchait, ce sont eux qui l’ont trouvé. Cette rencontre, les yeux dans les yeux, durera environ une heure, pour quelques 2 000 à 3 000 photos.
Rencontre curieuse
Sont-ils venus par curiosité ? Sont-ils venus par faim, pensant apercevoir au loin un bœuf musqué ou autre proie au lieu de la tente et du matériel de Vincent ? Tout est envisageable. Le photographe n’est pas blessé, ni affaibli, les loups le savent bien, sinon peut-être auraient ils « fait leur métier de loup » comme l’explique le photographe.
Souhaitant prolonger un peu le moment, il va les suivre sur quelques kilomètres et simule de boîter, ils feront demi-tour pour revenir vers lui directement. Restent de cette rencontre hors du temps, hors de tout, des photos, des images, et on imagine des souvenirs indescriptibles pour cet amoureux du sauvage.
Chanceux aussi, puisqu’après la visite de cette meute, et 2 jours avant d’être récupéré par un avion (qui met 6 jours à arriver), il verra revenir autour de sa tente un loup arctique isolé. L’occasion de nouvelles photos et de nouveaux souvenirs, proche de cet animal que peu d’Hommes ont pu observer.
« Amarok » en Inuit, le loup arctique est également surnommé le Fantôme de la Toundra. Il peut se déplacer sur de grandes distances, chassant le bœuf musqué, le renne ou le caribou, mais aussi les lièvres ou les oiseaux si les premières proies manquent ou s’il n’est pas en meute. Sans autre prédateur naturel que l’Homme, les loups arctiques permettent une régulation des populations d’herbivores qui menaceraient le bon équilibre végétal s’ils étaient trop nombreux. Aussi et surtout, en s’attaquant préférentiellement aux proies affaiblies ou malades, ils contribuent à maintenir un environnement sain.
Une approche de la photographie À pas de…loup
Vincent Munier explique qu’il n’a pas eu peur, et pourtant, on a peine à se figurer ce que l’on ressentirait au milieu de 9 loups dans la toundra. On ne peut qu’imaginer, et c’est ce que fait Vincent Munier, beaucoup, en rêvant de ces rencontres avec le sauvage.
Son premier matériel, ce sont ses jumelles, avant même l’appareil photo. Il aime avant tout être dehors, observer silencieusement, se faire discret, ne pas déranger, surtout ne pas déranger. Et là seulement, photographier, sans chercher la technique, sans chercher la netteté absolue, mais en essayant de traduire l’émotion qu’il vit lui à ce moment-là et tenter de nous laisser à nous, spectateurs, l’opportunité de ressentir, de nous raconter notre propre histoire, de laisser parler notre imagination.
Cette manière d’approcher la nature, il la tient en partie de son père, passionné et avant-gardiste dans la défense de ce sauvage. Lui-même a passé au cours de sa vie des centaines de nuits à observer le Grand Tétras, gallinacé vivant dans les forêt de conifères. Dans leurs Vosges natales, ils allaient dehors, dans la forêt, passaient du temps à regarder.
Un jour, du haut de ses 12 ans, Vincent Munier a demandé à son père de le laisser seul dans un affût. Muni d’un vieil appareil photo, il a attendu, écouté les bruits de la forêt qui peuvent être si impressionnants la nuit. Puis il a entendu des bruits de sabots à côté de sa cachette. C’était un petit chevreuil, une photo floue pour une première rencontre déterminante, qui marquera le début d’une passion qui deviendra une carrière professionnelle, mondialement reconnue.
Du nom d’un documentaire qui lui est consacré, cet « Eternel Emerveillé » nous invite à regarder, à partager un peu de ces rencontres, même si c’est, pour nous, sur papier glacé. Profitons d’être au chaud pour imaginer, imaginer la vie de ces loups, le froid, le vent, le quotidien de ces animaux qui ne se doutent pas qu’au même moment, ils font rêver des humains verticaux, et c’est très bien comme ça.
Retrouvez le travail de Vincent Munier :
Pour écouter l’épisode du podcast Vie d’Aventure qui lui est dédié, c’est ICI
Pour regarder l’entretien avec 30 degrés magazine : partie 1 – partie 2
Pour en savoir plus sur le loup arctique, c’est ICI
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