Papicha : le film qui montre la résistance des femmes face à la haine

Sorti en 2019 et projeté au festival de Cannes, Papicha est le premier long-métrage de Mounia Meddour. Le film, bien accueilli par la critique, illustre l’Algérie des années 90, aussi appelée « décennie noire ». C’était une période où le pays subissait une guerre civile pendant laquelle les islamistes extrémistes ont tenté d’imposer la charia islamique. Il obtient notamment le César du meilleur film pour 2020, ainsi que celui du meilleur espoir féminin pour l’actrice Lyna Khoudri

En réalisant Papicha, la réalisatrice franco-algérienne Mounia Meddour explique dans une interview à France 24 qu’elle a voulu rendre hommage à son père, lui-même réalisateur ayant été forcé de s’exiler en France après avoir été menacé par les islamistes extrémistes.

Trailer du film Papicha, réalisée par Mounia Meddour

Le contexte du film

Nedjma, interprétée par Lyna Khoudri, est étudiante en licence de français à Alger et a pour ambition de devenir styliste. Avec son amie Wassila, elle sort régulièrement de sa cité universitaire pour aller en boîte de nuit. Le personnage de Wassila est notamment joué par Shirine Boutella, qui est récemment apparue dans Lupin aux côtés d’Omar Sy. 

Le film commence par une scène en pleine nuit. Les deux filles murmurent entre elles alors qu’elles font le mur. L’appel à la prière, en arabe, se fait entendre. La scène suivante, qui montre un barrage de policiers armés jusqu’aux dents, dévoile le contexte du scénario. Le pays traverse une situation difficile et instable, où le danger est présent. Ces premiers éléments permettent de plonger le spectateur dans l’ambiance du film. On peut ressentir une certaine peur et de l’insécurité pendant cette scène. 

Le film critique beaucoup la manipulation de la religion à des fins personnelles, et montre plusieurs aspects de la société algérienne. Il est d’ailleurs en « français algérien », des phrases mêlant des mots en français et en arabe. Les chants en arabe et les hammams sont également présents dans la société algérienne. L’idée d’évasion est très répétitive tout au long du long-métrage. Par exemple, on insiste sur le fait que la jeunesse souhaite quitter le pays : le personnage de Kahina qui veut aller manifester à côté de l’ambassade du Canada après un énième refus de visa, ou même des blagues de certains personnages « l’Algérie, c’est une grande salle d’attente ». 

La montée de l’islamisme

La tension se sent très rapidement et monte tout au long du film. Les attentats sont de plus en plus fréquents à Alger, les moyens de communication comme la radio le rappellent en boucle. Des affiches illustrant le jilbab noir, « la tenue de la femme musulmane », sont collées dans le campus. Finalement, Nedjma assiste à l’interruption de son cours par des femmes islamistes qui tentent de kidnapper son professeur. Elles l’accusent de parler dans une langue autre que l’arabe, la langue du coran, le livre de Dieu.

Interruption du cours

Mais c’est lorsque la sœur de Nedjma, Linda, qui est journaliste, se fait tuer devant elle par une terroriste qu’elle explose. Effondrée, elle se remémore pendant le lavage du corps de sa soeur qu’on lui avait offert un haik juste avant son assassinat. Elle l’avait sur les épaules au moment de sa mort, et avait suggéré à Nedjma, en plaisantant, de faire un défilé et de s’inspirer d’elle en tant que Muse. Nedjma réalise ce « vœu ». Pour elle, c’est d’autant plus une façon de résister contre la pression exercée par les extrémistes, en manifestant de l’indifférence à leur égard.

La mort de Linda en arrière plan

Le haïk est un habit traditionnel maghrébin, porté par les femmes. En Algérie, il est fait de tissus blancs. Symbole de pureté, il est également un signe important de la lutte des femmes pendant la guerre d’Algérie. Pendant la colonisation française, les femmes algériennes cachaient des fusils dans leurs haïks, qu’elles passaient ensuite aux hommes afin de soutenir la résistance algérienne.  

Pour les droits des femmes

Le film prend position en faveur de l’émancipation de la femme, notamment en combattant l’idée d’une norme imposée aux femmes, surtout dans les pays du Maghreb. Nedjma et le reste de ses amies ne sont pas conformes à ce que la société algérienne, conservatrice et musulmane, attend d’elles : s’habiller court, aller en boîte de nuit ou même fumer sont l’opposé du comportement estimé approprié pour une femme algérienne.

Cette pression se manifeste beaucoup dans le film, au travers de nombreux dialogues entre les personnages : « Moi, je pense qu’une bonne musulmane reste à la maison à prier Dieu » ; « si vous vous habilliez mieux, vous auriez moins de problèmes ». Le harcèlement de rue auquel sont confrontées les algériennes, les relations amoureuses hors-mariage, le patriarcat (illustré par l’évocation du mariage forcé d’une des amies de Nedjma, Samira : Elle dit que l’accès à l’université ne lui sera plus permis une fois qu’elle sera mariée à l’homme que son frère aura choisi) peignent le tableau d’une société où la femme jouit de très peu de libertés. 

Les violences conjugales et sexuelles, très taboues en Algérie, sont également abordées : Wassila écope d’un œil au beurre noir après que son petit-ami ait appris qu’elle participerait au défilé, et Nedjma échappe de justesse à un viol. Ce à quoi on dit encore « les filles de bonnes familles ne traînent pas tard le soir ». 

Dénouement

Nedjma voit le pays dans lequel elle a grandi se métamorphoser. Le magasin où elle achetait ses tissus pour confectionner ses robes s’est transformé en magasin de vente de hijabs. Alors qu’elle réussit à réaliser son défilé contre vents et marées, des terroristes infiltrent la cité ; Un bain de sang en résulte, et Kahina décède sur le coup. Nedjma n’échappe que de très peu à la mort.

La sortie du film coïncide avec une des journées du « Hirak », les manifestations en Algérie contre le 5e mandat du président Abdel Aziz Bouteflika. La sortie du film en Algérie, prévue pour le 21 septembre 2019, date choisie par la réalisatrice pour soutenir les manifestants, est interdite. Encore plus frustrant, aucune raison officielle n’a été communiquée : serait-ce lié à la situation en Algérie ? Serait-ce pour protéger les actrices ? Tant bien même, elles se demandent « pourquoi les Algériens ne peuvent pas voir un film qui parle d’eux ? ».

En espérant que cet article vous aura plu, on se retrouve bientôt. Pour plus d’informations sur la décennie noire, je vous ai concocté quelques articles :

À plus, mes puces !


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