Une histoire, c’est avant tout une idée, un détail ou une image qui s’immisce dans la tête de l’auteur. Cette idée sera le point de départ de l’histoire qui subira beaucoup de variations et de péripéties. Mais alors, cette idée fera t-elle une histoire unique ? Quand deux histoires se ressemblent de près ou de loin, doit on obligatoirement hurler au plagiat ?
Santa Claus vs les Casseurs Flotteurs
3615 code Père Noël est un film français sorti le 17 janvier 1990, réalisé et écrit par René Manzor. On y suit l’histoire de Thomas, 9 ans, véritable geek informatique et fan de cinéma d’action américain. Le soir de Noël, alors que sa mère travaille, Thomas décide de rester éveillé et de truffer tout le manoir familial de caméras de surveillance afin de capturer le Père Noël. Malheureusement, ce n’est pas ce bon vieux Santa Claus qui lui rendra visite, mais un psychopathe déguisé en Père Noël. Thomas va alors combattre cet ogre sanguinaire armé de ses jouets et en semant toutes sortes de pièges dans sa maison.
Dix mois plus tard, sort sur les écrans américains, Home Alone (Maman, j’ai raté l’avion ! en France) réalisé par Chris Columbus et écrit par John Hughes. Le film retrace l’histoire de Kevin, jeune garçon débrouillard, oublié chez lui, par sa famille, pendant les vacances de Noël. Quand deux cambrioleurs loufoques tentent de s’introduire chez lui, il décide de défendre sa maison en y installant plusieurs pièges tout aussi fous les uns que les autres.
Un bug dans la matrice
Comme vous l’avez sans doute remarqué, les deux films ont beaucoup de points communs dans leur pitch de base. Un enfant doit combattre seul, un ennemi envahissant prêt à tout pour l’attraper. Cependant, si le fond est le même, c’est dans leurs formes qu’ils diffèrent. Là où Maman, j’ai raté l’avion joue la carte de la comédie familiale burlesque, 3615 code Père Noël, s’apparente plus à un survival trash et psychologiquement violent.
Pour René Manzor, Maman, j’ai raté l’avion ! est une sorte de copie, non assumée et édulcorée, de 3615 code Père Noël. Et pour lui, pas de doute là dessus, son idée a bel et bien était volée.
“Lors du marché du film à Cannes, en mai 1989, où 3615 était projeté, une productrice américaine m’a approché pour en faire un remake […] mais un événement a contrarié la vente : en novembre 1990 sortait Home Alone. À Hollywood, personne n’était dupe, et quand je rencontrais les dirigeants des studios, ils appelaient le film de Columbus “the screwball version of Père Noel” (la version burlesque de 3615)” .
René Manzor, L’Ecran Fantastique, Février 2015
Pour John Hughes, l’idée de son scénario de Maman, j’ai raté l’avion lui serait venu durant le tournage d’une scène du film Uncle Buck. Dans celle-ci, un enfant, interprété par Macaulay Culkin, observe par le trou de la boîte aux lettres de la porte d’entrée et pense apercevoir des inconnus s’approcher.
Quoi qu’il en soit, René Manzor garde un sentiment assez mitigé de cette expérience. En effet, même s’il juge que son concept lui a été volé, il lui a également ouvert des portes aux Etats-Unis. La plus prestigieuse étant ni plus ni moins que celle du bureau de Steven Spielberg et Georges Lucas qui lui ont confié la réalisation de deux épisodes de la série télévisée Young Indiana Jones. En effet, Spielberg et ses enfants auraient adoré 3615 code Père Noël. C’est ce qu’on appelle tout simplement, la grande classe.
Bien que le film de René Manzor soit sorti le premier, il est complètement passé inaperçu, malgré l’ouverture du Festival International du Film Fantastique d’Avoriaz, en 1990. L’histoire retiendra le succès phénoménal de Maman, j’ai raté l’avion qui reste aujourd’hui LE film culte de Noël. Mais la question que l’on peut se poser est : vrai plagiat ou simple coïncidence ?
L’art et le plagiat
Bien que la notion de plagiat puisse s’appliquer dans différents domaines comme la science, la littérature, la musique, ou encore le stand-up (copy comic), penchons-nous plus spécifiquement sur le cas du cinéma.
Tout d’abord, qu’est-ce qu’un plagiat ? Selon l’article L122-4 du Code de la propriété intellectuelle, le plagiat ou contrefaçon, correspond à “ toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit (…) il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque”.
Le plagiat reste tout de même très compliqué à démontrer. D’ailleurs, la plupart des nombreuses accusations de plagiat dans l’industrie cinématographique n’ont que très rarement eu gain de cause. Certaines se sont soldées par un arrangement à l’amiable alors que d’autres petits scénaristes continuent de revendiquer, en vain, la paternité de leurs histoires face aux géants studios hollywoodiens.
Dans le cas de 3615 code Père Noël et Maman, j’ai raté l’avion peut-on vraiment parler de plagiat ?
Malgré un concept similaire, il y a cependant de nombreuses différences. Par exemple, Thomas, en plus d’être accompagné de son chien, doit également prendre soin de son grand-père, en le cachant à divers endroits de la maison. Quant à Kevin, il est seul chez lui face aux casseurs flotteurs. Ce genre de détail montre tout simplement qu’un concept peut être réutilisé tout en étant modifié. Or, un concept ou une idée n’est, aux yeux de la loi française, pas soumis à la notion de plagiat ou de contrefaçon. Seules les œuvres originales et abouties sont concernées selon le code de la propriété intellectuelle.
Plagiat vs parodie vs pastiche
Mais alors, si un concept, ou une idée, n’est pas soumis au plagiat, quand est-il des versions parodiques de films ayant connu un succès en salle ?
Et bien, c’est encore différent. La parodie est une exception en droit d’auteur, fondée sur la liberté d’expression. Elle consiste à reprendre le cadre, les personnages et le fonctionnement d’une œuvre mais dans le but de provoquer le rire par la raillerie ou la moquerie (article L122-5 du code propriété intellectuelle) . Pour ce faire, le réalisateur utilisera une profusion de gags absurdes ou d’exagérations visuelles comiques.
Les exemples les plus connus sont les films de la franchise Scary Movie ou encore les productions Z.A.Z (Zucker Abraham Zucker) comme Y a-t-il un pilote dans l’avion ? En France, ce sont Les Nuls qui ont, avec La cité de la peur, importé ce style de comédie absurde, aux références anglo-saxonnes. Ils détournent, entre autres, le film d’horreur Evil Dead de Sam Raimi en le renommant Red is Dead, dans lequel un tueur en série communiste tue ses victimes armé d’un marteau et d’une faucille…Tout un programme donc.
Pour ce qui est du pastiche, il s’agit plus d’imiter le style d’un auteur ou d’un genre. Il est plus ici question d’hommage, mais toujours sous un ton humoristique. L’histoire est originale, c’est la façon de la raconter et de la mettre en scène qui est prise en compte. Pour ce faire le réalisateur s’inspire avant tout des codes visuels (angles de caméra, effets spéciaux) ou techniques (éclairages, montage), d’autres œuvres ou d’autres artistes.
C’est ce que réussit brillamment à faire le réalisateur Edgar Wright avec sa trilogie Cornetto. Comme le vend son affiche officielle, Shaun of the dead est une comédie romantique avec des zombies. Le second film, Hot Fuzz, n’est ni plus ni moins que Bad Boys à la campagne. Quant au dernier opus, The World’s end, il peut être vu comme un Very Bad Trip en pleine invasion extraterrestre. En résumé, le pastiche et un détournement des codes narratifs d’un genre, dans le but de faire rire.
D’où viennent les idées ?
Et si, dans un parfait alignement des planètes, René Manzor et John Hugues auraient été frappés par la même idée, au même moment, à deux point opposés du monde ? Après tout, les coïncidences existent bien.
D’un point de vue plus philosophique, il existe un concept appelé la Noosphère. Ce dernier, développé par Vladimir Vernadsky et Pierre Teilhard de Chardin, dans les années 20, désignerait une sorte de couche d’idées dans laquelle nos esprits iraient piocher l’inspiration ; Comme une couche d’atmosphère spirituelle représentant l’Esprit humain global.
“Selon cette hypothèse, un peintre, un musicien, un inventeur ou un romancier ne seraient donc que cela : des récepteurs radio capables d’aller avec leur cerveau droit puiser dans l’inconscient collectif puis de laisser communiquer hémisphères droit et gauche suffisamment librement pour qu’ils parviennent à mettre en œuvre ces concepts qui traînent dans la Noosphère à la disposition de tous”.
Bernard Werber, L’encyclopédie du savoir relatif et absolu, 1993
Dans le même esprit, l’écrivaine Elizabeth Gilbert explique, dans son livre Comme par magie, sorti en 2016, une autre théorie. Selon elle, les idées sont comme des énergies qui voyagent au-dessus de nos têtes, à la recherche d’hôtes pour être réalisées. Il arrive parfois que l’idée se divise et choisisse plusieurs hôtes simultanément afin de mettre toutes les chances de son côté de se réaliser.
Tout cela pourrait expliquer comment des inventions comme l’imprimerie, la poudre à canon ou encore 3615 Code Père Noël et Maman, j’ai raté l’avion apparaissent en même temps à des endroits très différents.
De la suite dans les idées ?
À notre époque, où règnent sur les écrans, des franchises faites de suites, remakes, reboots et autres adaptations, il est intéressant de remarquer que les idées neuves se font de plus en plus rares. Qu’elle soit bonne ou mauvaise, la propriété d’une idée reste un concept flou et impalpable. Pour certains, une idée n’appartient à personne et pour d’autres, une idée appartient à tout le monde.
Le Cerf volant vous invite donc, à découvrir, ou redécouvrir, 3615 Code Père Noël. Véritable ovni dans le paysage cinématographique français, c’est un film de genre très stylisé, qui n’a rien à envier aux productions Amblin des années 80/90. Si des films comme Les Goonies ou encore Gremlins vous ont plu, il y a de forte chance que vous apprécierez 3615 Code Père Noël. Aujourd’hui, le film connait une véritable résurrection. En 2017, une nouvelle sortie DVD/ BluRay, en édition limitée, à vue le jour et, dans la foulée, le film à fait la tournée des festivals de films fantastiques des Etats-Unis, où il à reçu un accueil plus que chaleureux.
Quant à Maman, j’ai raté l’avion, il restera la madeleine de toute une génération. Le Cerf volant adore le regarder avec une nostalgie douce amère et retrouver le fantôme des Noëls passés, emmitouflé dans une couverture, à la lueur de quelques bougies et des guirlandes du sapin, le tout réchauffé par une bonne tasse de chocolat chaud relevé de quelques gouttes de liqueur… Quoi ? Vous faites pas ça vous ?
Pour aller plus loin :
Recette chocolat chaud aux épices de Noël
De le biosphère à la Noosphère, par Gérard Donnadieu
Entretien avec René Manzor, l’Ecran Fantastique
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