Rebelle mais pas trop, mainstream ou contre-courant ?

Quelle joie que de voir un tel engouement autour d’œuvres qui nous font faire un pas de côté, qui nous regardent de travers. Grâce au soutien du Centre Pompidou à Paris, le Tripostal à Lille a présenté, du 26 avril au 9 novembre 2025, l’exposition Pom Pom Pidou. Un parcours sur 3 niveaux qui prend la forme d’un musée des avant-gardes. Avec quelques accents de laboratoire, elle compile les tentatives qui bousculent les conventions d’hier et d’aujourd’hui.

Un sujet à contresens

Nous vivons dans une époque formidable, où il est permis de valoriser allègrement la liberté d’expression, la pluralité des points de vue, les perspectives multi-focales. Il faut bien admettre que cette exposition, en plus d’être généreuse, mérite d’être applaudie dans sa démarche de faire découvrir les contresens qui font date dans l’histoire de l’art. En somme, c’est une exposition qui met un point d’honneur à la notion de transgression, qui veut briser les limites. Un truc de rebelle quoi.

Une exposition haute en couleurs : plus on monte et plus grande la découverte est. Particulièrement lorsque l’on voit pour la premières fois des œuvres que nous voyons d’ordinaire à travers un écran ou imprimées sur une page.

L’affiche officielle de l’exposition Pom Pom Pidou, Tripostal, Lille, portée par Lille3000 et le Centre Pompidou, Paris.

L’exposition était au Tripostal, un équipement culturel financé majoritairement par la ville de Lille, qui agit en collaboration avec un centre culturel parisien internationalement connu, dans un espace rassemblant des milliers de visiteurs, au sein d’un territoire au carrefour de l’Europe. Alors…

De quoi la transgression est-elle le nom ? 

La transgression se définit par rapport à une loi, un ordre, un système de valeur qui fait référence et qu’elle remet en question. Bien, mais que reste-il d’un acte transgressif, si celui-ci est absorbé par les institutions qu’il est censé renverser ? Par exemple, à travers l’exposition Pom Pom Pidou, l’acte transgressif semble être présenté comme le fil rouge d’un récit officiel. Il est présenté comme le moteur d’un progrès, inévitable et vertueux. De marginal à une nouvelle norme, l’acte transgressif change de visage lorsqu’il est reconnu comme tel. Ce qui à plusieurs effets.

D’une part, l’apparition d’un paradoxe : plus on valorise l’acte transgressif, moins il a d’impact. Ce qui mène inexorablement à une escalade vers une transgression toujours plus forte. Un phénomène que l’on retrouve sur les réseaux sociaux sous la forme du “buzz” par exemple.

Extrait photo de la performance de l’artiste Rilès pour la promo de son dernier album. Acte transgressif, subversif ou simple marketing ?

D’autre part, cette mise en scène de la transgression par une institution étouffe le véritable impact qu’elle devrait avoir. C’est un véritable coup de force. Derrière la mise en place d’une telle exposition, il y a un changement de trajectoire, un renversement sémantique. L’institution qui accueille ses rebelles favoris tente de faire confondre transgression et subversion. La frontière est fine, mais fondamentale. L’acte transgressif remet en question le système de valeur en place, l’acte subversif le renverse. De ce fait, ce dernier peut représenter une menace. L’institution a donc tout intérêt, au moins par réflexe de survie, de favoriser cette confusion, de la manipuler à son escient.

Tout l’enjeu est donc de faire passer un acte subversif pour un acte transgressif, dans le but de mieux le maîtriser. Dans le cadre d’une exposition, il s’agit moins de mettre la main sur les belles et multiples représentations de la société que sur ceux qui en sont les auteurs. L’artiste peut déranger, beaucoup moins s’il est dépendant des moyens et des structures qui donneront de l’ampleur à son propos.

Quels effets à cette confusion ?

Il y en a deux.

Le premier est bénéfique à l’institution car, derrière sa stratégie de confusion, elle se rend inoffensive et inattaquable en prétendant accueillir en son sein les nouvelles formes d’expressions pour mieux les relayer. Difficile de ne pas être d’accord avec ce type de démarche. Cette confusion les fait changer de bords, celui de gentils.

Le second est problématique pour l’artiste car, bien avant la formulation de leur critique, le socle commun de tout mouvement subversif nait de sa profonde indépendance vis-à-vis de ce qu’il vise à renverser. S’il ne prête pas allégeance aux institutions, il connaitra autant de difficulté à faire connaitre son propos faute de moyens. Autrement dit, il perd l’opportunité de trouver les supports de communication et de diffusion d’ampleur, et se condamne à la voix souterraine, à crier dans un violon.

Une exposition comme Pom Pom Pidou, va plus loin encore lorsqu’elle invite à son dernier étage des artistes contemporain confirmés et émergents. En effet, il s’agit ici de déterminer soi-même les futurs rebelles qui intègreront progressivement la culture officielle. Derrière les apparats immaculés de sa trop grande bonté, l’institution anticipe le problème pour mieux le supprimer, le faire sien. Votre ennemi est plus fort que vous ? Faites en un ami.

Qu’elle est vive la tentation d’adopter les codes et les conditions des grandes institutions dans l’espoir de porter sa voix par de-là les oreilles des convaincus. Mais à trop s’en approcher, on s’y brûle, le mainstream aura tes plumes.

N’est-ce pas là le destin funèbre de tout acte subversif qui rencontre son succès ? Souvenons-nous de Vice Media. Lancé comme un magazine punk provocateur en 1994 à Montréal. Vice est devenu par la suite un empire médiatique global. Son passage au mainstream a entraîné des accusations de dilution éditoriale et de compromission avec les grandes marques et investisseurs, notamment depuis son rachat par Fortress Investment Group en 2023.

Malgré tout, s’il s’avère difficile de faire connaitre son propos en dehors des circuits officiels, il existe d’autres formes de réseaux alternatifs, notamment grâce à celui de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS). Sa mission est, entres autres, celle de connecter les porteurs de projets de la région entres eux. Il rassemble, fait connaître, défend et valorise les acteurs de la vie associative, tout en veillant à préserver leur authenticité. Un bon moyen de favoriser l’entraide et de garder son indépendance.


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