La nation arc-en-ciel

Si le militantisme homosexuel existe depuis la fin du XIXe siècle, il peine à faire entendre ses revendications dans la société d’après guerre. Il faudra attendre la révolution sexuelle et le soulèvement de Stonewall pour que la communauté gay s’unisse, amenant à l’organisation de la première gay pride et à la création du drapeau arc-en-ciel.

1969 : l’émergence d’une lutte

Dans les années 60, la société occidentale est secouée par différents mouvements sociaux. Des communautés jusqu’alors divisées s’unissent afin de dénoncer les discriminations dont elles sont victimes (le mouvement des droits civiques aux USA, le MLF en France, l’égalité des salaires en Angleterre …).

Particulièrement discriminée et marginalisée, la communauté gay se tient pourtant en retrait. Si les organisations de lutte pour les droits LGBT existent, elles piétinent et peinent à attirer l’attention. Il faut dire que l’omerta qui plane sur la communauté gay n’arrange pas les choses. Avant d’oser être visible, il faudrait déjà briser le tabou qui oppresse ses membres.

Ce statut quo pris subitement fin dans la nuit du 28 juin 1969 suite à un énième raid dans le bar gay clandestin, le Stonewall Inn, à New York. Alors que les policiers procédaient aux interpellations habituelles (avec toute la grâce et la délicatesse dont ils témoignaient déjà à l’époque…), la clientèle décida de riposter. En quelques heures, ce sont près de 600 personnes qui se réunirent, matraquant les forces de l’ordre et demandant la légalisation des bars gay. Les émeutes se poursuivirent les jours suivants, précipitant le mouvement des droits LGBT vers une nouvelle ère.

Stonewall Inn, un bar gay sur Christopher Street dans le Greenwich Village de Manhattan. Cette photo a été prise lors du week-end de la fierté en 2016, le lendemain de l’annonce par le président Obama de la création du monument national de Stonewall et moins de deux semaines après la fusillade dans la discothèque Pulse à Orlando. Photo : Rhododendrites

L’intensité des affrontements déclenchèrent une vague d’indignation sans précédent au sein de la communauté gay. Le nombre d’organisations militantes se multiplièrent et leurs actions reçurent une attention médiatique accrue.

Stonewall devint le symbole de la résistance homosexuelle. À tel point qu’en juin 1970, des marches commémoratives furent organisées dans les principales villes des États-Unis. Cette première marche en faveur des droits LGBT rassembla plusieurs milliers de personnes qui, pour la première fois, osaient revendiquer fièrement leur identité. Le tabou venait de voler en éclat.

Un symbole inclusif

Une fois la communauté gay sur la voie de l’émancipation, il lui faut désormais un étendard sous lequel se rassembler.

C’est suite à la demande d’Harvey Milk, premier homme politique ouvertement homosexuel, que Gilbert Baker décida de se lancer dans la confection de ce qui aller devenir l’emblème de la communauté LGBT à travers le monde. L’ancien marine passionné de couture dit s’être inspiré des différents mouvements « peace and love » de l’époque afin de créer un motif représentant les valeurs d’inclusion, de respect et de diversité qui définissent le mouvement LGBT.

« Nous avions besoin d’un symbole qui exprime notre joie, notre beauté et notre pouvoir. Et l’arc-en-ciel a su représenter tout cela. »

Gilbert Baker

Comprenant 8 lignes horizontales, le drapeau arc-en-ciel fit sa première apparition à la gay pride de San Francisco en 1978, soit 5 mois avant l’assassinat d’Harvey Milk. Après plusieurs ajustements, c’est finalement le drapeau à 6 bandes, moins couteux à produire, qui sera définitivement adopté en 1979.

Drapeau d’origine (8 bandes) et drapeau définitif (6 bandes)

D’abord principalement utilisé à San Francisco, le drapeau arc-en-ciel va, au fur et à mesure, se retrouver dans les différents quartiers gay à travers le monde et les monuments publiques revêtent occasionnellement ses couleurs.

Entre 2004 et 2017, il est même devenu l’étendard officiel d’une nation, le Royaume Gay et Lesbien des îles de la mer de corail. Située sur l’île inhabitée de Cato Reef, au large de l’Australie, cette patrie symbolique fut créé afin de contester l’interdiction du mariage gay chez son imposant voisin.

Si elles sont devenues un symbole d’émancipation et de fierté pour certains, les couleurs arc-en-ciel sont désormais traquées et interdites dans plusieurs pays conservateurs. En Arabie Saoudite par exemple, s’habiller avec des couleurs arc-en-ciel est rigoureusement interdit car coupable de promouvoir « des comportements déviants ». Une polémique s’était d’ailleurs installée en 2022, à l’occasion de la coupe du monde de football au Qatar, lorsque des supporters s’étaient vu interdire l’entrée du stade à cause de la couleur de leurs vêtements.

la diversité sexuelle

Au cours des années 90, le mouvement gay va connaître une nouvelle vague d’émancipation, et cette fois, au sein même de sa communauté. Maintenant que l’identité gay est instaurée, les différents peuples de la nation arc-en-ciel vont se lancer dans leur propre quête de reconnaissance.

Les premiers membres à revendiquer leur individualité furent les personnes bisexuelles et transgenres. Souvent occultées et de discriminées, ces communautés vont établir leur propre visibilité. Leur lutte va amener à l’émergence des drapeaux Bisexuel (1998) et Transgenre (1999), ainsi qu’à l’ajout du « B » et du « T » à l’acronyme « LGBT ».

Queer Graffiti, Brighton. Photo : the justified sinner

Cette vague d’émancipation identitaire va s’intensifier dans les années 2000, notamment suite à la distinction opérée entre orientation sexuelle et identité de genre. Les drapeaux Lesbien (2010), Asexuel (2010) et Pansexuel (2010) vont ainsi faire leur apparition, suivi de près par les Intersex (2013) et Non binaire (2014).

Fidèle à l’œuvre de Baker, la plupart des nouvelles bannières reprennent le motif en bandes horizontales, variant les couleurs selon les préférences et les valeurs du groupe représenté (rose pour le féminin, bleu pour le masculin, blanc ou jaune pour la non binarité, noir pour l’asexualité ou l’agenre …).

C’est également à cette période que va être théorisé le fait que la sexualité, tout comme le genre et l’attirance romantique, n’est pas strictement binaire, mais qu’il s’agit de spectres sur lesquels chacun est différemment positionné. Cette conscience de nuances va permettre à plusieurs sous groupes de mieux se définir et d’accéder eux aussi à une certaine visibilité : genderfluide, genderqueer, demisexuel, aroace, polyamour …

Autrefois regroupée sous l’unique bannière arc-en-ciel, la communauté LGBTQIA+ va ainsi se consteller en une multitude d’étendards colorés. On dénombre aujourd’hui plus d’une trentaine de drapeaux, chacun signifiant le genre, les pratiques et l’attirance romantique ou sexuelle de son porteur. Toute personne peut ainsi librement arborer les multiples facettes de son être et se sentir représentée et acceptée, dans son intégralité.

Groupe Stonewall UK défilant lors de l’événement gay London Pride 2011. Photo :

Le futur du mouvement

Cette réalisation que les symboles d’un mouvement basé sur l’inclusivité se devaient d’évoluer avec le temps conduisit à l’élaboration du Philadelphia Pride Flag (2017) et du Progress Flag (2018).

Le premier ajouta deux bandes brunes et noirs à l’œuvre de Baker, rappelant ainsi la diversité ethnique au sein de la communauté LGBTQIA+, tandis que le second est une mosaïque de plusieurs drapeaux gay.

Progress Flag, Daniel Quasar

Selon son créateur Daniel Quasar, le Progress Flag sera amené à évoluer au fil du temps, la flèche à sa droite représentant la nécessité de continuer à aller de l’avant et les progrès qui restent à achever.


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