Depuis l’enfance, elle porte en elle un rêve simple et universel : celui de devenir mère. Une aspiration douce, profonde, qui traverse les années et les étapes de sa vie. Elle est une femme transgenre, et ce désir, qui semble si naturel pour d’autres, devient un chemin semé d’obstacles invisibles. Un parcours à la fois intime et politique.
à l’écoute de son corps et de son avenir
« Depuis que je suis petite, j’ai toujours rêvé d’avoir un enfant, de lui consacrer ma vie, de l’élever dans un environnement stable, rempli de joie, d’éducation… et surtout d’amour. »
Léa Dumas
Ces mots résonnent avec toutes celles qui portent en elles un désir profond de maternité. Ce désir se heurte à une réalité biologique : née sans utérus, elle sait que son corps ne pourra pas porter d’enfant. Un constat qui, loin de l’éloigner de son projet, en renforce la détermination.
« J’ai toujours été consciente de ma particularité. D’être une fille sans les organes biologiques associés. Mais je n’ai jamais renoncé à mon désir de maternité. »
Léa Dumas
À 22 ans, ce besoin est devenu plus pressant. Plus physique. Son corps, dit-elle, « aspire à porter un enfant, à le sentir grandir en moi, de l’embryon au nouveau-né« . Alors elle rêve, non pas d’un miracle, mais de science. Elle espère les progrès médicaux, les avancées sur les greffes d’utérus – déjà possibles chez certaines femmes cisgenres – pour qu’un jour, les femmes transgenres puissent elles aussi envisager la grossesse.

« Peut-être que l’avenir offrira une solution. Qui sait ? Ce sera peut-être un jour possible pour nous. »
Léa Dumas
Ce témoignage, rare et précieux, révèle une solitude profonde. Une sensation que peu de textes, peu de recherches en France permettent de comprendre, et qui reste largement ignorée dans les débats publics. Un silence lourd, presque complice, qui laisse ces femmes dans l’ombre de leurs émotions.
« Je me sens isolée face à ce désir intense. Et pourtant, je suis convaincue de ne pas être la seule. »
Léa Dumas
Ce cri du cœur ouvre un espace de réflexion nécessaire. Car la maternité ne se résume pas à une fonction biologique : c’est une expérience humaine, un lien affectif, une aspiration légitime, quelle que soit l’identité de genre. Il est temps d’écouter ces voix trop longtemps tues, d’élargir notre compréhension de la parentalité, et de reconnaître que le désir de maternité n’appartient à personne, sinon à celles qui le ressentent profondément.
Qu’est-ce que la transidentité ?
La transidentité désigne le fait pour une personne de ne pas se reconnaître dans le genre qui lui a été assigné à la naissance. Plus concrètement, dans le cadre de cet article, nous parlons de personnes assignées hommes à la naissance avec un sexe biologique masculin, mais qui s’identifient comme femmes et expriment leur genre de manière féminine.
Il est essentiel de rappeler la différence entre sexe et genre : le sexe renvoie à des caractéristiques biologiques (organes génitaux, chromosomes), tandis que le genre est une construction sociale. Être un « homme » ou une « femme » n’a rien de naturel en soi : ce sont des catégories créées par les sociétés humaines, avec des normes, des rôles et des attentes. Le genre n’est donc pas déterminé par le corps, mais par l’identité et l’expression de soi.
Le parcours des personnes trans peut inclure ou non plusieurs dimensions : une transition sociale (changement de prénom, vêtements, attitude), une transition médicale (hormonothérapie, chirurgie), et une transition juridique (modification de l’état civil). Mais il n’existe pas une seule manière d’être une femme trans : chaque parcours est unique, et chaque personne construit sa vie selon ses besoins, ses moyens et ses désirs y compris celui, parfois, de devenir mère.
Repenser la parentalité
En France, le modèle familial reste majoritairement centré sur le couple hétérosexuel, biologique, marié. Ce modèle, largement valorisé dans les politiques publiques comme dans les récits culturels, laisse peu de place aux familles dites « atypiques », qu’elles soient monoparentales, homoparentales ou transparentales.
Certaines femmes trans se tournent vers la coparentalité, la parentalité sociale ou la PMA, lorsqu’elle est possible. On voit aussi émerger des configurations alternatives comme le « lavender marriage » (un mariage d’alliance entre une personne hétéro et une personne LGBT+ pour créer un cadre de parentalité stable).
Deux autres exemples : la série Raven’s Home valorise les familles atypiques, tandis que Pose célèbre la puissance des familles choisies.

Dans Raven’s Home, deux meilleures amies, mères divorcées, élèvent leurs enfants respectifs sous le même toit à Chicago. Cette configuration met en scène une forme de coparentalité solidaire et non romantique.
La série Pose, quant à elle, suit des femmes trans racisées qui se construisent des familles de substitution autour du voguing. Chaque groupe de danseurs forme une « House », dirigée par une « Mother », figure centrale qui héberge, soutient financièrement, guide et élève symboliquement ses membres. Ces structures incarnent une parentalité sociale et affective, qui repose sur le lien choisi plutôt que biologique.
Et le discours public ?
Les associations comme OUTrans, Acceptess-T ou la Coalition des familles LGBT+ militent pour que la loi et les mentalités évoluent. Parmi leurs revendications majeures : l’accès à la conservation des gamètes avant toute transition hormonale, une démarche qui reste aujourd’hui complexe, médicalement encadrée, et souvent découragée.
Mais ces difficultés d’accès ne se limitent pas à l’étape préventive. Le cas d’Anna Marchal, raconté dans une interview poignante pour Konbini, en est un exemple frappant. Avant sa transition, lorsqu’elle était encore reconnue comme un homme, elle avait pu entamer un parcours de PMA avec sa compagne sans rencontrer d’obstacles majeurs. Le couple a ainsi pu avoir un premier enfant.
Mais à l’occasion d’une seconde tentative de PMA, entamée après le début de sa transition, tout bascule. Anna Marchal déclare être une personne transgenre et le corps médical lui signifie que son parcours parental « n’est pas compatible » avec sa transidentité. Un refus brutal, motivé par des arguments éthiques implicites, sans réel fondement légal, qui a provoqué un profond choc psychologique.

Ces blocages révèlent une méfiance institutionnelle face à la parentalité trans : malgré l’existence de techniques médicales éprouvées, ce n’est pas la biologie qui freine, mais bien les représentations sociales.
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