Du livre à l’écran

Aujourd’hui, près d’un film sur cinq est adapté d’une œuvre littéraire. Les récompenses cinématographiques telles que les Césars ou les Oscars dédient chaque année un prix au meilleur scénario adapté.

Pourquoi un tel engouement pour l’adaptation ? Pour les producteurs et réalisateurs, la littérature possède l’avantage d’offrir des œuvres déjà travaillées et filtrées, offrant une base solide et donc un certain gain de temps. La notoriété des livres permet également de réduire les risques liés à l’exploitation d’un film.

Poster du film Women Talking
Oscar du meilleur scénario adapté en 2023 : Women Talking de Sarah Polley adapté du roman Ce qu’elles disent de Miriam Toews

Ce phénomène n’est pas nouveau, il remonte aux débuts de l’histoire du cinéma. À l’origine, ce dernier se contentait de filmer les pièces de théâtre, plantant la caméra immobile devant la scène. Le cinéma était alors au service du théâtre, avant de s’autonomiser quelques années plus tard et de devenir un art à part entière. Il n’abandonne toutefois pas la littérature car les romans l’inspirent très tôt, le travail d’adaptation gagnant une place presque équivalente à l’écriture de scénarios originaux.

En effet, romans et films présentent de nombreuses similarités : ils racontent une histoire, créent un univers, une atmosphère, etc. Il n’est donc pas surprenant que de nombreux liens les unissent. Cela n’empêche toutefois pas les débats de voir le jour sur ce sujet. Le plus récurrent reste incontestablement celui-ci : entre un livre et son adaptation cinématographique, lequel l’emporte ? Le livre gagne généralement ce débat, les lecteurs se déclarant presque toujours déçus par le film adapté de leur livre favori. Pourtant, ce débat semble finalement peu pertinent comme nous allons maintenant le montrer.

La fidélité de l’adaptation : un débat inutile ?

La fidélité de l’adaptation est l’élément le plus souvent remis en question lors du visionnage. Cependant, il s’agit d’un objectif inatteignable. En effet, le livre et le film peuvent être considérés comme deux langages différents. Une traduction est alors nécessaire, qui modifie obligatoirement certains éléments. Le média étant différent, le film est inévitablement amené à modifier les codes (dialogues, scènes, etc.). C’est d’ailleurs pour cela que le mot « adaptation » est utilisé. Il ne s’agit pas d’une retranscription à l’identique mais d’un ajustement à un nouveau média.

L’un des exemples les plus flagrants de cette différence de langage peut être trouvé dans le processus narratif. En effet, la narration ne prend pas les mêmes traits à l’écrit et dans le film. Le narrateur est rarement identifié dans un film, les images le rendant superflu, tandis qu’il est incontournable dans un roman.

Un autre élément rendant difficile une totale fidélité de l’adaptation est l’impossibilité pour le film de laisser une certaine part de mystère. Les images en montrent beaucoup, alors que le livre laisse parfois des éléments vagues et imprécis par choix. Par exemple, c’est pour cela que les lecteurs sont parfois déçus ou surpris du choix de certains acteurs pour incarner leurs héros préférés, qu’ils n’avaient pas imaginés sous ces traits.

« Un objet ou un personnage à peine évoqués dans le texte deviennent, avec les images, des choses précises avec des caractéristiques visibles, sonores, dans un environnement qu’il n’est pas facile d’abstraire. »

L’adaptation de la littérature au cinéma, Alain Morency

Certains romans se prêtent alors davantage à une adaptation cinématographique fidèle. Il s’agit des textes où l’écriture joue un rôle mineur, au service des actions. C’est le cas des romans policiers ou d’aventure dans lesquels l’écriture et la narration n’ont généralement pas un poids trop important.

À l’inverse, il est plus difficile pour un film de rendre compte des pensées et des émotions intérieures subtiles. Il est ainsi plus facile d’adapter un roman d’Agatha Christie que de Marcel Proust.

Poster du film l'Orient Express
Les romans d’Agatha Christie, des récits déjà très « visuels », sont souvent adaptés au cinéma.

Le film au service du livre

La discussion peut également être inversée, et le sujet étudié sous un angle différent. Nous avons vu jusqu’à maintenant comment le livre pouvait servir le film, mais l’inverse est également vrai. Même si cela est moins évoqué, le film peut également servir le livre.

Ainsi, il arrive que la réussite d’une adaptation fasse découvrir un livre et un auteur. C’est par exemple le cas de Jules et Jim,  le célèbre film de François Truffaut, tiré du roman d’un écrivain jusqu’alors confidentiel, Henri‑Pierre Roché.

Couverture du livre Jules et Jim
Le livre tire parti du succès du film en utilisant une de ses images pour l’illustrer en couverture

Une adaptation peut également ajouter à la popularité d’auteurs déjà reconnus, tels qu’Emile Zola ou Honoré de Balzac, en élargissant et diversifiant leurs publics.

Le cinéma est par ailleurs une source d’inspiration pour la littérature. L’écriture cinématographique a en effet eu un impact sur l’écriture romanesque, poussant certains auteurs à développer une esthétique proche du cinéma : objectivité du récit, montage nerveux et rapide, effets d’ellipses, focalisation externe, etc. C’est le cas de romanciers américains dès les années 1930, comme Hemingway et Steinbeck, puis d’auteurs français tels que Sartre et Malraux.

Couverture du livre l'Espoir
L’espoir d’André Malraux est un exemple de l’utilisation de procédés scénaristiques dans l’écriture romanesque : séquences brèves, dialogues nombreux, peu d’analyse psychologique

Finalement, plutôt que d’opposer films et livres, l’étude des adaptations cinématographiques permet d’étudier les différences entre ces deux langages, ces deux modes d’expression, sans dévaloriser l’un ou l’autre. La confrontation des deux permet de révéler leurs forces respectives et leurs influences respectives. 

L’image de couverture est extraite du film Women Talking.


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