Artemisia Gentileschi, La force de peindre

Conjuguer sexe féminin et peinture au regard de l’histoire peut paraître impossible. Pourtant, c’est au cœur de l’Italie du 17e siècle qu’une jeune peintre brave tous les obstacles et se forge un nom dans l’histoire. Cette femme, on vous la présente aujourd’hui : elle se nomme Artemisia Gentileschi

Une femme, une survivante

Fille d’Orazio Gentileschi, un peintre caravagesque, Artemisia naît à Rome en 1593. Elle apprend dans l’atelier de son père le dessin et la peinture et montre de grandes compétences dès son jeune âge. On lui attribue son premier tableau, Suzanne et les Vieillards alors qu’elle n’est âgée que de 17 ans. Au sein de ce tableau on perçoit une inspiration du Caravage.

Le Caravage est un peintre italien (1571-1610). Il a connu une grande célébrité de son vivant puisqu’il est à l’origine d’un mouvement qui porte son nom : le caravagisme. Ses tableaux tournent beaucoup autour du réalisme, en jouant des contrastes et des jeux de lumières. Légende vivante, il influencera de nombreux peintres dont Artemisia qui se servira d’un puissant contraste entre la lumière et l’ombre au sein de ses œuvres.

Dans son premier tableau, Suzanne apparait comme la figure claire en opposition avec les deux hommes penchés au-dessus d’elle en position de force.

Suzanne et les Vieillards, Artemisia Gentileschi, 1610

Alors qu’Artemisia est désormais en âge de se marier, son père à d’autres projets pour elle. Il la voit poursuivre sur sa lancée artistique. Cependant, une femme au 17e siècle ne peut pas intégrer les Beaux-Arts, réservé au sexe masculin. Il décide alors d’engager un précepteur pour continuer sa formation dans les arts. La jeune fille est donc placée en apprentissage auprès du peintre Agostino Tassi.

Cette rencontre marque un tournant tragique dans l’histoire de la jeune femme âgée de 18 ans qui subit une agression sexuelle. L’affaire, portée devant le tribunal, condamne le peintre à cinq ans d’exil, même si les écrits montrent qu’il ne quittera pas la ville. Artemisia ne s’arrête pourtant pas de peindre et se marie avec un peintre peu de temps après. Elle part s’installer à Florence où elle lance officiellement sa carrière.

Le pouvoir des femmes

La peinture d’Artemisia Gentileschi est poignante, laissant une grande place à la violence. Elle peint en s’inspirant du thème récurrent du « pouvoir des femmes« . L’idée est de placer les femmes dans une position de domination face aux hommes. Ce « topos » prend naissance au Moyen-Âge pour s’étendre au sein de la Renaissance. Il traverse toutes les disciplines de la littérature à l’art pictural. Les œuvres s’appuient principalement sur des épisodes bibliques, antiques ou encore les romans de chevalerie. Ce thème a beaucoup été utilisé pour questionner la place de la femme dans la société.

L’un des récits les plus représentés au sein du « pouvoir des femmes » est celui de l’Ancien Testament qui entoure Judith et Holopherne. Judith est une femme qui voit son peuple attaqué par le général ennemi Holopherne. Elle décide, afin de sauver son pays, de le séduire, de l’attirer dans son lit et l’assassiner pendant qu’il dort.

C’est un épisode qui a inspiré les peintres de l’époque dont Artemisia Gentileschi et Le Caravage. À la différence de la version du Caravage vers 1598/1599, celle d’Artemisia Gentileschi est plus sanguinaire. Elle réalise ce tableau en 1612, un an après son agression sexuelle. Beaucoup ont vu dans cette toile le désir de revanche que l’artiste entretenait envers Agostino Tassi. En effet, la peintre s’est elle-même représentée dans le rôle de Judith (en bleu).

Entre le sang qui tache le drap, la main pressée de Judith contre la tête d’Holopherne qui se débat : le spectateur se retrouve face à une scène d’une violence inouïe. Mais également face à un renversement du rapport de domination. En effet, dans la peinture du Caravage, Judith se tient à côté de Holopherne. Dans la version d’Artemisia, Judith et sa servante (en rouge) sont dans une position de domination par le dessus.

une vie professionnelle foisonnante

Auto-portrait de la peintre Artemisia Gentileschi réalisé en 1639
Autoportrait en allégorie de la peinture, 1638/1639 Artemisia Gentileschi

Cependant, Artemisia réalise d’autres toiles que des épisodes bibliques sanglants. L’artiste connaitra également un grand succès en tant que peintre de cour. Notamment avec son Autoportrait en allégorie de la peinture, qui lui vaudra de nombreux compliments.

Elle sera la première femme à entrer dans l’Académie du dessin de Florence grâce à ses amitiés avec des hommes reconnus comme Galilée, le physicien et astronome italien, ou encore l’écrivain Michelangelo Buonarroti le Jeune. Elle devient alors indépendante financièrement grâce aux commandes qu’elle reçoit et aux mécènes qui la soutiennent.

Artemisia voyage au gré des commandes et des rencontres. De Florence à Naples en passant par Rome avec un séjour en Angleterre, elle produira de splendides œuvres en perfectionnant toujours sa technique. Elle se démarquera du Caravage en inventant son propre langage artistique. Pourtant, Artemisia ne cessera de perfectionner ses drapés et la représentation des bijoux. Elle présente, tout au long de sa carrière, une évolution intéressante.

 « Mon illustre ségneurie, je vais vous montrer ce qu’une femme peut faire. » 

Artemisia Gentileschi, Correspondances

l’attribution des œuvres

Malgré sa grande popularité de son vivant, Artemisia doit faire face à un problème persistant : celui de sa postérité. En effet, il reste difficile pour une femme de se faire un nom dans un milieu d’hommes. Surtout dans une période de l’histoire de l’art où la signature des tableaux n’est pas systématique.

Au 18e siècle, son nom tombe dans l’oubli et ses œuvres sont très vite attribuées à d’autres artistes. C’est notamment le cas pour son premier tableau Suzanne et les vieillards longtemps attribué à son père. De même, Judith décapitant Holopherne a été attribué au Caravage.

Artemisia Gentileschi a de nouveau fait surface à partir du 20/21e siècle avec la redécouverte de ses œuvres. C’est notamment grâce au travail d’artiste comme Judy Chicago de 1974 à 1979 avec The Dinner Party que les femmes retrouvent peu à peu leur place dans l’histoire du monde. Son installation consistait à mettre en avant 39 grandes figures féminines de l’histoire et de les réunir ensemble. Le but : mettre un terme à l’amnésie des archives historiques sur la place des femmes au sein de la société.

Désormais, c’est un travail de taille qui attend les historiens et historiennes de l’art afin de réattribuer les tableaux aux artistes originaux. En 2021, la peinture Le triomphe de Galatée, a été réattribuée à Artemisia Gentileschi à la place du peintre Bernardo Cavallino. De grands débats sont ouverts sur la réattribution de l’œuvre mais une chose est sûre : maintenant qu’Artemisia Gentileschi est revenue sur le devant de la scène, plus personne ne la fera tomber dans l’oubli !

Le triomphe de Galatée, Artemisia Gentileschi v. 1650

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