Petite histoire de la Femme à barbe (Antiquité – XVII siècle) 1/2

À en croire Hollywood, les femmes à barbe sont, avant tout, des phénomènes de cirque. Elles se promènent parmi les spectateurs affublées d’une robe décolletée à froufrous, inspirant un mélange de fascination et de défiance. Si cette réalité a effectivement existé, on ne peut réduire l’Histoire de ces femmes à cette courte parenthèse voyeuriste.

En effet, avant d’être exhibée dans des foires, les femmes hirsutes ont été les muses d’artistes renommés et les piliers financiers de leurs familles. Elles étaient mariées, avaient accès à l’éducation et vivaient une vie rangée. Comment en est-on donc arrivé à les exposer avec des chimpanzés ? C’est le déroulé de leur petite histoire, au sein de la Grande, que nous allons voir dans cette série d’articles.

La barbe ne fait pas la femme

Adoubées d’un qualificatif un peu réducteur, les « femmes à barbe » sont en réalité des personnes atteintes d‘hirsutisme ou d’hypertrichose.

La première est la cause la plus fréquente. Elle est due à un dérèglement hormonal provoquant une forte production de testostérone, et donc l’apparition de poils sur des zones généralement masculines (dos, poitrine, visage,…). L’hirsutisme peut être notamment engendré par le syndrome des ovaires polykystiques.

L’hypertrichose est, quant à elle, liée à une mutation génétique qui entraine un développement, plus ou moins important, de la pilosité sur l’ensemble du corps. À la différence de l’hirsutisme, cette maladie touche aussi bien les hommes que les femmes. Elle est aussi connue sous le nom de « syndrome du loup garou ».

LES FemmeS à barbe dans la mythologie

L’image de la femme à barbe est présente dès l’Antiquité. À une époque où le genre n’était pas aussi clairement défini que dans nos sociétés, il n’était pas rare que des personnages mythologiques soient androgynes (Hermaphrodite, Tirésias,…). Dans les mythologies Grecque et Mésopotamienne, les déesses Venus et Ishtar sont ainsi parfois représentées avec une barbe.

Transcendant les sexes, ces deux déesses barbues incarnaient l’amour, la sensualité et la sexualité. Elles étaient populaires et respectées, leur excroissance masculine ne semblant pas choquer le commun des mortels.

Cette considération de la pilosité féminine changea néanmoins sous les religions monothéistes. Considérés comme un signe de virilité chez l’homme, l’excès de poil devint la preuve d’une sexualité débridée chez la femme. Transgressive, la femme à barbe déstabilise la perception du genre et sa condition devient la conséquence d’une malédiction divine.

On relève tout de même l’existence d’une femme à barbe parmi les martyrs chrétiens : Sainte Wilgeforte. Contrainte à un mariage forcé, elle demanda à Dieu de lui venir en aide. CeLui-ci lui fit alors pousser une magnifique barbe destinée à décourager tout prétendant de l’approcher.

Le mariage fut annulé, mais l’apparence dégenrée de la jeune fille la conduisit à être crucifiée (Oups…). Invoquée sous le nom de Sainte Débarras, elle est la patronne des femmes qui souhaitent se débarrasser de leur mari.

Le martyr de Sainte Wilgeforte

Si l’histoire de Sainte Wilgeforte relève de la légende, des témoignages de l’existence de femmes barbues au XVIe et XVIIe siècles sont parvenus jusqu’à nous, notamment à travers la peinture.

Les femmes à Barbe à travers l’art

En 1590 et 1631, les peintres espagnols Juan Sanchez Cotan et José de Ribera peignèrent respectivement les portraits de Brigida del Rio (à gauche) et de Magdalena Ventura (à droite), toutes deux atteintes d’hirsutisme. Si on a peu d’information sur Brigida, on sait que Magdalena était mariée avec 3 enfants et monnayait ses apparitions publiques afin de subvenir aux besoins de sa famille.

Sur les deux portraits, les sujets posent fièrement avec des barbes touffues. Elles ne sont ni des monstres, ni des libidineuses, mais des femmes dignes. Magdalena capte d’ailleurs toute la lumière alors que son mari est relégué dans l’ombre, derrière elle. Sur la stèle située à sa droite, on peut lire l’inscription En magnum natura miraculum : « un grand miracle de la nature ».

Un autre témoignage qui nous est parvenu par la peinture est celui de Barbara van Beck. Née en Allemagne en 1629, elle fut exhibée par ses parents dès l’âge de 8 ans. Atteinte d’hypertrichose, une épaisse pilosité recouvre tout son corps, lui donnant « l’apparence d’un chien ».

Portrait de Barbara Van Beck, anonyme

Une fois encore, la représentation est empreinte de dignité. Barbara est élégamment vêtue, avec des rubans rouges et un décolleté plongeant. Mariée et mère de famille, elle parlait plusieurs langues, voyageait beaucoup et avait reçu une éducation de qualité.

Ces différentes représentation inspireront les artistes de l’époque. Miguel de Cervantes enverra ainsi son héros, Don Quichotte, dans un royaume où les femmes sont toutes barbues (cet épisode sera plus tard illustré par le peintre Bernard Buffet) et Shakespeare affublera les sorcières de Macbeth d’une pilosité fantasmagorique.

Déjà considérées à l’époque comme des objects de curiosités, les femmes à barbe du XVI et XVIIe siècle marchandaient leurs apparitions afin de gagner leur vie. Elles semblaient néanmoins garder un certain contrôle de leur personne et bénéficiaient d’une indépendance financière peu commune pour des femmes de leur temps.

Certaines sont cependant tombées sous le coup d’une exploitation proche de la traite d’être humain, notamment auprès de nobles fortunés en manque de divertissement. Une famille en particulier fit l’objet de ce traitement dégradant.

L’exploitation de la famille Gonzales

En 1595, Lavina Fontana immortalisa Antonietta Gonzales, une fillette atteinte d’hypertrichose. Quatre enfants de cette famille sont frappés par cette maladie qui leur a été transmise par leur père, Petrus Gonzales. Ce dernier avait été offert comme cadeau au roi de France Henri II alors qu’il n’avait que 10 ans. Le roi l’avait éduqué, puis exposé à la cour en tant qu’« homme sauvage ».

Le mariage de Petrus avec une jeune domestique nommée Catherine avait servi d’expérience scientifique visant à créer de nouveaux « sauvages ». Antonietta Gonzales et sa famille furent ainsi paradées devant les cours royales européennes pendant des années. Si les Gonzales avaient accès à une bonne éducation et à un certain confort, ils étaient constamment exhibés et examinés. Ils finirent par devenir la propriété du duc de Parme qui offrit les enfants à ses proches comme compagnie. Antonietta fut séparée de sa famille et on perdit sa trace.

Quelques années plus tard, cette tragique histoire aurait servi d’inspiration à la romancière Gabrielle Suzanne Barbot de Villeneuve pour le récit de La Belle et la Bête (et oui, votre Disney préféré est basé sur une histoire de traite d’êtres humains et d’expérimentation scientifique).

La semaine prochaine…

Le commerce de la famille Gonzales n’est que le prémisse de l’exploitation à grande échelle à venir. Amorcée au XIXe siècle par le showman Phinéas Barnum, la mode des cirques de « monstres » va propulser la femme à barbe sous les projecteurs et encrer dans les esprits son image de phénomène de foire.

Mais pour en savoir plus, il vous faudra revenir la semaine prochaine !


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