Le Bon, la Brute et le Suppléant

Dans certains milieux, prévoir un suppléant est une pratique courante et indispensable. Un homme ou une femme de l’ombre prêt à prendre la place du titulaire en cas de défaillance. Il y en a au théâtre, pour l’élection des délégués à l’école et… dans les familles royales.

Dans son livre paru en ce début d’année 2023, le prince Harry nous raconte cette drôle de vie de pièce de rechange. S’il apporte un témoignage sur notre époque, qu’en était-il avant ? Quelles existences menaient les suppléants qui sont venus avant lui ? Comment leur rôle a-t-il évolué au fil des siècles ? On s’est penché sur ces questions.

Les suppléants ambitieux

Au IXe siècle, lors de l’émergence des monarchies européennes, la détermination de l’héritier était fluctuante et la notion de suppléant quasi inexistante. Les modes de succession variaient alors selon les pays et leurs coutumes.

Ainsi, sous Charlemagne, le territoire était divisé entre les fils du roi. En Pologne, les monarques étaient élus. Et chez les écossais, la tanistrie prévoyait une transmission en ligne collatérale (neveu, frère, cousin, …) qui se terminait généralement en bain de sang (« cough cough »Macbeth« cough »).

Il fallut attendre le XIe siècle et l’établissement de véritables dynasties pour que la transmission par primogéniture se répande. Le fils ainé du roi devint alors l’héritier présomptif, au détriment de ses frères et sœurs. S’il avait le mérite d’être clair, ce nouvel ordre successoral n’était cependant pas sans risque. En effet, certains cadets zélés n’hésitaient pas à précipiter la mort « naturelle » de leurs ainés afin d’accéder au pouvoir.

Sans commentaire…

Parmi ces assassinats masqués, il y eut notamment celui du roi Guillaume II d’Angleterre, fils de Guillaume le Conquérant. Le souverain décéda d’une flèche dans la poitrine lors d’une partie de chasse avec son frère cadet, Henri. Ce dernier laissa le corps dans la forêt et se dépêcha de rentrer se faire couronner roi.

Représentation du décès du roi Guillaume II

Quand il n’est pas question de frère régicide, il peut s’agir d’un oncle. À la mort de son frère Edward IV, Richard III a ainsi pris soin de faire disparaitre ses neveux avant d’usurper la couronne d’Angleterre.

Représentation d’après la pièce « Richard III » de Shakespeare

Bien que dans ces deux cas la théorie d’un assassinat continue à être débattue, niveau alibi et motivation, on a déjà vu mieux.

Afin d’éviter ces fratricides, certains parents royaux adoptèrent des méthodes plutôt radicales. Anne d’Autriche a ainsi élevé Philippe d’Orléans, le frère de Louis XIV, en tant que fille. Elle espérait prévenir, de cette manière, toute ambition déplacée de la part du benjamin.

Louis XIV à gauche et son frère Philippe à droite, portrait attribué à Charles Beaubrun

Considérant que Louis XIV détient toujours le record du règne le plus long d’Europe (72 ans), on peut en déduire que ce fut une réussite.

Les suppléants Bons vivants

Avec le temps, l’augmentation de l’espérance de vie et la diminution de la mortalité infantile amenuisèrent les opportunités d’usurpation et de coup d’État des suppléants. Il devint rare de voir un frère succéder à l’autre et les cadets furent de moins en moins considérés.

Par Camille Vanveerdeghem

Ce délaissement avait cependant ses avantages. Les « Monsieur » (titre donné au frère cadet le plus âgé) pouvaient user de leur position et de leurs richesses afin de mener une vie faste, et ce sans avoir à s’encombrer de la charge royale. Ainsi, Philippe d’Orléans, une fois qu’il se fut démis des jupes imposées par sa mère, devint un fin libertin et un grand mécène.

Un autre suppléant qui décida de prendre la vie du bon côte était le duc de Berry (le petit fils de Louis XIV). Il ne semble jamais avoir jalousé la position de ses frères, respectivement rois de France et d’Espagne, se contentant de profiter de la vie et d’égayer la cour de France.



Cette vie dorée, passée néanmoins le cul entre deux chaises, peut parfois avoir des conséquences tragiques. Le plus triste exemple contemporain reste celui de la soeur de la reine d’Angleterre, Margaret. Alcoolique et fumeuse invétérée, la « princesse rebelle » connu de nombreux problèmes de santé dont la plupart furent attribués à ses excès.

Les suppléants, rois malgré eux

Ce manque de considération des suppléants pouvait, en outre, avoir de lourdes conséquences lorsque l’héritier venait à décéder subitement. Les remplaçants se retrouvaient alors débordés par une tâche à laquelle ils n’avaient pas été préparés, recevant peu de soutien de la part de leur famille endeuillée.

On a ainsi des témoignages de Louis XV qui, après la perte de son fils et de son petit-fils, refusa de préparer le futur Louis XVI à régner. Celui-ci fit du mieux qu’il put, avec les conséquences qu’on connait…

Exécution de Louis XVI, gravure anonyme, musée Carnavalet

Savez-vous qui d’autre n’était pas destiné à régner ? Charles Ier d’Angleterre ! Il n’était que le second fils et succéda à son frère lorsque celui-ci décéda à l’âge de 18 ans. Son règne fut tumultueux et mena à la fin provisoire de la monarchie britannique (avec les conséquences qu’on connait …).

Exécution de Charles Ier d’Angleterre en 1649


S’ils ne rencontraient pas une fin prématurée, les rois nés suppléants continuaient parfois leurs frasques et leur vie frivole, se pliant mal aux règles strictes de la Couronne.

Ainsi, Henri VIII d’Angleterre provoqua un schisme avec l’Église Catholique afin de pouvoir divorcer et épouser sa maitresse. Lorsque cela s’avéra insuffisant, il recourut à d’autres méthodes, nettement moins subtiles, pour légitimer ses conquêtes féminines.

Plus rarement, un second fils peut accéder au trône suite à l’abdication de son ainé. Cela fut le cas pour George VI, le père de la reine Elisabeth II d’Angleterre. Il réussit brillamment dans sa tâche de souverain, mais le stress lié à la charge du pouvoir provoqua des séquelles physiques et psychologiques qui le conduisirent à une mort précoce.

Conclusion

Au final, comme tout dans la vie, être suppléant a ses avantages et ses inconvénients.

Mais bon. Y a clairement pire…


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