1515: La France éclate la Suisse à la bataille de Marignan (2/2)

La semaine précédente, nous sommes remontés jusqu’à l’origine des guerres d’Italie (par ici pour ceux qui ont loupé la première partie). Aujourd’hui, nous allons voir la bataille de Marignan en elle-même et la place qu’elle a laissée dans l’Histoire. 

Le terrain de la rencontre

Pour accéder au milanais, l’armée française doit passer les Alpes. Maximilien, le duc de Milan, entreprend tout de suite de faire bloquer la route principale par ses soldats suisses. Il espère ainsi décourager l’envahisseur. Mais il en faut plus pour faire reculer François Ier. Celui-ci conduisit son armée sur des routes secondaires casses gueules qu’il fît élargir à coups d’explosifs, frayant ainsi un passage pour les chevaux et les pièces d’artillerie. En août 1515, l’armée française arriva en Italie et se dirigea droit sur Milan. 

Progression de l’armée française en 1515

Les troupes suisses se regroupèrent près de la ville et attendirent l’assaut. De nouvelles négociations eurent lieu le 8 septembre, à Gallarate, mais se conclurent de nouveau par un échec. Devant la supériorité des troupes françaises, certains soldats suisses décidèrent cependant de déserter ou de se mettre au service de François Ier. Un traité fut signé et, en plus des déserteurs, 10 000 Suisses acceptèrent de plier bagage et de rentrer chez eux. 

Suite à cette dernière tentative de réconciliation, plus rien ne peut empêcher la bataille d’avoir lieu aux portes de Milan, sur la plaine de Marignan

Le coup d’envoi du match !

Le 13 septembre 1515, en fin de journée, le coup d’envoi est donné ! C’est le cardinal Schiner qui lance les hostilités. En effet, devant les défections à répétition, Schiner veut que la bataille ait lieu le plus rapidement possible, avant que l’armée suisse ne soit réduite à peau de chagrin. Il envoya des troupes titiller la cavalerie française, puis déclencha l’assaut sous prétexte d’aller porter secours à ses compatriotes en danger.

Lorsqu’ils se retrouvent sur le champ de bataille, les 30 000 soldats suisses restant s’agenouillèrent et prièrent, selon une pratique commune à l’époque. Malgré des effectifs inférieurs, la Suisse conserve toutes ses chances. En effet, en leurs temps, les mercenaires helvètes sont la meilleure armée d’Europe ! Ils sont réputés invincibles et inspirent partout la crainte et la terreur.

Mais quel est donc le secret de leur réussite militaire ? 

Au Moyen-âge, le fleuron des armées est leur cavalerie. Elle détermine souvent le cours de la bataille. Les cavaliers sont, littéralement, l’ancêtre des tanks. Imaginez, vous êtes un fantassin dans un affrontement médiéval. Face à vous, un chevalier surentrainé vous fonce dessus sur un cheval lâché au galop. C’est l’équivalent de se prendre un quad en pleine tronche. 

Un peu gore, mais assez proche de la réalité

Les Français sont très fiers de leur cavalerie. D’abord, pour son efficacité et sa mobilité. Ensuite, car c’est un privilège d’en faire partie, et on sait à quel point les français aiment leurs privilèges. Entretenir une écurie coûte cher, les cavaliers sont donc pratiquement tous issus de la noblesse. « Oh, regardez, je suis riche, j’ai un cheval. Je fonds sur l’ennemis aux côté de mon roi. » Monjoie Saint Denis et tout ce bazar… Bref ! Comme on l’a souligné la semaine dernière, les Français avaient déjà un sérieux problème d’ego. Pas de guerre sans cavalerie ! Sinon le peuple risquerait de se rendre compte que les nobles ne servent à rien. 

La Suisse, en revanche, est un pays pauvre qui va privilégier l’infanterie. De toute façon, l’équitation à flanc de montagne ce n’est pas ce qu’il y a de plus pratique. Pour éviter cependant de se faire écraser sous les sabots du reste de l’Europe, les Suisses ont dû mettre en place des tactiques militaires les protégeant des charges de cavalerie

Pour contrer un cheval lancé en plein galop, il n’y a pas trente-six solutions. Soit on peut faire comme les Anglais à Crécy et Azincourt et faire pleuvoir une pluie de flèches sur l’armée adverse (nous en l’occurrence…), soit on applique une stratégie ancienne appelée la phalange. Cette formation militaire était utilisée dans l’Antiquité par les Grecs et les troupes d’Alexandre le grand. Elle consiste à armer des fantassins de longues piques de 6m et à maintenir des rangs serrés. Ces soldats sont appelés des piquiers. Cette troupe d’élite suisse conduit, généralement, son camp à la victoire. 

Excellent exemple de l’usage des piques. Dans la vraie vie, Gandalf et les cavaliers du Rohan seraient morts empalés.

Le dénouement de Marignan

A Marignan, en 3 formations de carré, les piquiers suisses ne font plus qu’un. Leurs rangs deviennent impénétrables et leurs flancs sont protégés par des hallebardiers. Si la cavalerie tente de s’approcher, les chevaux finissent embrochés. Une fois lancés, rien ne peut arrêter les Suisses. 

Pour les contrer, François Ier a eu l’idée d’ajouter une nouvelle variable : l’artillerie. Déjà utilisés à la fin de la guerre de Cent ans, les canons se font progressivement une place sur le champ de bataille. Leur puissance est létale, mais leur lenteur n’est guère pratique (il faut 8 minutes pour recharger un canon). Si le roi de France les a traînés à travers les Alpes, c’est dans l’objectif de les utiliser pour « clairsemer » les rangs des fantassins suisses, et permettre ainsi aux cavaliers de s’engouffrer dans la mêlée. Les pièces d’artillerie ont été positionnées en haut d’une butte, afin de désunir les carrés suisses lors de leurs déplacements.  

Résumé de la stratégie française

Le but des Suisses est de se saisir des canons et de les retourner contre les Français. Ils y arrivent presque mais, au moment où les premières lignes se rapprochent, les lansquenets allemands leur barrent la route et le combat se transforme en un corps à corps sanglant

Cette première journée fut une véritable boucherie ! Les deux camps sont fortement touchés. Les boulets de l’artillerie française réduisirent les lignes suisses en bouillie. La cavalerie s’éclata contre les piquiers et la noblesse perdit plusieurs des siens. Malgré leur avantage numérique et leur puissance de feu, la facile victoire française espérée n’est pas survenue. 

Après 6h d’affrontement, les deux camps furent obligés de concéder à une mi-temps. La poussière soulevée et l’opacité empêchaient les soldats de distinguer qui ils étaient en train de trucider. On raconte que le roi s’endormit contre un canon, à quelques mètres à peine des lignes suisses. Pendant la nuit, l’armée française se réorganisa et l’artillerie fut déplacée hors de portée de l’ennemi. 

La bataille reprit à l’aube du 14 septembre 1515, sans que les Français parviennent à prendre l’avantage. Pire, les Suisses gagnent du terrain. La victoire leur tend les bras, jusqu’à ce qu’un cri retentisse au milieu du champ de bataille : « Marco ! Marco ! ». Il s’agit des alliés vénitiens ! Ils ont marché toute la nuit pour pouvoir porter secours à l’armée française. 

Les Français en train d’attendre l’arrivée des Vénitiens.

La cavalerie vénitienne fond sur les Suisses qui commencent enfin à reculer. Il n’en faut pas plus pour que la bataille bascule. A 11h, avec près de la moitié de son armée décimée, la Suisse cesse le combat.

Marignan fut l’une des plus longues et des plus sanglantes batailles du siècle. Elle fit plus de 16 000 morts, en l’espace de 16 heures, dont 10 000 soldats suisses.  

Les répercussions de la bataille de Marignan

La bataille de Marignan n’est pas seulement restée gravée dans l’esprit collectif à cause de sa date facile à retenir, ou de sa violence exceptionnelle, mais surtout en raison des conséquences qu’elle a eu sur l’Europe.

Au lendemain de la victoire, François Ier se fit adouber chevalier sur la plaine de Marignan par Bayard. Certains historiens remettent en doute la véracité de cette légende, le roi n’ayant, techniquement, pas besoin d’être adoubé. Il n’en reste pas moins que le jeune François entre dans la Légende ! A tout juste 21 ans, il se fait connaître et s’impose sur la scène politique européenne. Au lendemain même de la bataille, tout le monde est au courant de sa victoire. Le message est clair : dans les années à venir, il faudra compter avec la France.  

François Ier après Marignan

François en profite pour se réconcilier avec le pape Léon X, qui avait apporté son soutien aux Suisses. Cette entente mènera au concordat de Bologne, en août 1516, qui octroie au roi de France un contrôle sans précédent sur les entités religieuses en son royaume. Titrée « fille ainée de l’Eglise », la France prend une place centrale au sein de la chrétienté

Au niveau militaire, c’est également l’avénement d’une nouvelle ère. La noblesse fit tout un foin de la cavalerie, comme d’habitude, mais la véritable arme de Marignan reste l’artillerie. Elle va continuer son ascension au cours du siècle jusqu’à devenir indispensable sur les champs de bataille.

Pour la Suisse aussi, Marignan va être un tournant. Le 29 novembre 1516, elle signa avec la France le traité de paix perpétuelle de Frisbourg. François Ier s’engagea à verser 700 000 écus d’or à la Suisse, dont les 400 000 promis par le traité de Dijon. Il octroya également une pension annuelle de 2 000 écus à chaque canton et leur permit de conserver une partie de leurs terres italiennes. La France et la Confédération s’engagèrent également à ne plus prendre les armes l’une contre l’autre, ni à s’allier avec l’un de leurs ennemis. Ce traité est le premier pas vers l’instauration de la célèbre neutralité suisse. Il sera rompu en 1798 lorsque la République Française envahira la Suisse.

La France après chaque traité

Et Maximilien Sforza dans tout ça? Le duc a passé la bataille cloîtrer à Milan. Il n’accepte de se rendre que le 4 octobre. Contre sa reddition, il négocie une rente à vie de 35 000 écus (environ 13 millions d’euros par an). Il fut emmené à Paris et y coula des jours heureux, à ripailler sur le dos du contribuable français, jusqu’à sa mort en 1530. 

Quant au cardinal Schiner, qui a quand même une forte responsabilité dans tout ce bordel, il échappa à la mort et partit se réfugier à Zurich. Il devint le conseiller de Charles Quint, l’ennemi viscéral de Francois Ier, et continua d’œuvrer pour la restitution du milanais. Lors du conclave de 1522, il manqua de peu d’être élu pape. La victoire lui échappa en raison du barrage des cardinaux français. Il mourut à Rome de la peste, la même année.

Grâce à Marignan, la France parvint à s’implanter en Italie. François Ier diffusa l’art et les idéaux de la culture italienne en son royaume, propulsant ses sujets dans la Renaissance. Il rencontra également Léonard de Vinci, en 1516, et le convainquit de s’installer au Clos Lucé, en Touraine. Le peintre emporta dans ses bagages des tableaux qui deviendront célèbres, dont celui de la Joconde.

Le triomphe français sera néanmoins de courte durée. En 1525, la France finira par perdre ses terres milanaises lors de la bataille de Pavie, Francois Ier sera fait prisonnier par Charles Quint. Il faudra attendre trois siècles pour que Napoléon les reconquière (momentanément). On pourrait donc estimer que Marignan n’a pas été une si grande victoire que cela.

Cependant, je dirais que, vu ce que la Joconde nous rapporte chaque année, on reste largement gagnant. 

Pour aller plus loin : 


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