dictée mérimée le cerf volant

Corrigé explicatif de la dictée de Mérimée

Exercice d’orthographe redouté mais incontournable, la dictée est une véritable institution dans l’éducation française. Chacun à sa bête noire, son talon d’Achille orthographique, que ce soit les « h » silencieux ou l’accord du participe passé avec le COD. Cependant, la beauté de la langue française ne réside-t-elle pas justement dans sa complexité ? Si tel est le cas, il n’existe alors pas de plus belle dictée que celle de Mérimée

Créée par l’académicien Prosper Mérimée, elle détient la réputation de dictée la plus difficile au monde. Pour vous, le cerf volant s’est non seulement confronté à cette torture orthographique (qui va être le sujet principal de sa psychanalyse pour les prochaines semaines), mais s’est surtout penché sur la signification du vocabulaire complexe utilisé par l’auteur. Car savoir l’orthographe et la grammaire, c’est bien, mais connaitre le sens des mots, c’est encore mieux. 

La dictée la plus difficile au monde

Proche de l’impératrice Eugénie, Prosper Mérimée est un habitué de la Cour de Napoléon III.  Homme politique et écrivain prolifique à ses heures, la légende autour de sa fameuse dictée veut qu’il l’aurait élaborée en 1857 afin de distraire l’Empereur et son épouse.

La complexité du récit est tel que la dictée devint un phénomène dans les salons aristocratiques, chacun essayant de faire le moins de fautes possibles (à cette époque, on se divertissait comme on pouvait). Napoleon III aurait ainsi fait 75 fautes, l’impératrice Eugénie 62, Alexandre Dumas junior 24, Octave Feuillet 19 et le Prince de Metternich, ambassadeur d’Autriche,  seulement 3 fautes.

dictée mérimée le cerf volant
Richard Klemens von Metternich, gros boss de la dictée de Mérimée

Si elle semble être par la suite tombée dans l’oubli, la dictée de Mérimée est revenue sur le devant de la scène en 2021, notamment grâce au réseau social TikTok dont certains utilisateurs ont tenté de relever le défi vieux de 164 ans

Prosper Mérimée, écrivain, historien, et tortionnaire orthographique à ses heures

Attention DIVULGACHAGE !!!!!! 

Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuissots de chevreuil prodigués par l'amphitryon, fut un vrai guêpier.

Quelles que soient et quelqu'exiguës qu'aient pu paraître, à côté de la somme due, les arrhes qu'étaient censés avoir données la douairière et le marguillier, il était infâme d'en vouloir pour cela à ces fusiliers jumeaux et mal bâtis et de leur infliger une raclée alors qu'ils ne songeaient qu'à prendre des rafraîchissements avec leurs coreligionnaires.

Quoi qu'il en soit, c'est bien à tort que la douairière, par un contresens exorbitant, s'est laissé entraîner à prendre un râteau et qu'elle s'est crue obligée de frapper l'exigeant marguillier sur son omoplate vieillie. Deux alvéoles furent brisés, une dysenterie se déclara, suivie d'une phtisie, et l'imbécillité du malheureux s'accrut.

- Par saint Martin, quelle hémorragie, s'écria ce bélître ! A cet événement, saisissant son goupillon, ridicule excédent de bagage, il la poursuivit dans l'église tout entière.
 

Vous n’avez rien compris ? Pas de panique, nous non plus. C’est d’ailleurs là le but de cet article. Qu’est-ce qu’une douairière ? Un bélître ? Ce texte a-t-il réellement du sens ou l’auteur s’est-il contenté d’assembler un maillage de mots impossibles juste pour nous prendre la tête ?

Décryptage du récit

Paragraphe 1 : des cuissots de chevreuil à Sainte-Adresse

« Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuissots de chevreuil prodigués par l’amphitryon, fut un vrai guêpier. »

Pour commencer, qu’est ce que c’est que cette Sainte-Adresse ? Une métaphore ? L’adresse du Pape ? 

Il s’agit en réalité d’une véritable ville, située en Normandie, et qui appartient effectivement à l’agglomération urbaine du Havre. Elle abrite 7 317 habitants, les parents de Charles de Gaulle y sont enterrés, et elle fut capitale de la Belgique pendant la première guerre mondiale ! (ce qui est tout de même vachement cool). 

Terrasse à Sainte-Adresse de Claude Monet (1867)

Ensuite, pourquoi y a-t-il deux orthographes pour « cuisseau » et « cuissots » ? Les personnes non familières avec la chasse sont probablement tombées dans le piège lors de leur rédaction. En effet, « cuisseau » s’écrit ainsi lorsqu’il s’agit de la cuisse de veau (pour s’en rappeler c’est simple : cuisse + veau = cuisseau). En revanche, on utilise l’orthographe ‘cuissot’ pour désigner une cuisse de gibier (chevreuil, sanglier, cerf,…). Inutile de préciser que leur double présence dans la dictée n’est pas le fruit du hasard…

Qui était Amphitryon et qu’est-ce qu’il vient faire dans cette histoire?  

Amphitryon est un personnage de la mythologie grecque. Comme dans toute tragédie grecque qui se respecte, il tua accidentellement son oncle et dû accomplir tout un tas d’épreuves afin de pouvoir épouser Alcmene, la fille de celui-ci (sa cousine donc…). Pendant qu’il était occupé, Zeus en profita pour lui piquer sa place dans le lit conjugal. De cette union naitra le héros Hercule, dont Amphitryon sera donc le beau-père.

Version soft (sans tromperie ni inceste) d’Amphitryon et Alcmene dans le dessin animé « Hercule » (1997)

C’est cette particularité de mari cocu qui sera repris par Molière en 1688 dans sa pièce « Amphitryon ». La pièce contribuera à ce que ce terme devienne, dans le langage courant, une expression pour désigner l’hôte qui te reçoit et te nourrit (d’où le rapport avec les cuissot/cuisseau). 

Paragraphe 2 : une douairière et un marguillier entrent en scène

« Quelles que soient et quelqu’exiguës qu’aient pu paraître, à côté de la somme due, les arrhes qu’étaient censés avoir données la douairière et le marguillier, il était infâme d’en vouloir pour cela à ces fusiliers jumeaux et mal bâtis et de leur infliger une raclée alors qu’ils ne songeaient qu’à prendre des rafraîchissements avec leurs coreligionnaires« 

Alors non, une douairière n’est pas une habitante de Douai… Le terme de « douairière » provient du mot « douaire » qui désignait la part des biens revenant à l’épouse en cas de décès du mari, généralement sous la forme d’un usufruit ou d’une rente. Une « douairière » est donc une veuve ayant reçu le douaire.

Une douairière

Le marguillier était, quant à lui, un membre laïc du conseil de fabrique de la paroisse. Il pouvait avoir la charge de gérer les fonds, la tenue des registres ou encore l’entretien de l’église. 

Un fusilier est un soldat muni d’un fusil, plus communément appelé un fantassin. Le terme est toujours utilisé aujourd’hui notamment dans la marine.

Enfin, comme son ethymologie l’indique, un « co-religionnaire » est une personne avec laquelle on partage la même religion, ou, du moins, les mêmes idées. 

Bon, on s’en sort pas trop mal pour l’instant ! Si on récapitule, nous avons donc un super bon dîner en Normandie, présument donné par la paroisse et sponsorisé par une veuve riche, au cours duquel des soldats ont essayé de taper l’incruste. Ils se sont fait violemment recadrés par la dite veuve et un membre administratif de la paroisse, le fameux marguillier. On avance. 

Paragraphe 3 : une tentative de meurtre

« Quoi qu’il en soit, c’est bien à tort que la douairière, par un contresens exorbitant, s’est laissé entraîner à prendre un râteau et qu’elle s’est crue obligée de frapper l’exigeant marguillier sur son omoplate vieillie. Deux alvéoles furent brisés, une dysenterie se déclara, suivie d’une phtisie, et l’imbécillité du malheureux s’accrut »

La première chose qui peut venir à l’esprit en lisant ce paragraphe est que la douairière a dragué le marguillier et s’est prise un râteau. Cependant, l’expression « se prendre un râteau » datant des années 1990, ce n’est probablement pas ce qu’a cherché à dire Prosper. La douairière a plutôt, littéralement, pris un râteau qui traînait dans l’église, afin de cogner sur le marguillier (qui, rappelons le, était chargé de l’entretien et n’aurait pas dû laisser traîner un râteau dans la nef en premier lieu). Pourquoi ce revirement ? Peut-être pensait-elle qu’il était de mèche avec les soldats. Le texte évoque une erreur de jugement de sa part sans plus de précision. 

Qu’étaient la dysenterie (prononcée [s] et non pas [z]) et la phtisie (prononcée comme vous pouvez) ? Disons que dans le top 10 des maladies horribles qui peuvent vous tuer en une semaine, la dysenterie et la phtisie sont plutôt bien classées. La première s’apparente à une gastro XXL qui vous décimait des armées entières au Moyen-Âge. La seconde est une tuberculose pulmonaire. Le terme provient du grec « phthisis » qui désigne l’action de se consumer, d’être réduit jusqu’à l’extinction.

Épidémie de dysenterie
Impact de la tuberculose sur les poumons

Donc, après avoir cogné sur les fusiliers, la douairière a trouvé un râteau que le marguillier avait laissé trainer, puis a battu le pauvre homme avec jusqu’à ce qu’il ait une diarrhée aiguë et du mal à respirer. 

Paragraphe 4 : des représailles peu catholiques

« – Par saint Martin, quelle hémorragie, s’écria ce bélître ! A cet événement, saisissant son goupillon, ridicule excédent de bagage, il la poursuivit dans l’église tout entière ». 

Contrairement à Sainte-Adresse, saint Martin est, dans ce contexte, un vrai saint (et non pas l’île des Caraïbes qu’on partage avec les néerlandais). Il est connu notamment pour avoir partager la moitié de son manteau avec un mendiant. 

Le mot bélître vient quant à lui du néerlandais « bedelare » qui signifie… un mendiant ! Il a été repris en France sous forme d’insulte afin de désigner un vaurien, un gueux. D’où le petit clin d’oeil à saint Martin juste en début de phrase. Malin le Mérimée ! 

Quant au goupillon, il s’agit d’un petit objet avec un manche et un bout arrondi qui sert à asperger les fidèles d’eau bénite.

Image du marguillier, du goupillon et de la douairière juste avant qu’il se mette à la courser dans l’église

Conclusion : c’est l’histoire d’un mec…

En résumé, la dictée de Mérimée, plus difficile dictée du monde, est l’histoire d’un mec (le marguillier) qui bosse dans une église en Normandie. Un jour, avec le mécénat d’une veuve pleine de tunes, il organise un super festin pour les paroissiens ! Des soldats, étrangers de la paroisse, essaient de taper l’incruste et se font bastonner par le mec et la veuve. Cette dernière pète un plomb, prend un râteau et se met à cogner son associé avec jusqu’à le rendre malade. Celui-ci attrape donc le bâton de cérémonie du prêtre, qui trainait aussi par là (de toute évidence, le marguillier n’était pas très bon à son job) et la course dans l’église pour lui rendre la monnaie de sa pièce. 

En conclusion, Mérimée n’avait pas qu’une excellente maîtrise de l’orthographe, il avait également un bon sens de l’humour ! Maintenant que vous savez la véritable histoire de la dictée, peu importe votre nombre de fautes, vous allez pouvoir briller en société et clouer le bec à votre cousine qui a fait hypokhâgne.

Remerciements à Loulou pour m’avoir fait découvrir la dictée de Mérimée, et pour m’avoir compté 35 fautes au lieu de 37.

Pour aller plus loin : 

Remerciements à Léa, Mathilde et Anaïs pour leur aide pour l’analyse du texte.


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