Pour la cinquième année consécutive, la mairie de Sarralbe, en Moselle, diffuse en ligne le quotidien d’un couple de cigognes blanches ayant élu domicile sur le toit de l’édifice. Grâce à une webcam, 30 000 internautes découvrent chaque jour la vie de ces volatiles.
Les acteurs de ce Truman Show version oiseaux se prénomment Maurice et Mélodie. En mars dernier, leur famille s’est agrandie avec la naissance de 5 cigogneaux. Exprime a donc décidé d’en apprendre un peu plus sur les cigognes, afin de vous permettre de mieux comprendre leurs comportements et leurs méthodes d’éducation.
Un sacré oiseau
Dans l’imaginaire collectif, la cigogne a plutôt bonne presse. Partout où elle élit domicile, on la considère comme un oiseau de bon augure. Malgré les différences culturelles, sa positivité semble faire l’unanimité, au point que certaines villes l’affichent volontiers sur leurs blasons et armoiries.
Si l’humain a une relation aussi étroite avec la cigogne, c’est parce que, dans de nombreuses cultures antiques, cet animal était assimilé à l’âme. Cette conception provient de l’Egypte où Ba (l’âme) était représenté en hiéroglyphes sous la forme de la cigogne africaine. A la même époque, l’échassier était également respecté à Rome et en Grèce, car il symbolisait la dévotion filiale (on pensait alors que les cigognes s’occupaient de leurs vieux parents.).
Plus tard, le folklore européen l’a associé à de nombreuses légendes, la plus connue étant celle popularisée par Hans Andersen (puis Walt Disney) selon laquelle les cigognes délivrent les bébés.
Dans la culture germanique, avoir un nid de cigogne sur son toit était un gage de fertilité, de prospérité et de protection contre la foudre. Elle fait également partie du bestiaire d’Esope, puis de de La Fontaine, où elle surpasse le renard en ingénuité (une prouesse !). Dans les traditions musulmanes et hébraïques, la cigogne est un oiseau sacré qu’il est interdit de chasser ou de consommer. Au Maroc et en Turquie, la légende veut que cet oiseau migrateur apporte les âmes des défunts jusqu’à la Mecque, afin qu’ils puissent effectuer, avec elle, le pèlerinage qu’ils n’ont pu faire de leur vivant.
Dans de nombreuses cultures, tuer une cigogne équivalait donc à tuer un être ayant une âme. Le fait qu’elle ait été respectée et préservée pendant des siècles peut expliquer pourquoi, aujourd’hui encore, nous lui sommes liés.
L’épopée de Maurice et Mélodie
Vous l’aurez donc compris, la cigogne n’appartient pas à un seul pays. Elle n’appartient même pas à un seul continent. Grande migratrice, elle passe un quart de l’année en déplacement. Affublées d’un instinct grégaire, elle se déplace en colonie, parfois composée de centaines d’individus. Avant d’atterrir à Sarralbe, Mélodie et Maurice ont donc connu les steppes africaines, survolés les pyramides et bu un petit café sur la Rambla.
Comme vous pouvez le constater sur la carte, les cigognes reviennent en Europe en contournant la Méditerranée. Ce détour s’explique par le fait qu’elles privilégient les courants thermiques ascendants pour se déplacer. Ils lui permettent de survoler de longues distances sans nécessiter un seul battement d’aile. Or, ces courants n’existent pas au-dessus de la mer. Mélodie et Maurice ont donc dû passer par les terres pour venir jusqu’à nous. Celles qui s’aventurent au-dessus de l’eau tombent souvent d’épuisement et meurent noyées.
Cependant, le réchauffement climatique dû à l’activité humaine, bouleverse l’instinct migratoire des cigognes. Leurs quartiers d’été se réchauffant naturellement, l’espèce n’a plus besoin d’atteindre l’Afrique pour se nourrir en hiver. Certaines ne dépassent plus l’Espagne, tandis que d’autres ne quittent même plus la France. Et celles qui migrent encore reviennent de plus en plus tôt en Europe. À Sarralbe, la colonie est ainsi arrivée cette année avec 15 jours d’avance !
Sacs plastiques et crustacés
Étant (en principe) une nomade, la cigogne a un régime alimentaire assez flexible. Elle se nourrit d’insectes, de reptiles et de petits mammifères, qu’elle débusque et tue avec son long bec. Elle raffole particulièrement des criquets rouges et des écrevisses.
En Afrique, elle piège ses proies lors des feux de brousse ou du passage de troupeaux d’animaux sauvages. En Europe, elle chasse dans les prairies humides et les champs fraîchement coupés. L’intervention de l’homme dérangeant la faune, la cigogne n’a plus qu’à se servir. (#partisanes du moindre effort).
Mais, là encore, l’action de l’Homme contraint la cigogne à s’adapter. Avec la disparition des terres agricoles, et donc de ses territoires de chasse, certaines cigognes se tournent vers les décharges afin de trouver leur nourriture. Cette nouvelle habitude, bien que prolifique, peut être dangereuse pour leur santé. Elles risquent de s’empoisonner avec des métaux lourds, de s’étouffer avec du plastique ou de faire des occlusions intestinales en avalant les élastiques qu’elles prennent pour des vers de terre.
Cet engouement pour nos ordures contribue à leur sédentarisation. N’ayant plus besoin de chasser, la cigogne opte pour passer l’hiver à proximité des décharges portugaises ou espagnoles (c’est comme si votre supermarché se trouvait à 5000 km et que, tout d’un coup, un McDonald s’ouvrait en bas de chez vous. Entre un burger-frites quotidien et un voyage parfois mortel, c’est tout réfléchis).
Le choix du nid
Dès février, les cigognes arrivent dans leurs quartiers d’été afin de se reproduire. Elles s’établissent à proximité des villes, leurs nids étant souvent juchés en haut des maisons, des arbres ou des poteaux.
Le choix du nid est stratégique. Il doit être en hauteur pour éviter les prédateurs, à moins de 5 km d’une zone de nourriture (les petits devant être nourri toutes les heures les 10 premiers jours) et suffisamment grand.
Ce dernier critère est particulièrement important. Plus le nid est large et solide, moins les cigogneaux risquent de tomber ou le nid de s’envoler. De plus, la taille est un gage de qualité. Les nids étant réutilisés et renforcés chaque année, plus ils sont grands, plus cela signifie que les nichées précédentes ont eu du succès. À l’inverse, les nids avec un haut taux de mortalité seront abandonnés. À Sarralbe, le nid de la mairie semble donc particulièrement fécond.
Ce sont les mâles qui sélectionnent le nid. Ils migrent un peu avant les femelles afin de faire du repérage et de trouver l’emplacement idéal pour leur futur progéniture. Les vieux mâles ont généralement les meilleurs nids, au centre de la colonie, tandis que les jeunes, qui arrivent en retard, se contentent de ce qui reste. Une fois le nid nettoyé et remis à neuf, il ne leur reste plus qu’à attendre leur compagne pour que l’accouplement commence.
Comme de nombreux oiseaux, les cigognes sont monogames, bien que pas toujours fidèles. Les couples se retrouvent chaque année afin de procréer.
À cause de leur sédentarisation progressive, les colonies de cigogne commencent à manquer de nids. À Sarralbe comme ailleurs, de nouveaux habitats sont régulièrement construits par les jeunes couples qui ne trouvent pas à se loger. Certains élisent domicile sur des poteaux électriques, provoquant parfois des départs de feu.
La famille s’agrandit
Les cigognes peuvent se reproduire dès l’âge de 3 ans et n’ont qu’une seule couvée par an. Cette année, à Sarralbe, le premier oeuf a été pondu mi-mars. Au total, 5 oeufs sont apparus au fond du nid, à raison d’une ponte tous les deux jours. Mélodie et Maurice se sont relayés afin de couver les oeufs pendant la période d’incubation (entre 33 et 34 jours), sauf la nuit, où c’est Mélodie qui s’en charge.
Le premier oeuf a éclos le 23 avril. L’aîné des cigogneaux a été prénommé Thomas, en l’honneur du départ de Thomas Pesquet pour l’ISS. Ses frères et soeurs ont suivi les jours suivants. Les cigogneaux sont normalement baptisés d’après les employés de la mairie, mais cette année, les internautes ont été mis à contribution. Il est possible de proposer des noms sur la page Facebook des cigognes de Sarralbe.
Les naissances étant asynchrones, tous les cigogneaux n’ont pas la même taille. Les cadets, qui sont les plus frêles, peuvent être tués si la nourriture vient à manquer (pas d’inquiétude, il y a assez de nourriture à Sarralbe).
Lorsqu’un parent couve, l’autre chasse. La cigogne régurgite la nourriture au fond du nid afin de permettre à tous les oisillons, même au plus chérif, d’avoir leur part.
À leur naissance, les cigogneaux ont un fin duvet gris qui va s’épaissir et blanchir au cours de leur développement. Aux alentours de 3 semaines, ils vont commencer à se déplacer et à explorer le nid (quitte à provoquer des ulcères aux internautes lorsqu’ils s’approchent du bord). Le froid et l’humidité étant la principale cause de mortalité, leurs parents vont constamment essayer de les maintenir au sec.
Tout au long de l’été, Mélodie et Maurice vont consciencieusement entretenir leur nid. Ils vont ramener des branchages, percer des trous afin de drainer l’eau et entourer leurs oisillons d’herbes et de mousses pour leur tenir chaud.
Grâce à la nouvelle webcam de la mairie, les internautes vont pouvoir entendre, pour la première fois, les cris des oisillons. Ceux-ci poussent de petits miaulements (oui c’est le terme). En grandissant, ils deviendront aphones, comme leurs parents. En effet, les cigognes n’ont pas de voix.
Cette disparité est due au fait que leur syrinx (l’équivalent du larynx chez nous) est très peu développé. La communication entre adulte se fait donc par des mouvements de tête (qui font un peu penser à l’Exorcisme) et par des craquettements du bec.
Le futur de la colonie
Deux mois après leur naissance, les cigogneaux sont prêts pour l’envol ! Ils repartiront à la fin de l’été, un peu avant leurs parents, vers les zone d’hibernations. Certains se perdront en route. Leurs premières années se passeront au chaud dans le sud, jusqu’à ce qu’ils atteignent leur maturité sexuelle et soient prêts à revenir dans nos contrées.
Les oisillons de l’an dernier ont été bagués avant leur exode. Si ceux de cette année le sont aussi, les ornithologues pourront les traquer tout au long de leur vie (20-30 ans). Ils apporteront ainsi de nouvelles données sur les habitudes migratoires des cigognes. En attendant, ils continuent à grandir et à découvrir leurs capacités sous l’œil attentif de leurs parents.
Pour aller plus loin :
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