Être un chêne, dans l’intimité d’une forêt

Que sont les arbres ? Question en apparence simple, mais se l’est-on déjà vraiment posée ? Couverts de neige et semblant dormir en hiver, témoins verts du printemps qui revient, garants d’une ombre bienvenue en été. Aujourd’hui, octobre est là, c’est l’automne et les jours raccourcissent, la grisaille humide revient. Les arbres, eux, nous font d’autant plus apprécier les balades en forêt, par leurs couleurs flamboyantes et leur présence réconfortante incontestée. Mais les regarde-t-on si bien ?

Une question simple ?

« Que sont les arbres ? » est la question que pose l’auteur et forestier Laurent Tillon au tout début de son livre Être un Chêne, sous l’écorce de Quercus publié aux éditions Actes Sud dans la collection « Mondes Sauvages » en 2021.

©Marine – Chênes

Des racines, un tronc, des branches, des feuilles, une apparence simple donc. Mais en y regardant d’un peu plus près, aucun arbre n’a la même forme, il y a des essences différentes, d’autres végétaux, d’autres arbres, des oiseaux qui pépient, des champignons à ramasser, une forêt finalement. Tout est là, sans que l’on se demande vraiment pourquoi.

Pour répondre à toutes ces questions simples que l’on ne se posait pas, Laurent Tillon nous propose dans son livre de découvrir ce que l’on n’imagine pas de la vie des arbres, de leur apparition à l’état de fruit sur « l’arbre-parent » à leur forme adulte, parfois immense et imposante. Pour cela, il choisit de nous plonger dans l’intimité de la vie d’une essence souvent rencontrée en forêt : le chêne. Mais pas n’importe lequel…

Une chaîne de VELO et un Chêne Nouveau

Quercus petraea est le nom scientifique complet du chêne sessile. Quercus, son nom de genre, vient du celte et signifie « bel arbre ». Laurent Tillon nomme ainsi celui qu’il appelle son arbre compagnon.

Beaucoup sont ceux qui disent avoir un arbre auprès duquel ils se sentent bien, pour se ressourcer, se reposer. Laurent Tillon a rencontré le sien alors qu’il était jeune, au hasard d’une sortie vélo. Il a fallu une chaîne qui saute juste au niveau d’une zone forestière pour faire découvrir à l’adolescent cet endroit immédiatement synonyme d’apaisement.

©Marine – Feuillage de chêne

Laurent Tillon reviendra souvent dans ce refuge, s’asseyant ici et là contre les arbres, mais c’est auprès de Quercus qu’il se sent le mieux. Celui qui ne sait pas encore qu’il en fera son métier découvre la quiétude d’un tel lieu et se met à observer le chêne et tout son environnement. Mais comment tout cela fonctionne ? Comment ces êtres interagissent entre eux ? Comment Quercus est arrivé là, avec ces branches disposées de cette manière et pas autrement ? Tant de questions auxquelles Laurent Tillon, aujourd’hui chargé de mission faune et biodiversité ainsi qu’animateur du réseau naturaliste mammifère à l’Office National des Forêts, essaye de répondre dans ce livre.

Raconter l’histoire sans parler

Quercus a aujourd’hui environ 240 ans et s’il pouvait parler notre langue, il en aurait à nous raconter c’est certain. Mais bien qu’il ne puisse pas partager avec nous de vive voix son histoire, nous pouvons compter sur Laurent Tillon qui a, lui, utilisé toutes ses connaissances de forestier, ainsi que ses observations pour supposer l’histoire qui aurait amené son arbre compagnon ici, maintenant, sous cette forme.

Et c’est certain, elle s’est forgée au fur et à mesure des rencontres et des interactions avec les autres êtres de son écosystème. Car non, la forme d’un arbre, d’une branche, la disposition d’une forêt ne sont pas dues au hasard et n’ont pas toujours été telles qu’on les connaît aujourd’hui. Dans les années 1800, l’espace forestier représentait 17% du territoire métropolitain, avec un seuil au plus bas (13%) aux alentours de 1857. Actuellement, 31% du territoire métropolitain est forestier. (source)

Mais qui intervient au juste ? De quelle façon ? L’histoire de Quercus commence alors qu’il n’est encore qu’un gland sur son « arbre-parent » et déjà à ce moment-là, rien n’est garanti pour lui. Une chute vertigineuse, des animaux gourmands, une ronce protectrice, des champignons envahissants, Quercus n’est finalement jamais vraiment seul, ni jamais vraiment tranquille et de véritables aventures l’attendent au fur et à mesure de sa croissance.

Qui vient donc troubler la quietude de quercus ?

Afin de mieux comprendre chaque interaction, Laurent Tillon organise son livre en chapitre, chacun racontant une rencontre et chacun titré du nom de l’acteur du jour (du jour ou de la décennie, rappelons-nous que l’échelle du temps pour les arbres n’est pas exactement la même que la nôtre).

Comme Quercus, nous rencontrons Apodemus le mulot, Tortrix la chenille ou encore Fagus le hêtre, sans oublier Homo, l’homme.

Bien qu’il choisisse de nommer les protagonistes de l’histoire supposée de Quercus, l’auteur évite adroitement l’écueil de l’anthropocentrisme tout en nous donnant l’impression de plonger au cœur de leur intimité, de leur manière de fonctionner.

Pour cela, il partage avec nous des explications scientifiques précises et nécessaires (et très digestes) à la compréhension des interactions à toutes les échelles, surtout celles invisibles à l’œil nu.

©Marine – Ecorce de chêne

Subtilement, Laurent Tillon nous laisse nous attacher à cet arbre et à son histoire, en instillant un suspense qui nous pousse à oublier l’existence actuelle bien réelle de Quercus, du haut de ses 32m. On tourne les pages pour connaître la suite, réalisant au fur et à mesure des chapitres que ce chêne ne pourra peut-être pas continuer à être, à croître. Chaque rencontre est un potentiel combat, une situation à risque, qui l’oblige à se défendre parfois, grâce à des mécanismes chimiques par exemple, mais aussi à s’associer de temps en temps avec des partenaires inattendus. L’adaptation, toujours.

L’Homme fait également partie de ces rencontres et la grande Histoire se mêle à celle de Quercus. L’évolution de la société, des modes de vie au fil des époques, mais aussi des méthodes d’agriculture, de gestion de la forêt, les Hommes interagissent avec ce chêne, de près ou de loin.

©Marine

Alors oui les arbres sont en apparence solides et nous procurent de la sérénité, mais on est bien loin d’imaginer tout ce à quoi ils font face pour arriver là où il sont quand on les aperçoit lors de nos balades. Et pourtant nous sommes beaucoup à aller les côtoyer, en moyenne il y a près de 700 000 000 visites de nos forêts par an.

Et si lors de notre prochaine marche en forêt, on se posait cette simple question « que sont les arbres ? » et qu’au lieu d’attendre une réponse, on se contentait de les regarder, les écouter, ces arbres et leurs compagnons.

Note : Toutes les photos ont été prises dans la forêt domaniale d’Hesdin dans les Hauts-de-France. Elles ne représentent pas spécifiquement le chêne raconté par Laurent Tillon dans son ouvrage, qui se situe lui en forêt de Rambouillet en Ile-de-France. D’autres chênes, parfois accompagnés d’autres essences pour les photos de paysage, illustrent cet article.

Être un chêne sous l’écorce de Quercus, Laurent Tillon, Actes Sud, Mondes Sauvages (2021)

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