Guy de Maupassant évoque sans doute, pour la plupart d’entre vous Le Horla, conte fantastique publié en 1886. C’est précisément cette œuvre qui nous intéressera un peu plus loin dans cet article. Si cette nouvelle a été découverte par nombre d’entre vous très jeunes, elle recèle pourtant certains troubles psychologiques terrifiants qu’a endurés Guy de Maupassant.
Le mot « artistes », à quoi vous fait-il penser ? Comment les percevez-vous ? Il nous vient hâtivement, pour certains, leur esprit loufoque ou dérangé. Dalí et ses oblongues moustaches se dessinent, puis le perturbé Van Gogh et son oreille coupée, ou bien Baudelaire, de chez qui se dégageaient des odeurs d’opium. Étaient-ils dérangés ces artistes ? Étaient-ils fous ? Pour certains, leurs créations n’ont été que trop imprégnées de leur maladie.
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Du sextant à la plume
Avant toute chose, un petit rappel du parcours de Guy de Maupassant en tant que jeune écrivain s’impose, tant sur sa vie professionnelle que sur sa vie personnelle, qu’on pourrait qualifier de très… animée !
Originaire de Normandie, Guy de Maupassant quitte sa région natale pour la capitale, en 1872, afin d’y occuper son poste de fonctionnaire au Ministère de la Marine. Il accepte nonchalamment ce premier travail, car il espère évoluer dans la fonction publique.
À partir de 1873, il occupe le poste de commis durant dix ans, avant d’entrer dans l’Instruction publique en 1878. Durant cette période, ses premières ébauches fleurissent, menant à la publication de son premier conte en février 1875 : La Main Écorchée.
C’est au sein de cette riche sphère artistique que Guy de Maupassant achève son premier livre, Histoire du vieux temps, en 1879, avant de produire l’année suivante, Boule de Suif, une nouvelle naturaliste. S’essayant également aux pièces de théâtre, l’artiste se consacre à l’écriture d’articles de journaux pour Le Figaro et L’écho de Paris.
Entre 1880 et 1890, il achève six romans et trois cents nouvelles, et s’essaie aussi au récit de voyage. Cependant, la conception du premier roman à succès de l’artiste, Une vie, s’étend sur six années : vingt-cinq mille exemplaires sont vendus lors de son année de parution, en 1883. Son second roman, Bel-Ami, est publié l’année suivante.
Gustave Flaubert, ami de l’écrivain, devient pour lui un guide dans le monde journalistique et littéraire. C’est de cette manière que le jeune prodige rencontra nombre d’artistes appartenant aux mouvements naturaliste et réaliste.
Une vie de débauche propice aux maladies
Lors de son premier travail, Guy de Maupassant commence à s’adonner aux plaisirs de la chair. Doté d’un physique avantageux, il attire de nombreuses femmes issues de toutes classes sociales, allant de la bourgeoise à la prostituée.
Les amis de l’écrivain mentionnent que celui-ci aurait participé à des orgies. Est-ce une rumeur de l’époque provenant de confrères jaloux de son succès ? Nous ne le saurons jamais, mais cette information a fortement enrichi le rôle de dandy que l’artiste remplissait à merveille.
Une autre dépendance marque fortement la vie de ce dernier, accentuant son existence de débauche : la drogue. Au 19e siècle, l’utilisation de haschich, cocaïne et opium est très en vogue chez les artistes comme Arthur Rimbaud, et Paul Verlaine.
Guy de Maupassant se tourne essentiellement vers la consommation de l’esther. Il perçoit dans cette drogue un double avantage : en proie à de nombreuses migraines, cette substance peut les apaiser, mais aussi apporter à l’écrivain l’inspiration qu’il recherche pour ses créations littéraires. C’est de là qu’est né Pierre et Jean.
Abusant de ces substances, une crise d’aphasie se manifeste alors chez l’auteur, le rendant muet durant un mois. On pourrait penser que, par la suite, il aurait stoppé sa consommation. Il en fallait cependant bien plus pour freiner notre prodige…
Après ce premier incident, il retombe de plus belle dans les méandres de la drogue ! Des hallucinations sont également un des effets secondaires (et pas des moindres !), se développant en autoscopie, où Guy de Maupassant pense voir son double.
L’environnement de l’artiste fut ainsi un terrain favorable au développement de la maladie dont il sera touché : la syphilis.
Des tentatives de guérison peu concluantes
Si Guy de Maupassant choisit de mener une vie de débauche, il sait pourtant qu’il hérite d’une santé fragile. Mais il n’y prête tout bonnement aucune attention ! Sa mère présentait les symptômes de l’hystérie : la paralysie, le trouble du langage, l’amnésie et les convulsions épileptiques. Son frère a aussi connu de nombreux troubles mentaux. Ces fragilités héréditaires ont ainsi facilité le développement rapide de la syphilis chez l’écrivain.
Par la suite, différentes phases de la maladie se distinguent. De 1870 à 1880 a lieu la période d’intoxication, avec l’apparition des premiers symptômes dès 1877 ; puis de 1880 à 1890, la période d’incubation, ponctuée d’accidents psychiques et somatiques, comme des phobies et des insomnies. Cependant, durant cette décennie, l’auteur peut faire appel à toutes ses capacités mentales et conserve un automatisme professionnel, lui permettant de produire cinq volumes en seulement une année !
Mais à partir de 1890, le développement de la maladie s’accentue par un changement de physionomie et une perte évidente de l’intelligence. La maladie de Guy de Maupassant devient visible et entrave sa passion de l’écriture.
Comme remèdes, les médecins prescrivent, à cette époque, de l’ode, du mercure ou du bromure, mais aussi des cures thermales. Guy de Maupassant séjourne ainsi dans plusieurs villes proposant des bains thermaux : Aix-les-Bains, Bagnères-de-Luchon, Châtel-Guyon… Une inspiration pour le roman Mont-Auriol, évoquant non sans ironie ses séjours curatifs.
Après cela, son rythme de production diminue et son genre d’écriture se modifie, avant signe que la paralysie générale gagne du terrain et ne mette un terme à sa production littéraire.
Lire les troubles de Guy de Maupassant entre les lignes
Plusieurs écrits laissent entrevoir les déboires de l’artiste : Lui ?, Le Horla et Qui sait ?. Composés à la fin de sa vie, les symptômes se révèlent auprès des lecteurs. Des angoisses quotidiennes, des hallucinations autoscopiques, mais aussi la perte d’identité y sont décrites.
Si nous nous concentrons sur Le Horla, écrit en 1887, nous découvrons les troubles de l’identité de l’écrivain et sa paranoïa. Tout en connaissant les problèmes de santé de Guy de Maupassant, le contexte du Horla nous porte à croire qu’il a la sensation de se voir et d’éprouver de l’étrangeté face à son reflet. Dans la nouvelle, le protagoniste est submergé d’une angoisse croissante, suite à l’apparition d’un double dans son environnement.
La forme de la nouvelle se rapproche d’un journal intime. Ce qui laisse penser que l’écrivain nous confie son état de santé mentale, et que cette composition est un espace réflexif interne identitaire pour lui.
Le Horla se déroule également dans un environnement réaliste, laissant planer le doute quant à une différence entre l’auteur et le narrateur : s’agirait-il de la même personne ? Le Horla est-il simplement le fruit de l’imagination de Guy de Maupassant ou existe-il vraiment ?
Guy de Maupassant compose cette nouvelle alors que son frère est interné, lui-même en proie aux symptômes de la syphilis.
Les quelques années précédant sa mort, Guy de Maupassant développe une affection particulière pour la solitude. Après une tentative de suicide évitée, il réitère et se blesse à la gorge avec un rasoir lors d’une de ses crises de démence. Après avoir consulté un psychiatre, il est interné. Cependant, aucun traitement ne permet à l’époque de soigner l’écrivain. Il décède de paralysie générale à l’âge de 43 ans, en 1893.
Ce n’est qu’à partir de 1910 qu’un traitement contre la syphilis sera développée par Sahachiro Hata. Une trentaine d’années plus tard, en 1943, la pénicilline est employée pour lutter contre la maladie. Produite massivement après la Seconde Guerre mondiale, elle permettra de guérir nombre de personnes. D’autres artistes en ont été atteints comme le poète Baudelaire, le peintre Paul Gauguin, ou bien le musicien Beethoven.
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