paysage pont deux personnage accoudés, photo, Kaci Ouelhadj

Teen Snuff film : le cinéma Underground

À travers les déambulations de quatre personnages dont le destin se croise ou s’évite, la caméra de Kaci Ouelhadj explore la condition de toute une génération. Loin des poncifs esthétiques, TEENAGE SNUFF FILM, son court métrage sorti en 2024, propose une interprétation toute particulière de ce que le cinéma peut offrir, notamment grâce à des thèmes éternellement actuels.

TEENAGE SNUFF FILM, LA LEÇON UNDERGROUND

Kaci Ouelhadj est un réalisateur, scénariste, musicien et photographe franco-algérien résidant en région lilloise. À l’origine de TEENAGE SNUFF FILM, il se revendique de la contre-culture, un courant d’expression artistique qui s’oppose aux codes de la culture dominante. Sans jamais s’autosatisfaire dans une expérimentation stérile et gratuite, il pose un regard original sur la condition de notre génération. Généreux et pluridisciplinaire, son univers artistique est tout autant varié, touchant des thèmes tels que la marginalité, la santé mentale, les religions et l’existentialisme.

Dans ce récit, nous accompagnons quatre jeunes hommes sur le seuil de l’âge adulte. Chacun d’eux, confronté aux doutes et aux incertitudes propres à cette transition, s’engage dans une quête intérieure dense. Pris dans une spirale d’interrogations existentielles, ils explorent leurs identités, leurs aspirations et les défis qui façonnent leur passage vers l’âge mûr.

Extrait du court métrage TEENAGE SNUFF FILM, réalisé par Kaci Ouelhadj

Plus globalement, ce court-métrage est une porte d’entrée vers ce que l’on appelle la scène underground lilloise, là où dans l’ombre des projecteurs, une myriade d’artistes questionne des sujets aussi sensibles qu’universels, et toujours sous des formes pareillement diverses et surprenantes.

DE LA MAITRISE…

Sur la scène underground, TEENAGE SNUFF FILM tient la place d’exemple en ce qu’il est un métrage réalisé avec peu ou pas de budget, un matériel limité, obsolète, et une petite équipe passionnée et autodidacte.

Mais comme souvent dans le milieu culturel, l’union fait la force. Si certaines images se révèlent difficiles à faire éclore, elles sont enrichies par des visuels surplombés de monologues en voix off. Ces derniers nous ouvrent les pensées de personnages qui, malgré tous nos efforts, nous ressemblent bien plus qu’on ne le voudrait.

Extrait du court métrage TEENAGE SNUFF FILM, réalisé par Kaci Ouelhadj

Grâce à cette voix off, Kaci nous invite à suivre un récit bien huilé. Si TEENAGE SNUFF FILM s’inscrit dans un courant hostile aux canons traditionnels, ce court-métrage ne surgit pas de rien. Il est façonné par une histoire et des références que nous pouvons approcher humblement par notre univers culturel familier.

Bien que certains passages paraissent abscons ou trop personnels, des signaux nous ramènent très vite à la terre ferme. Par exemple en filmant en gros plan des cartes YU-GI-OH. C’est peut-être là tout le charme de ce film : faire la balance entre un imaginaire commun et une réflexion personnelle. À travers de multiples gestes référencés comme celui-ci, il tente de joindre ce qui nous unit le mieux, au prix de mettre le doigt sur des vérités aussi difficiles à entendre que dangereuses à ignorer.

…AU MALAISE

Parallèlement, une ambiance protéiforme gouverne tout le long du film. Chaque transformation visuelle nous renseigne sur l’état d’esprit des personnages et rendent d’autant plus parlant leur mutisme. Ce même mutisme qui parfois, les jette dans l’eau d’un malaise mortifère. Indécis, ils tardent à en sortir, s’y complaisent ou s’y arrache mollement.

Extrait du court métrage TEENAGE SNUFF FILM, réalisé par Kaci Ouelhadj

« Pour ma part, j’ai été particulièrement saisi par un monologue d’un des personnages qui raconte la fois où, « la fille aux yeux verts » l’a rendu impuissant, autant face à la situation qu’à l’idée qu’il a de lui-même. Tout ça, avec La balade de Jimmy d’Alain Souchon en fond sonore. Une scène touchante, là où, peut-être, personne n’a été épargné. »

Yosserian, rédacteur

« Il ne faut pas que t’aies peur » professe un des amis du personnage que l’on découvre à peine alors à l’écran. Sur le ton de l’évidence, il nous rappelle que son mal n’est pas une fatalité. Malheureusement, son malaise l’aveugle si bien que toutes ses pensées convergent en lui-même. Naturellement, cela génère des tensions. Ne trouvant pas toujours de canal de communication approprié, elles finissent par l’étouffer de l’intérieur.

Ces tensions font logiquement écho à ce que tous les personnages ont de plus commun avec leur génération. Ils évoluent tous dans une société qu’ils comprennent de moins en moins. Ces mêmes tensions redoublent de pouvoir lorsqu’elles font de leur intériorité leur territoire, pays aux frontières indépassables, les isolants d’autant plus.

QUE DE CHOIX, QUE DE CHOIx

En apparence banale, notre faculté de faire des choix permet de prendre un millier de décisions chaque jour. Tassée sous les pathologies latentes de nos personnages, elle est ici bien plus. Grâce à elle, ils expérimentent ce qu’il y a de plus sincère en nous. Leur attitude reflète l’expérience radicale, pour ne pas dire absurde, de l’existence humaine. Elle qui, sans ne jamais dire pourquoi, émerge dans un univers dépourvu de sens ou de valeurs préexistantes.

Ce concept est incarné par l’existentialisme de Jean-Paul Sartre, particulièrement par sa célèbre maxime « l’existence précède l’essence » (Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, Gallimard, 1996). Une formule qui indique que l’être humain, dans sa plus belle singularité, n’est défini que par lui-même. En ce sens, l’existentialisme se présente comme une philosophie optimiste et axée sur l’action.

Affiche Teenage snuff film
Affiche du court métrage TEENAGE SNUFF FILM, réalisé par Kaci Ouelhadj

Pour autant, une angoisse persiste. À ne pas confondre avec l’anxiété ou la peur, l’angoisse est toujours angoisse du néant. C’est un vertige provoqué par la liberté. Vécue comme la disposition fondamentale de leur existence, elle est pour nos personnages sournoise et lancinante.

Malgré tout, ils ne restent pas là à se délecter du sel de leurs larmes. Leurs actions, pourtant opposées à leur discours intérieur, prouvent qu’ils cherchent, tant bien que mal, une réponse, un je-ne-sais-quoi de révélateur sinon de réconfortant. Devant TEENAGE SNUFF FILM, une voix s’élève : tout reste à accomplir, tout est possible, c’est la découverte d’une liberté qui, bien que vide de substance, convoque un pouvoir infini.

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