par Le film Chlopi ou La jeune fille et les paysans, film d’époque polonais réalisé par DK Welchman et Hugh Welchman en 2023, a donné de quoi parler lors des Oscars 2023. Les deux réalisateurs sont connus notamment pour leur film Loving Vincent qui raconte la vie et la mort du peintre Vincent Van Gogh.
Une œuvre hybride : film, peinture et livre
Le travail derrière le film Chlopi consiste en de la peinture à la main sur des images en direct. Au départ, le film a été tourné avec les acteurs et actrices, puis les scènes ont été entièrement peintes à la main : 40 000 peintures à l’huile (ce qui correspond à environ six images par seconde de la séquence obtenue) à raison de cinq heures par peinture.
Pour réussir cela, l’équipe du film a travaillé avec des peintres en Ukraine, Pologne et Serbie. Le peintre polonais Jozef Chelmonski a eu une grande influence sur le tableau, ses paysages étant particulièrement visibles ici. Les animateurs ont ensuite travaillé pour compléter les peintures afin de rendre l’ensemble du film fluide. La musique, quant à elle, rappelle celle d’un jeu vidéo également ancré dans la culture polonaise : The Witcher III.
L’histoire se déroule au début du 20e siècle, les valeurs démodées au sein d’une communauté très unie désavantagent immédiatement les femmes. C’est pire dans le cas de Jagna : elle fait constamment l’objet de ragots en raison de son statut de célibataire et sans enfant, de son refus à se marier et des rumeurs selon lesquelles elle serait une « fille facile ».
« Après des années de travail sur un film sur Vincent van Gogh, j’ai ressenti un fort besoin de parler des femmes : de leur combat, de leur passion et de leur force. »
DK Welchman
Le film a été sélectionné pour l’Oscar dans la catégorie du meilleur film international. La puissance du rôle de Jagna joué par Kamila Urzedowska touche le spectateur. Les dogmes de l’époque tentent d’éteindre son esprit, mais la jeune fille ne se laisse pas faire.
L’histoire de Chlopi prend sa source dans le roman polonais du même nom, de Wladyslaw Reymont. Un roman que tous les étudiants polonais on au moins lu une fois dans leur vie. Le livre fut écrit en quatre parties, en raison des saisons, et publié entre 1904 et 1909. Le projet de réaliser un film qui se base sur ce livre si populaire était un défi pour les réalisateurs, puisque tout le monde avait déjà une opinion. Le fait que ce soit un livre “scolaire” rendait également difficile la tâche de le faire attirant pour les amants du septième art.
Władysław Reymont était populaire dans la Pologne communiste en raison de son style d’écriture et de son symbolisme. Il utilisait notamment des concepts socialistes, une représentation romantique de la campagne agraire et une critique tonique du capitalisme. Il a gagné le Prix Nobel de Littérature en 1924 avec Chlopi, ce qui explique la popularité du roman.
La place de la femme
Le sujet du mariage est central. Suite à l’union forcée de Jagna, tous ses problèmes commencent. Elle n’est pas une femme traditionnelle, elle profite de sa solitude et ne souhaite pas se réduire au rôle de femme ou de mère. Cela fait d’elle la cible d’histoires et de mensonges de la part des villageois.
Une des scènes les plus poignantes est celle du mariage de Jagna. La beauté des cérémonies traditionnelles polonaises de l’époque est de réunir tout le village autour des danses traditionnelles et de la vodka. Dans Chlopi, la mariée fait partie de ce “rituel” par la force, car c’est sa mère qui a décidé pour elle. On l’a littéralement échangé pour quelques hectares de terre. Jagna est objectifiée : elle se voit forcée à accepter ce nouveau mariage devant tout le village et exécute toutes les danses traditionnelles plus comme une routine que comme un moment de joie. La jeune femme obéit aux désirs des autres, mais est empêchée d’écouter les siens.
La relation qu’a Jagna avec Antek, le fils de son mari, est tourmentée et a commencé bien avant son mariage. Antek est aussi marié, mais quand cette relation est découverte, c’est la réputation de Jagna qui est « tâchée ». Elle devient alors la proie de tout le village : personne ne souhaite s’asseoir à côté d’elle ou de sa mère à la messe, le maire du village essaye d’abuser d’elle… Jagna devient victime de toutes les accusations.
Jagna essaye d’ignorer tous ses problèmes, d’être plus forte que les commérages du village. Elle est l’image d’une femme puissante en quête de liberté, une femme en avance pour son époque.
La dernière scène du film est sans doute la plus choquante. Jagna est expulsée du village : les habitants rentrent chez elle de force, la frappent elle et sa mère, puis l’emmènent nue à l’extérieur où elle est à nouveau victime de coups. Après cette scène malaisante, on voit une Jagna qui n’a plus rien à perdre. Elle sourit car se sent finalement libre et trouve de la force dans ce moment éprouvant. Il pleut, elle se relève et part vers la forêt.
Dans Chlopi, les peintures rendent l’ambiance lugubre en hiver et pleine de douceur au printemps. Elles suivent à la perfection les thématiques du film, entre histoire d’amour et tragédie. Un beau film pour découvrir la culture et les traditions polonaises. Chlopi sortira le 20 mars 2024 dans les salles de cinéma françaises.
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