Pilar Albarracín, quand l’ironie déconstruit les clichés espagnols

À l’occasion de la 7e édition de Lille 3000, l’œuvre de l’artiste sévillane Pilar Albarracín, est exposée à la Maison Folie Moulins, à Lille. L’opportunité de (re)découvrir la culture espagnole à travers les yeux d’une artiste souhaitant dénoncer, avec ironie, les clichés associés à celle-ci.

Une enfance sous régime dictatorial

Née en 1958, Pilar Albarracín grandit dans une Espagne sous un régime dictatorial, avec la présence de Francisco Franco à la tête du pays depuis 1936. Les années 60, vont, par ailleurs, être un tournant dans la mise en place de ce régime avec une restructuration et la mise en place d’une nouvelle politique économique.

L’un des éléments marquants de ce changement est le développement du tourisme de masse et la promotion de la culture espagnole aux yeux du monde. Cette Espagne opprimée et stéréotypée va inspirer Pilar Albarracín dans sa démarche artistique avec le souhait de dénoncer ce qu’elle a pu ressentir, voir et entendre.

Différentes thématiques vont alors être abordées dans son art : la place de la femme dans la société espagnole de l’époque, la répression du peuple ou encore les violences animales lors de certaines fêtes traditionnelles. Pour illustrer ces dénonciations, elle use de différents médiums comme des photos ou des vidéos dans lesquelles elle se met en scène, mais aussi des installations ou encore des broderies.

La place de la femme : Sujet central

Placées sous la tutelle de leurs pères, frères et époux, les femmes étaient sous contrôle et sans réelles libertés dans cette Espagne franquiste. L’emprise des hommes sur les femmes, Pilar Albarracín la dénonce notamment dans une mise en scène vidéo nommée Viva España. Nous la voyons déambuler dans les rues de Madrid avec un cortège d’hommes présent autour d’elle, la suivant et jouant, à l’aide de leurs instruments, Y viva España, l’un des hymnes du pays, très souvent utilisé pendant la dictature.

Une production aux interprétations multiples, mais qui démontre la sur-présence des hommes dans le quotidien des femmes, dictant le rythme de vie de la femme espagnole. La musique, rappelle la présence permanente du régime franquiste dans leur quotidien, et la couleur noir de leurs habits contraste avec le jaune de Pilar. Un détail qui interpelle et qui laisse à penser qu’elle brille au milieu de ce contexte d’oppression.

Extrait photo de la performance Viva España, de Pilar Albarracín, exposée à la Maison Folie Moulins.

La thématique de la femme privée de liberté se retrouve aussi dans d’autres de ses œuvres comme Musical Dancing Spanish Dolls. Un montage vidéo dans lequel nous voyons des poupées traditionnelles espagnoles, vêtues de robes traditionnelles, réaliser une danse, elle aussi, traditionnelle. Une répétition mécanique qui fait écho à la place assignée aux femmes dans la société espagnole de l’époque.

Remplie de stéréotypes, la vidéo dénonce aussi la création de ces derniers causée par la commercialisation de la culture espagnole, suite à la volonté de l’Espagne des années 1960 et 1970 de s’ouvrir au monde extérieur.

Ce ton ironique que nous retrouvons dans son travail et qui est utilisé dans le but de dénoncer, Pilar Albarracín l’explique dans un entretien pour le magazine Architectural Digest.

« Pour moi, l’ironie est essentiellement le point lumineux au bout du tunnel. Après avoir touché toutes les misères qui font partie de l’être humain, je crois en une espérance d’avenir. J’ai un humour noir : le noir pour la réalité et l’humour pour l’avenir. »

Pilar Albarracín, pour Architectural Digest. Traduction par Hugo, rédacteur.

La cause animale : elle aussi concernée

Encore sujet à de vives critiques aujourd’hui, la cause animale est aussi l’une des thématiques que l’on retrouve dans les productions de l’artiste espagnole. C’est notamment le cas des taureaux, régulièrement maltraités et pouvant aller jusqu’à leur mort dans différentes fêtes locales. Luna de sangre, l’une de ses œuvres les plus récentes, revient sur cette fête du même nom, très populaire à Valence. Dans ces festivités, l’une des attractions consiste à mettre le feu aux cornes de certains taureaux. De son côté, sa vidéo retranscrit ces scènes, mais avec des faux taureaux, démontrant la possibilité de célébrer une fête sans maltraiter d’animaux.

La défense des animaux en Espagne n’est pas une cause nouvelle pour Pilar Albarracín. Dès 2004, avec son œuvre Lunares, elle dénonçait déjà les méfaits des corridas sur les taureaux. Pour cela, elle établit un parallèle avec les danseuses et les robes de flamenco. Vêtue d’une robe blanche et entourée de musiciens, elle danse au rythme de la musique, tout en se piquant à l’aide d’une aiguille, laissant apparaître des pois de sang. Une référence aux animaux qui subissent ces actes de tortures dans le cadre de fêtes traditionnelles.

Des expositions aux quatre coins du monde 

Pilar Albarracín est ainsi l’une des figures majeures du combat féministe en Espagne et participe à de nombreux événements et conférences sur le sujet. Au-delà du combat féministe, elle prend position sur d’autres sujets comme la cause animale et juge que l’art doit être lié à des questions sociales.

« L’art peut avoir une esthétique qui me semble plus ou moins frivole, mais quelle que soit cette esthétique, que je l’aime ou que je ne l’aime pas, je considère qu’il est nécessaire qu’il ait un contenu politique et social. » 

Pilar Abarracín, dans une interview au quotidien espagnol La Voz de Galicia. Traduction par Hugo, rédacteur.
Ses œuvres sont exposées jusqu’au 9 novembre à la Maison Folie Moulins. Photo : Hugo

Exposée dans de nombreux pays, ses œuvres continuent de s’exporter aux quatre coins du monde. C’est ainsi le cas cette année, à la Maison Folie Moulins à Lille, avec l’exposition Fuego y Veneno, mais aussi les années précédentes avec des expositions en Chine, aux États-Unis ou encore aux Émirats arabes unis. Elle a également participé à la très célèbre Biennale de Venise et a pu donner une performance en hommage au bombardement de Guernica au musée Picasso de Paris, preuve que son engagement trouve un écho bien au-delà des frontières ibériques.

Image de couverture : extrait photo de la performance Lunares, de Pilar Albarracín (2004)

Article réalisé par Hugo, stagiaire Exprime.


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