La banlieue c’est le paradis, un documentaire sur 70 ans d’histoire

Banlieue, périphérie, quartier, cité… Devrait-on en parler uniquement lorsqu’elles brûlent ? Dans le documentaire La banlieue c’est le paradis (2025), Mohamed Bouhafsi a décidé de montrer un autre visage, celui des 70 ans d’histoire des banlieues.

Le besoin

Juste après la Seconde Guerre mondiale, la France met en place une politique migratoire pour reconstruire le pays et accueillir des travailleurs étrangers. De nombreux français affluent également des campagnes pour tenter leur chance en ville.

« Mon grand père paternel me disait : j’ai acheté ma première paire de chaussure en France […] oui oui, je suis arrivé pieds nus. »

Akhenaton, artiste et producteur, dans La banlieue c’est le paradis
Extrait du documentaire La banlieue c’est le paradis (2025), Mohamed Bouhafsi, Mediawan / Troisième Oeil Productions / France Télévisions

Mais où loger tous ces gens ? Les ouvriers s’installent près des usines, dans des baraquements, des habitations précaires, sans eau courante, sans toilette, sans chauffage, bref, des bidonvilles.

« Quand je vois tous ces messieurs avec des vestes, des épaulettes et des belles écharpes, une espère de dignité au milieu de la boue, je trouve ça super émouvant. »

Sofiane Zermani, artiste et producteur, dans La banlieue c’est le paradis

Petit à petit, les pouvoirs publics commencent à ouvrir le dossier de l’habitat et l’intense production de logements permet la fermeture des derniers grands bidonvilles.

La promesse

Les masses de béton fleurissent partout en France et les constructions atteignent leur pic en 1973 avec 556 000 unités, transformant le paysage urbain français.

« On arrivait de bidonvilles, donc c’était des palaces. Il y avait la salle de bains, la cuisine, le chauffage au sol, l’ascenseur. Eau et gaz à tous les étages. Donc vraiment, c’était le luxe. »

Farida Khelfa, mannequin et réalisatrice, dans La banlieue c’est le paradis
Extrait du documentaire La banlieue c’est le paradis (2025), Mohamed Bouhafsi, Mediawan / Troisième Oeil Productions / France Télévisions

Les gens se pressent pour y habiter : les logements sont neufs et la vie y est paisible. Dans le documentaire, Monique Munoz explique avoir emménagé dans la cité des Francs-Moisins à Saint-Denis en 1976. Elle y était volontaire pour aider les voisins qui ne parlaient pas français. En fait, tout le monde vit ensemble, les bourgeois, les classes moyennes, les ouvriers… C’est la richesse du quartier.

« Des banlieues paradis de toutes les couleurs, toutes les nationalités, toutes les religions. Je me souviens qu’on y parlait aussi toutes les langues, on y vivait portes ouvertes. »

Mohamed Bouhafsi, journaliste, dans La banlieue c’est le paradis

Solidarité, entraide… Mohamed n’hésite pas à nous raconter un bout de son histoire personnelle, son père violent et le soutien de la cité. Il y raconte aussi la différence flagrante entre la tolérance en banlieue et le racisme en centre ville. Sauf que l’État veut construire plus vite, et moins cher. Les programmes sont démesurés et le chômage augmente.

La désillusion

1973, premier choc pétrolier. Il reste encore 16 millions de français mal-logés. Dans les cités, dès que quelqu’un part, d’autres arrivent, des familles, toujours plus en difficulté. Résultat : une concentration de pauvreté. Et quand les périphéries se meurent et que les activités sont concentrées en centre ville, l’ennui et ses dérives s’installent. La peur s’introduit.

« La cité, elle nous a nourris, forgés, construits, mais ce qui devait être dans les années 70 une politique de logement transitoire s’est rapidement transformée en une mécanique dont on ne parvient plus à sortir. »

Mohamed Bouhafsi, journaliste, dans La banlieue c’est le paradis

À ce moment, la politique adoptée est plutôt celle d’améliorer le patrimoine existant. Les logements collectifs vieillissent mal. Le problème n’est plus celui du nombre de ménage à loger, mais plutôt celui de la qualité de logement. On entre dans l’après Trente Glorieuses, les années 80.

L’espoir

Les barres tombent. Des endroits difficiles à vivre mais remplis de souvenirs. On réaménage l’espace et la vie associative commence à s’organiser.

« Ce qu’elles viennent d’abord chercher c’est vraiment la pratique de la langue française […] pour pouvoir vivre sans dépendre du mari […] ou tout simplement être autonomes. »

Corinne Angelini, présidente de l’association des Femmes de Franc-Moisin, dans La banlieue c’est le paradis
Extrait du documentaire La banlieue c’est le paradis (2025), Mohamed Bouhafsi, Mediawan / Troisième Oeil Productions / France Télévisions

La culture et le sport participent grandement à mettre en lumière la vie des banlieues. Dans les années 1990, le rap se classe dans les tops 10 des chansons françaises. Mais le point culminant reste la coupe du monde de football 1998, gagnée à deux pas des Francs-Moisins.

« C’était la folie, tout le monde était humain parce qu’il n’y avait plus la barrière de la couleur. Tout le monde était ensemble et tout le monde s’est pris dans les bras. »

Diangou Traoré, habitante des Francs-Moisins, dans La banlieue c’est le paradis

Des symboles émergent, la cité affirme son identité. Pourtant, Mohamed Bouhafsi le rappelle : « un jour les banlieues brillent, mais le lendemain elles brûlent ».

La colère

Le 27 octobre 2005, deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, meurent électrocutés alors qu’ils tentaient d’échapper à la police. Commencent alors les émeutes les plus violentes jamais enregistrées, et l’embrasement.

« Quand tu grandis, que t’allumes la télé et que t’as l’impression […] qu’on est des cafards qu’on doit nettoyer au karcher, […] ça nourrit l’amalgame chez les autres, la colère chez nous. »

Sabrina Ouazani, actrice et réalisatrice, dans La banlieue c’est le paradis

Quand les émeutes s’arrêtent, la colère reste. Les logements continuent de se délabrer. À l’extérieur, les habitudes ont la vie dure et les préjugés persistent.

« Si tu as un tant soit peu du temps pour y mettre les pieds, 99% des gens vivent, mangent, meurent, travaillent, rient. Et l’exemple des 1% c’est devenu la généralité aux yeux de tout le monde. »

Akhenaton, artiste et producteur, dans La banlieue c’est le paradis

Aujourd’hui, les quartiers d’habitat social sont devenus des lieux de ségrégation. Dégradés, ils concentrent de multiples dysfonctionnements, du chômage, et des tensions interculturelles. Mais cette colère peut se transformer en opportunité, pour casser les murs, retrouver du lien social et monter des projets éducatifs.

Extrait du documentaire La banlieue c’est le paradis (2025), Mohamed Bouhafsi, Mediawan / Troisième Oeil Productions / France Télévisions

Dans La banlieue c’est la paradis, documentaire de Mohamed Bouhafsi, les invités se confient sur leurs années de liberté. Des souvenirs de cuisine, d’amitié, et parfois de peur. Ils et elles racontent leur vérité, qui est aussi celle de 8% de la population française.


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