Céline Marcovici est avocate en droit des personnes et de la famille. Elle a pu, à travers sa carrière, venir en aide à de nombreuses femmes en détresse vivant avec un conjoint violent. Mais ce qui l’a le plus marqué dans toutes ces histoires, c’est la méfiance et le manque de confiance en la justice que ces dernières ont pu éprouver, et à raison.
À travers son livre, Madame, il fallait partir, publié en 2020, Céline Marcovici rapporte les expériences de 4 victimes (Valérie, Agathe, Clarisse et Blanche), et dénonce les insuffisances de la justice pour les protéger.
Le sérieux des victimes souvent remis en cause
« Madame, si c’était aussi dur que ce que vous décrivez, pourquoi êtes-vous restée trois ans et demi avec lui ? Il fallait partir ».
Témoignage de Blanche, 19 ans, face au procureur durant le procès de son conjoint
Si il y a bien une chose qui peut dissuader énormément de femmes à l’idée de devoir débuter des poursuites contre leurs conjoints, c’est d’abord l’incompréhension des personnes travaillant dans la justice vis-à-vis de leurs cas. En mars 2021, le collectif féministe Nous Toutes a réalisé un appel à témoignages nommé PrendsMaPlainte, une enquête sur la façon dont étaient traitées les plaintes des victimes au commissariat. Sur les 3 946 témoignages, 40% ont déclaré avoir eu une mauvaise prise en charge et 26% à la fois une mauvaise et une bonne prise en charge. Les cas les plus récurrents concernaient surtout une banalisation des faits (67,8%), un refus de la plainte ou un découragement à le faire (56,5%) ou encore la culpabilisation de la victime dans 55% des cas.
Cette enquête fait opposition au rapport annuel de l’IGPN, beaucoup plus optimiste, et qui porte sur l’évaluation de la qualité de l’accueil des victimes dans les services de police. Il a été réalisée la même année et n’en est pas parvenu aux même conclusions : sur 692 victimes de violences conjugales interrogées sur leurs prise en charge, le taux de satisfaction était de 79%. Il est toutefois mentionnée dans la partie accueil qu’il reste quelques points à améliorer dont celui du comportement de l’agent d’accueil (taux de satisfaction à 75%).
Valérie, une des victimes dont Céline Marcovici raconte l’histoire, et qui a décidé d’aller porter plainte fait malheureusement partie des plaignantes qui n’ont pas pu bénéficier d’une écoute bienveillante. Cette dernière s’est retrouvé en face d’un policer qui faisait des blagues sur sa situation et la culpabilisait. Quand elle a relu plus tard la déposition que le policier a prise, elle s’est rendue compte qu’elle était truffée d’erreurs et que le policier ne l’avait pas prise au sérieux.
À cela s’ajoute un autre problème : les policiers ont en effet bien du mal a accepter de faire un dépôt de plainte lorsqu’il n’y a pas eu de violences physiques ou que ces dernières ne sont pas répétitives. Pourtant les violences psychologiques sont bien reconnues et réprimées par l’article 222-14-4 du code pénal : « les violences prévues par les dispositions de la présente section sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques. »
Des mesures qui tardent à être déployées
« Je lui demande s’ils vont faire quelque chose, prendre des mesures. La dame me dit non. Je suis abasourdie. Mais enfin que faut-il pour que vous agissiez ?
– Vous revenez me voir avec le visage complètement défoncé, là je le fais sortir de la maison »
Témoignage de Clarisse, 27 ans, au moment du dépôt de sa plainte
Très souvent, les institutions qui reçoivent ces femmes ne saisissent pas la notion d’urgence. En atteste ce drame qui s’est déroulée à Blois ou une jeune femme, Chloé, a été plongée dans le coma suite aux coups de son conjoint et après que le commissariat lui ait demandé de repasser le lendemain.
Cette inconscience ralentit d’autant plus le déploiement des mesures destinées à éloigner les femmes de leur conjoint. Le juge peut, par exemple, rechigner à exécuter la mise en place d’une ordonnance de protection, dispositif censé être applicable à toutes les femmes, si la victime n’habite pas avec son conjoint. C’est le cas de Blanche qui a vu sa demande déboutée pour cette raison.
Pourtant, en vertu de l’article 515-9 du Code Civil, « lorsque les violences exercées au sein du couple, y compris lorsqu’il n’y a pas de cohabitation, […] mettent en danger la personne qui en est victime […], le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection ». Le fait qu’elle n’habitait pas avec son conjoint n’aurait donc pas dû avoir d’impact.
Il convient toutefois de nuancer ces refus. En 2022, plus de la moitié des demandes d’ordonnances de protection étaient acceptées. Dans d’autres cas, c’est également l’ignorance des institutions elle même qui empêche la prise d’actions, comme ce policier qui déclare à Agathe qu’il suffit de changer les serrures pour l’éloigner de son conjoint, ou encore cet autre policier qui dit à Valérie qu’elle s’est trompé de commissariat et qu’il faut déposer sa plainte au commissariat de son quartier. Ce qui est faux car, conformément à l’article 15-3 du code de la procédure pénale, « les officiers et agents de police judiciaire sont tenus de recevoir les plaintes […] y compris lorsque ces plaintes sont déposées dans un service ou une unité de police judiciaire territorialement incompétents ».
Nous l’avons donc compris, les victimes sont très souvent démunies. Elles ne disposent pas assez d’informations sur les recours existants et manque parfois d’argent car certaines procédures exigent des coûts. En outre, le fait de devoir parler d’évènements traumatisants, de se voir jugée et donc de ne pas pouvoir bénéficier de solutions adaptées par la justice qui est censée les protéger, reste un frein important, en particulier lorsque la personne en face ne comprend pas le mécanisme de l’emprise.
Tu es victime de violences physiques, psychologiques ou économiques au sein de ton couple ? Des associations et organismes publics peuvent te venir en aide.
- Numéro d’appel d’urgence : 17
- Numéro d’écoute, d’information et d’orientation pour les femmes : 3919 (appel gratuit)
- Associations du réseau France Victimes, via le numéro 116 006 Victimes (appel gratuit)
- Centre d’information des droits des femmes
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