L’effet Matilda : illustration d’un sexisme prégnant dans les sciences

Condamner la mise en silence des femmes scientifiques

L’effet Matilda désigne le déni ou la minimisation récurrente de la contribution de femmes scientifiques à la recherche, leur travail étant souvent attribué à leurs collègues hommes. Sa création en 1993 est attribuée à l’historienne des sciences américaine Margaret Rossiter.

Cette dernière se penchait déjà depuis plusieurs années sur les réalisations de femmes scientifiques oubliées et négligées et décida de dénoncer ce phénomène au sein de son essai The Matilda effect in science. À l’intérieur, Margaret Rossiter pointe du doigt de nombreux cas historiques et contemporains de femmes auxquelles on a refusé le crédit d’une découverte ou d’une invention scientifique. Elle écrivait à l’époque : ces cas de femmes scientifiques négligées montre d’une autre manière « qu’un phénomène lié au sexe semble être en jeu ici ».

Margaret Rossiter ©Jason Koski/Cornell University

Le baptême de ce phénomène n’est pas dénué de sens. M. Rossiter fait hommage à une de ses prédécesseures : la suffragette, militante et sociologue américaine Matilda Joslyn Gage.

Elle aussi s’était penchée sur la question et avait analysé comment les hommes s’attribuaient des pensées de femmes intellectuelles. Durant toute sa vie elle mena un combat contre cette forme d’oppression subite par la communauté scientifique féminine.

Matilda Joslyn Gage

Elle publiera d’ailleurs un pamphlet en 1870 intitulé Woman as Inventor dans lequel elle condamnera l’idée, répandue à l’époque, selon laquelle les femmes manquaient d’inventivité et de talent scientifique.

« De telles affirmations sont faites à la légère ou par ignorance. La tradition, l’histoire et l’expérience prouvent que les femmes possèdent ces capacités au plus haut degré »

Matilda Joslyn Gage, Woman as Inventor (1870)

Les femmes oubliées de la science

De nombreux noms de femmes scientifiques ont été étouffés par leurs collègues masculins qui se sont attribués, pour la plupart, les lauriers de ces dernières. Parmi ces femmes figurent notamment :

  • Rosalind Franklin : Structure de l’ADN
  • Chien-Shiung Wu : Enrichissement de l’uranium pour le projet Manhattan
  • Marie Tharp : Déplacement de la croûte terrestre
  • Marthe Gautier : Trisomie 21
  • Amalie Emmy Noether : Algèbre abstraite
  • Jocelyn Bell : Radioastronomie
  • Lise Meitner : Fission nucléaire
  • Nettie Marie Stevens : Rôle des chromosomes dans la determination du sexe humain
  • Mileva Einstein : Physique atomique
  • Ada Lovelace : Premier programme informatique
  • Esther Lederberg : Génétique des bactéries
  • Trotula de Salerne : Gynécologie

Rosalind Franklin, une chimiste britannique, a joué un rôle crucial dans la découverte de la structure de l’ADN. Malgré cela, ce sont ses collègues James Watson et Francis Crick, avec qui elle entretenait des relations tendues, qui ont publié les résultats de ses recherches dans la revue scientifique Nature. Ces recherches incluaient le célèbre cliché N°51, montrant les deux hélices de l’ADN. Neuf ans plus tard, en 1962, Watson, Crick et Wilkins ont reçu le prix Nobel de médecine pour « leur découverte » de la structure de l’ADN. Rosalind Franklin, décédée à ce moment-là, est restée largement oubliée.

Marie Tharp était une géologue, cartographe et océanographe américaine. En collaboration avec le géologue Bruce C. Heezen, elle a identifié des rifts dans les fonds marins en 1952, suggérant que des parties de la croûte terrestre se déplacent. Heezen a initialement rejeté cette idée comme étant une « hérésie scientifique » et a minimisé le travail de Tharp en la qualifiant de « truc de fille ». Elle a été exclue de la participation à leurs expéditions jusqu’en 1965, lorsque Heezen a tenté d’expliquer sa découverte en proposant une théorie d’expansion terrestre, qui est aujourd’hui considérée comme fausse.

Si tu souhaites en apprendre plus sur certains des noms cités nous t’invitons à te pencher sur le dossier radio France portant sur les femmes oubliées de science et leurs portraits.

La perpétuation actuelle de l’exclusion des femmes dans les sciences

Si la sonnette d’alarme a été tirée il a plus de 150 ans, on peut se questionner sur l’évolution de la légitimité de la voix des femmes dans le milieu scientifique. Si leur exclusion est faite de manière moins ouverte, l’effet Matilda est toujours bien présent mais se manifeste de manière plus discrète.

« Souvent, c’est le prix Nobel qu’une femme scientifique n’obtient pas, mais c’est bien plus que cela. Il s’agit du fait de ne pas être nommée dans une étude, de n’être qu’un astérisque ou une note de bas de page. »

Katie Hafner, journaliste et productrice exécutive du projet de podcast Lost Women of Science

Le manque de reconnaissance envers les femmes de science se perpétue au sein des papiers académiques et scientifiques en les omettant d’une étude ou bien en leur retirant les droits de leur découverte. Encore une fois, en ne citant que des hommes comme ressource et étude fiable, les femmes sont de nouveau mises à l’écart et cela impacte leur légitimité. Ce phénomène a d’ailleurs été chiffré en masse jusqu’à créer un fossé qui a pris le nom de « gender citation gap » (« écart de citation entre les hommes et les femmes »).

Katie Hafner

Dans l’évaluation de la recherche et des comportements de citation, les femmes universitaires accumulent moins de citations que les hommes. Les préjugés sexistes sont l’une des raisons. De nombreuses analyses démontrent que la sous-représentation des chercheuses est dû aux hommes. Ces derniers citant majoritairement leurs collègues masculins, contrairement aux femmes qui, elles, citent leurs collègues selon un principe de parité.

Par ailleurs, les femmes sont nettement moins nombreuses que les hommes a pratiquer l’autopromotion, alors même qu’elles influent fortement sur le nombre de citations.

L’indice h du professeur de physique Jorge E. Hirsch se base sur l’ensemble des articles scientifiques les plus cités et sur le nombre de citations qu’il a reçues dans d’autres publications. Autrement dit, il est appliqué à la productivité et à l’impact qu’un travail scientifique a pu avoir sur la communauté. Ainsi, l’indice de Hirsh de certaine scientifique féminine se trouve particulièrement bas en raison de ce voile de silence posé sur leur travail et leur voix.

Cela met en lumière l’importance cruciale de reconnaître et de rendre hommage aux contributions souvent négligées des femmes dans le domaine scientifique, soulignant ainsi la nécessité d’une équité et d’une reconnaissance accrues dans et par la communauté scientifique.

Aller plus loin : #NoMoreMatilda


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