Le clitoris est souvent présenté comme le siège du plaisir féminin, mais reste aussi souvent invisibilisé. Le fait est que l’éducation au plaisir est pauvre puisqu’elle s’attarde davantage sur la fonction reproductive des organes génitaux, les relations hétérosexuelles et la satisfaction conjugale. La prise en compte du plaisir féminin, et donc du clitoris, a fait l’objet de nombreux discours mélangeant science, politique et social. Le clitoris est aussi culturel puisqu’il est le reflet de notre histoire, nos pratiques, traditions et modes de pensées.
LE CLITORIS PRESQUE INEXISTANT
Le clitoris a souvent été ignoré, faute d’avoir un terme qui le définisse. Le mot latin landica désignait le clitoris, mais semble s’être perdu au fil des traductions : le clitoris est dès lors soit désigné comme les petites lèvres, soit considéré comme croissance pathologique chez certaines femmes. Au Moyen-Âge, les lèvres étaient dites protectrices des corps étrangers. Le clitoris est « redécouvert » à la Renaissance sous le modèle du « sexe unique » tel que décrit par l’historien Thomas Laqueur et qui prévaut jusqu’à la fin du 18e siècle. Les organes génitaux et sexuels féminins seraient l’inverse des masculins, c’est-à-dire que le vagin serait un pénis intérieur, l’utérus un scrotum et les ovaires des testicules : la femme serait donc la version imparfaite de l’homme.
LE CLITORIS PATHOLOGIQUE
L’époque moderne tolère mal les transgressions de genre et des pratiques sexuelles. Les représentations sont en effet basées sur la fonctionnalité des organes génitaux et leur capacité reproductive. La clitoridectomie apparaît donc comme « le » traitement de pathologies psychologiques, particulièrement aux États-Unis et en Europe de la fin du 19e au début du 20e siècles.
Se développe alors une culture de la mutilation du sexe et du plaisir féminin, qui devient presque une obsession sociétale. Des cliniques de traitement de l’hystérie et de la masturbation féminine sont créées, ayant recours, entre autres, à l’excision. Le médecin Français Léopold Deslandes comparait alors la clitoridectomie à l’amputation d’un membre où l’on « sacrifie l’accessoire pour le principal, la partie pour le tout ».
Au début du 20e siècle, la masturbation féminine reste considérée comme cause principale de l’hystérie. On envisage une « circoncision féminine » pour y remédier. En parallèle, la gynécologie devient discipline à part entière, non sans contestations. Si Freud admet que la vie sexuelle des femmes est indispensable à leur épanouissement, il n’en reste pas moins que, selon lui, celle-ci est marquée par l’absence et « l’inauthenticité » de l’orgasme clitoridien. Les femmes restent donc considérées inférieures selon les critères androcentrés, hétéronormés et sexistes de la médecine et de la psychanalyse.
LE CLITORIS, JOUISSANCE Féminine
La « révolution sexuelle » des années 1970 permet aux femmes de se remettre au centre des savoirs sur leur sexualité, alors que, jusqu’ici, beaucoup des recherches étaient initiées par des hommes.
William Masters et Virginia Johnson vont participer à remettre le plaisir au centre de l’activité sexuelle par la notion d’orgasme féminin comme première analyse de « jouissance féminine ». Elle peut être multiple lors de la masturbation. Alfred Kinsey vient prolonger ces recherches en décrivant les difficultés dues à la sexualité vaginale et pénétrative, ce sur quoi se basera l’activiste Anne Koedt, affirmant que « l’orgasme vaginal n’existe pas ».
Les années 1970 voient aussi apparaître la volonté d’autodétermination individuelle et collective dans un contexte où l’intime devient politique : naît alors une forme de self help gynécologique, notamment à travers le Woman Health Movement (1968-1975) et le collectif Our Bodies, Ourselves, encourageant les femmes à découvrir leur corps par elles-mêmes pour mieux se connaître et se comprendre.
LE CLITORIS COLONISÉ
Des scientifiques s’attachent à étudier l’anatomie des populations colonisées dès le 16e siècle jusqu’au début de la Première Guerre Mondiale. Les individus font l’objet d’observations précises au nom de la science. Ce fût le cas de Saartjie Baartman, khoïsan enlevée du Cap pour être exploitée en Grande-Bretagne et en France.
Par ailleurs, bon nombre de colonialistes affirment que les populations africaines colonisées seraient soumises à leurs passions et leurs instincts. En plus de produire un certain fantasme du viol chez les colons, ces discours participent à l’hypersexualisation de ces populations, et deviennent dès lors un critère d’infériorité. Ces femmes sont alors considérées coupables d’attiser le désir des hommes blancs et d’instrumentaliser la nature dans ce but.
La pratique de l’excision pose aussi question. Elle vise à contrôler le corps de la femme et sa capacité à procréer quand la circoncision des hommes donne accès au savoir et à l’autorité. Le regard occidental posé sur cette pratique fait de la lutte pour la préservation des organes sexués un marqueur civilisationnel. Il s’agit donc de « sauver » les femmes colonisées d’une pratique jugée « barbare » par les colons.
La question de l’excision est soulevée pour la première fois en 1952 à l’Organisation des Nations Unies (ONU). L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) la refuse cependant en 1958 car elle relèverait davantage du culturel que du médical. C’est seulement en 1979 qu’un premier rapport est écrit pour rendre compte des risques sanitaires de l’excision, ce qui légitimerait une mobilisation internationale. Dans une logique de stopper ce « crime contre les femmes », des traités en faveur de l’éradication de l’excision sont ratifiés entre 1958 et 2008.
Le clito libÉrÉ !
Finalement, ce qu’aura permis les mouvements militants, particulièrement féministes, c’est la libération de la parole autour du clitoris et du plaisir sexuel féminin. La femme peut mieux se comprendre et se faire entendre, ce qui la remet au centre de sa propre sexualité. À travers son compte Instagram Je m’en bats le clito et ses livres sur la sexualité, Camille Aumont Carnel cherche à briser les tabous et « dire tout haut ce que l’on vit et ce que l’on pense tout bas ».
Pour aller plus loin :
l’essai Histoire politique du clitoris (2021) de Delphine Gardey aux éditions Textuel
la bande-dessinée L’Affaire Clitoris (2021) de Donna Loup et Justine Saint-Lô aux éditions Marabout
le film La Vénus Noire (2010) d’Abdellatif Kechiche sur l’histoire de Saartjie Baartman
Photo de couverture : illustration d’Asia Pietrzyk
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