Le déguisement, entre l’enfance et la découverte de soi

Pourquoi aime-t-on se déguiser, quelque soit notre âge ? S’il semble d’abord n’être qu’un jeu, ce déguisement peut aussi être révélateur d’un certain nombre de questionnements et prises de libertés.

Le déguisement de l’enfance

L’envie d’enfiler un déguisement arrive vers l’âge de trois ans, en commençant avec les affaires des parents. Se déguiser, c’est d’abord un moyen d’accompagner les métamorphoses du corps et de l’esprit, notamment entre trois et neuf ans. Ce besoin de se sentir fort pousse les enfants à se déguiser pour gommer leurs faiblesses en s’inventant une autre vie : le déguisement est ici une forme de protection.

Déguisements pour enfants ©Getty – Richard Lewisohn

L’enfant peut exprimer ce qu’il ressent sans prendre de risques, quittant le monde de règles qu’est son quotidien pour atterrir dans un monde de jeux et de libertés. Or, le jeu participe à la construction de l’identité de l’enfant et à la stimulation de son imagination, ce dernier tentant d’imiter certains comportements de son personnage selon son interprétation.

Le déguisement pour L’expression de soi

Le déguisement est aussi une manière de se représenter soi-même, en tout ou partie : il fait ressortir un ou plusieurs traits de notre personnalité que nous ne sommes pas toujours habitués à mettre en avant. D’ailleurs, le mot personne vient du latin persona qui désigne le masque de l’acteur, le rôle qu’il porte au théâtre. À ce sujet, Thomas Hobbes écrivait dans Le Léviathan (1651), qu’une personne est la même chose qu’un acteur : on est à la fois soi en tant qu’individu et soi en tant que représentations de nous-mêmes telles qu’on les laisse transparaître. En ce sens, se déguiser, c’est aussi être soi.

Par ailleurs, on se déguise souvent à l’occasion de retrouvailles collectives, de fêtes. Que ce soit pour Halloween ou un anniversaire, ces événements sont généralement associés à des moments de partage. Donc, quand on se déguise, on se présente aux autres à travers un masque et, en même temps, on tente de découvrir ce à quoi correspond celui des autres. Le déguisement apparaît comme un moyen de faciliter les rencontres, de délier les langues, en partie parce qu’il laisse place à une certaine forme d’anonymat.

Le déguisement pour s’extirper de sa condition

Se déguiser demande parfois beaucoup de temps : de l’idée jusqu’à le porter, en passant par son achat et/ou sa confection, le chemin peut être parsemé d’embûches. Se déguiser peut donc être un moyen de se divertir, une activité qui nous occupe en vue d’un moment de fête partagé. Or, pour Blaise Pascal (Pensées, 1669), la fête est un divertissement qui vise à nous détourner de l’ennui et des inquiétudes propres à la condition humaine : le déguisement serait donc un moyen de dépasser sa propre condition. Il nous sort de notre quotidien, nous oblige à se fabriquer un soi sans qu’il en ait l’apparence.

Se déguiser peut être une manière de rêver soi-même et de faire rêver les autres : endosser un déguisement de Père Noël, c’est permettre aux plus jeunes de croire qu’il existe et c’est aussi, quelque part, une façon de retourner dans ses propres croyances (ou non-croyances) d’enfant.

Le déguisement pour braver les interdits et Renverser les conventions

Se déguiser, c’est se mettre dans la peau d’un personnage ayant une histoire et qui peut avoir franchi des limites qu’on ne dépasserait pas en tant qu’individu. Ce n’est pas anodin si certains se déguisent en Jeffrey Dahmer ou Harley Quinn pour Halloween : c’est une façon d’incarner des figures considérées déviantes selon les normes sociales, sans être pour autant nous-mêmes, en tant qu’individus, considérés comme tels. Or, le non-respect des normes sociales est sanctionné par la société : le déguisement permet de transgresser indirectement ces normes, de les subvertir, sans avoir à en subir les conséquences.

Harley Quinn dans le film Suicide Squad, photo de Clay Enos pour Warner Bros

Les manifestations impliquant de se déguiser sont donc un moyen de bouleverser l’ordre établi par la société, de brouiller les frontières sociales. Dans L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen-Âge et sous la Renaissance (1970), Mikhaïl Bakhtine insiste sur la fonction sociale du carnaval qui tend à une abolition provisoire de l’ensemble des rapports hiérarchiques et des privilèges, des règles et des tabous : les pauvres peuvent se déguiser en riches, les riches en pauvres… se déguiser, c’est donc aussi une façon de se mettre temporairement à la place d’un autre.

« Sur la culture populaire, le carnaval, c’est justement la période ou il y a un mélange des cultures, c’est-à-dire des professions, on ne reconnait plus le docteur du manœuvre, du maçon de l’ingénieur, il n’y a plus de comparaison de classe et ça fait partie aussi de la tradition, c’est-à-dire que tout le monde est au même niveau. On tutoie tout le monde, on embrasse tout le monde, il n’y a plus de docteur, plus d’ingénieur, plus de maçon, tout le monde est au même niveau. »

Bernard, participant de longue date au carnaval de Dunkerque

Du déguisement au costume, il n’y a qu’un pas

Paloma, drag queen, dans le cadre de l’émission Drama queens
Photo de Nathalie Guyon/FTV

Se déguiser est avant tout comme une pratique amatrice et non professionnelle. Si les raisons de ce déguisement semblent d’abord individuelles, certaines personnes vont faire de celui-ci et de l’incarnation d’un personnage leur métier : le déguisement devient alors un costume. Par exemple, bon nombre de comédien.es et acteurices se définissent eux-mêmes comme « timides » dans leur vie quotidienne, mais le sont bien moins sur les planches ou devant la caméra. C’est en incarnant un autre que le comédien et l’acteur se dévoile indirectement. De la même façon, les drag queens et drag kings performent un personnage que certains et certaines vont jusqu’à qualifier d’alter ego : ce personnage est un autre soi-même, comme une version qui est dissociée de nous-même en apparence, mais qui ne l’est pas fondamentalement dans son être.

« J’ai appris à devenir un homme en m’habillant en femme. »

Nicky Doll, émission C l’hebdo du 9 septembre 2023 (dont l’extrait est à retrouver juste ici).

Photo de couverture : Costume carnavalier de Karen Duthoit sur le thème de l’astrologie, devant la lagune, à Venise, en Italie, le 20 février 2023. Karen Duthoit


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