Journaliste, elle s’est laissée passer pour folle afin d’infiltrer un hôpital psychiatrique. Elle a aussi mis au défi Phileas Fogg, personnage de Jules Verne, en réalisant un tour du monde en 72 jours. Disparue le 27 janvier 1922, le centenaire de Nellie Bly permet de revenir sur l’histoire de celle qui fut une pionnière du journalisme d’investigation.
What Girls Are Good For
Née le 5 mai 1864 à Cochran’s Mills, en Pennsylvanie, Elizabeth Jane Cochrane grandit dans une famille condamnée à la précarité. Elle souhaite devenir institutrice, mais faute de moyens pour les financer, elle est contrainte d’arrêter ses études. Sa condition de femme la prédestine alors à devenir demoiselle de compagnie ou gouvernante. Seul moyen pour elle de ne pas rester dans la précarité, au grand dam de ses espoirs d’indépendance.
À la recherche d’un emploi, Elizabeth lit une série de chroniques d’Erasmus Wilson, journaliste vénéré du Pittsburgh Dispatch. L’un de ses textes, titré Ce à quoi sont bonnes les jeunes filles, est une complainte à propos des femmes qui travaillent. Des « monstruosités » d’après Wilson qui estime qu’elles doivent avant tout s’occuper de leur foyer.
Elizabeth est scandalisée par cette chronique et se décide à écrire une lettre au rédacteur en chef qu’elle signe sous le pseudonyme « Lonely Orphan Girl ». Impressionné par sa passion, Georges Madden la met au défi de lui écrire un article qui lui plaît.
The Girl Puzzle
C’est le nom du premier article d’Elizabeth, publié le 25 janvier 1885. Elle relate la difficulté des femmes contraintes au divorce et plaide pour une réforme de la loi. Au sein du Pittsburgh Dispatch, « Lonely Orphan Girl » devient Nellie Bly, un pseudonyme que lui donne Georges Madden, d’après le personnage de la chanson populaire de Stephen Foster.
Au Pittsburgh Dispatch, Nellie Bly met en lumière les conditions de travail de la classe ouvrière et les inégalités qui en découlent. Dans un reportage au sein d’une usine de conserves, elle dénonce le salaire insuffisant des femmes, celles-ci étant incapables de contester des contrats qu’elles ne peuvent même pas lire. Ses enquêtes font exploser les ventes de journaux, mais les industriels font pression sur le Dispatch. La journaliste se retrouve cantonnée à de petits articles sur la roseraie ou le théâtre, plus appropriés à son statut de femme.
Lassée, Bly part au Mexique six mois sous prétexte d’écrire des articles touristiques. Saisissant très vite la dictature mise en place par Porfirio Díaz, elle enquête sur la corruption des dirigeants mexicains et le tort fait aux indigènes. Dans un rapport, elle dénonce aussi l’atteinte faite à la liberté de presse et doit revenir de force aux États-Unis suite à des menaces.
En 1887, Bly décide de se rendre à New York pour trouver un nouvel emploi. Après quatre mois de recherche, le rédacteur en chef du New York World lui promet un emploi à la condition qu’elle infiltre l’asile de Blackwell pour un reportage. Le journal appartient alors à Joseph Pulitzer, précurseur du journalisme d’investigation.
10 jours dans un asile
Nellie Bly réussit à se faire interner au sein de l’asile de Blackwell sans avoir la garantie de pouvoir en sortir. Pour ce faire, elle simule la folie en parlant espagnol et explique chercher des troncs d’arbre. Durant 10 jours, elle subit les mêmes traitements que les autres pensionnaires : peu de nourriture et infecte, bains glacés et violences de la part des infirmières. La journaliste comprend très vite que beaucoup de femmes sont internées à tort. Certaines sont étrangères, d’autres victimes de leurs maris qui souhaitaient s’en débarrasser.
« Je conseille à ces mêmes experts qui m’ont envoyée à l’asile d’enfermer n’importe quelle femme en bonne santé et saine d’esprit, de la forcer à rester assise sur des bancs à dossier droit de six heures du matin à huit heures du soir, de la priver de lecture et d’accès au monde extérieur, de lui donner pour toute récompense des coups et une nourriture infecte, et de voir combien de temps cela prendra pour qu’elle devienne folle. Deux mois de ces mauvais traitements suffiraient à la transformer en loque humaine. »
10 jours dans un asile, 1887
Grâce à un avocat du New York World, Bly arrive à s’exfiltrer. Son reportage, publié sous la forme d’un feuilleton, provoque un scandale. Par la suite, la ville de New York débloque un million de dollars pour améliorer ses hôpitaux psychiatriques.
Le tour du monde en 72 jours
Suite à ce succès, Nellie Bly propose au rédacteur en chef de réaliser un tour du monde en moins de 80 jours. Son refus est sans appel, « seul un homme pourrait relever le défi ». Mais le journal inaugure son nouveau siège et a besoin d’un article sensationnel. Le directeur du journal, Joseph Pulitzer finit par accepter.
Le 14 novembre 1889, Bly part depuis Hoboken dans le New Jersey. Dans son voyage, elle rencontre Jules Verne qui l’admire et lui promet de la féliciter si elle réussit en 79 jours. Elle le fait en soixante-douze jours, six heures et onze minutes. Jouissant d’une grande notoriété, elle reçoit les félicitations de milliers de personnes, dont le couple Verne.
Par la suite, Nellie Bly devint la première correspondante du front Est pendant la Première Guerre Mondiale. Si elle ne participait pas aux associations pour les droits des femmes par « manque de temps », elle souhaitait que le droit de vote leur soit accordé. En 1922, elle s’éteint des suites d’une pneumonie.
Pour aller plus loin :
- 10 jours dans un asile (et l’ensemble de ses autres œuvres)
- Nellie Bly, bande dessinée de Virginie Ollagnier
- « Nellie Bly, la plume qui dénonce » sur RFI
Photo de couverture : Nellie Bly de Luciana Cimino et Sergio Algozzina, Steinkis Editions (04/06/2020)
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