Depuis 1976, aux États-Unis, le mois de février est consacré à l’Histoire Afro-Américaine. C’est l’occasion de mettre en valeur la culture et les personnages iconiques d’une communauté dont l’origine est en partie basée sur des événements tragiques. Mais qu’en est-il en France ? Si nous aussi avions un « Black History Month », quel regard annuel porterions-nous sur notre propre histoire de nation esclavagiste et négrière ?
On a parfois tendance à oublier qu’avant de faire partie des Drom-Com, la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion ont été des colonies esclavagistes pendant près de 200 ans. Aujourd’hui encore, environ 80% des antillais sont des descendants d’esclaves. Quelle est leur histoire et celle de leurs ancêtres ?
L’établissement d’un Empire colonial français aux Caraïbes
Avant de devenir l’un des piliers de l’économie française aux XVIIIe et XIXe siècles, l’esclavage était rigoureusement interdit en France. Un édit du roi Louis X, datant de 1315, stipule ainsi que « selon le droit de nature, chacun doit naître franc ». Déjà au Moyen-Age, il était donc fermement établi qu’aucun sujet ne pouvait être privé de sa liberté. Pourquoi avons-nous fait machine arrière ?
Les rouages qui menèrent à l’établissement de l’esclavage en France s’enclenchèrent à la fin du XVe siècle, lorsque Christophe Colomb revint de son expédition outre-atlantique avec des récits d’or et de terre inhabitées (précisons que « inhabitées », dans ce contexte, signifiait « lieu de vie de peuples non blancs, non chrétiens et n’ayant pas le même concept de propriété que nous »).
Très vite, les puissances européennes flairent le bon plan. En revendiquant ces territoires supposément inoccupés, les souverains européens s’assurent de nouvelles terres cultivables et voies maritimes qu’ils pourront taxer. C’est un véritable Monopoly colonial qui se met en place, mais avec des ports et des comptoirs à la place des hôtels.
Comme à son habitude, la France peine à se décider. Certains sont en faveur de l’extension du royaume, d’autres sont contre. Ça discute, ça discute, ça discute, puis une fois d’accord, on a un demi-siècle de retard sur le reste de l’Europe… Déjà à l’époque, tout ce qui était esprit entreprenarial, c’était pas notre fort. Cependant, malgré leur démarrage tardif, les français parviennent à récupérer, en 1635, les îles de la Guadeloupe et de la Martinique, suivies par l’île Bourbon en 1642 (la Réunion) et Saint-Domingue en 1697.
Bon, voilà, la France a son premier empire colonial. C’est bien joli tout ça, mais à quoi ça va servir ?
Les débuts de l’esclavage en France
Le but des colonies est simple. Tout d’abord, c’est toujours utile d’avoir une résidence secondaire pas trop loin des îles britanniques et espagnoles, histoire de garder un œil sur ses voisins même de l’autre côté de l’Atlantique. Ensuite, le climat est idéal pour cultiver ces nouveaux produits qui font fureur en Europe : le tabac, le café et, surtout, la canne à sucre.
Ces types de cultures, bien que lucratives, sont laborieuses et nécessitent beaucoup de main-d’œuvre. Étonnamment, les français ne vont pas faire la queue pour aller trimer sous la chaleur infernale des tropiques, où une simple piqure de moustique peut vous tuer en 24h. Les premiers volontaires vont donc être des miséreux à qui on va payer la traversée en échange d’un contrat de travail de 3 ans sur une plantation. Les premiers « esclaves » vont donc être des européens. Cette appellation est tout de même à relativiser. La plupart d’entre eux sont volontaires pour partir, ils conservent certains droits et surtout, à la fin de leur CDD, s’ils ont survécu, ils sont libres de s’installer à leur propre compte.
Les colonies françaises vont donc se développer petit à petit grâce à ces travailleurs agricoles plus ou moins complaisants. Après quelques années sous ce système, les RH vont néanmoins commencer à avoir du mal à recruter. De plus, la production pâtit de ces esclaves « syndiqués » qui quittent la plantation une fois leur contrat terminé.
Non, ce qu’il faut c’est de la main-d’œuvre entièrement servile, qu’on peut enrôler en grand nombre, qui serait robuste et adaptée au climat, donc résistante aux maladies, mais sans pour autant être native de la région, afin d’éviter les escapades. Pourquoi ne pas essayer les Africains ? Ils répondent à tous ces critères et leur travail forcé dans les colonies anglaises et espagnoles a déjà fait ses preuves.
C’est ainsi qu’en 1642, après 127 ans d’abolition, Louis XIII autorisa la traite des Noirs. Dans les années qui suivront, la France prendra officiellement part au commerce triangulaire, devenant la 4ème nation négrière la plus puissante d’Europe.
La mise en place de la traite
Le commerce triangulaire, c’est un peu l’ancêtre de la délocalisation. On va aller faire travailler des gens très loin pour des salaires moindres (voir pas de salaire du tout), afin de produire des biens qu’on va ensuite aller revendre en Europe. La seule différence avec la délocalisation actuelle est qu’il aurait été, de toute façon, difficile de faire pousser de la canne à sucre en Bretagne. Cette pratique commerciale devient rapidement une entreprise extrêmement lucrative.
Il faut dire que le système macabre de la traite est incroyablement bien rodé. Les navires français partent de Nantes, Bordeaux ou Dunkerque avec des objets manufacturés en Europe (tissu, armes,…). Ceux-ci sont échangés contre des captifs dans les comptoirs de la côte ouest africaine. Ce « bois d’ébène » était ensuite parqué dans les cales pendant les 80 jours que durait la traversée de l’Atlantique. À l’arrivée, il n’était pas rare qu’entre 10 et 16% de la « cargaison » aient péri durant la traversée. Les causes étaient multiples : la faim, les maladies, les suicides, les révoltes ou encore les fraudes à l’assurance, lorsqu’il était profitable pour les marchands de balancer les déportés à la mer afin de toucher des indemnités.
Enfin, les navires s’amarraient dans les colonies françaises, où les prisonniers étaient vendus. Ils repartaient les cales pleine de sucre, de café et de tabac qui se retrouvaient ensuite sur le marché européen. C’est ainsi qu’environ 12,5 millions de personnes auront été déportées entre le XVe et XIXe siecle, dont 2 millions dans les colonies françaises.
Il est impossible de détacher l’esclavage et la traite négrière du rayonnement européen du XVIIIe siècle. La servitude de millions de personnes a contribué à un essor économique jusqu’alors jamais atteint. L’afflux de produits importés a conduit au développement de l’industrie et des villes portuaires. La prospérité ambiante a permis l’accroissement de la classe bourgeoise, qui va devenir suffisamment importante dans les siècles à venir pour se confronter à l’aristocratie. La révolution de 1789, la guerre d’indépendance américaine, la révolution industrielle… toutes ces ramifications trouvent leurs racines dans la traite des esclaves.
Si tout va biens sur le continent Européen, qu’en est-il de l’autre côté de l’Atlantique ?
La vie des esclaves dans la plantation
Dès que le navire accostait dans les Antilles françaises, il était mis en quarantaine et les esclaves étaient préparés à la vente. On les lavait, on les nourrissait, on leur faisait faire de l’exercice afin que leurs muscles saillisses et on leur enduisait le corps d’huile. On coupait également leurs cheveux blancs, les esclaves jeunes étant vendus plus chers.
Environ la moitié de la cargaison était des hommes et des jeunes garçons. Des travailleurs solides qui seraient capables de résister au rude labeur le temps que leur achat soit rentabilisé. Oui, car un esclave ça coûte cher. Environ 35 000€ actuels. C’est une majeure partie du budget de la plantation. Il est donc important de bien les sélectionner pour s’assurer un retour sur investissement. Il faut dire qu’au début du XVIIIe siècle, un tiers des esclaves vendus dans les Antilles françaises décédait au bout de 3 ans, la moitié après 8 ans et les survivants au bout de 10 ans.
Une fois les « bien » acquis, ils étaient amenés jusqu’à la plantation où ils se voyaient attribuer une case qu’ils partageaient à plusieurs. Ils travaillaient du lever au coucher du soleil, et parfois même la nuit lors des périodes intenses de récolte. Certains planteurs leur mettaient des masques de fer au visage, afin de les empêcher de mâcher la canne à sucre. Les accidents étaient courants et les travailleurs pouvaient fréquemment perdre des membres dans les rouages de la sucrerie.
Les tâches étaient attribuées selon l’âge, le sexe et les compétences de chacun. Les meilleurs postes étaient généralement réservés aux mulâtres. C’était un moyen efficace de diviser les travailleurs en castes et de limiter les risques de révoltes, certains esclaves ne souhaitant pas perdre leurs privilèges. La nourriture était limitée et, souvent, les captifs pouvaient cultiver un petit lopin de terre afin d’améliorer leurs repas. Ce « jardin nègre » était prévu par le code noir de Colbert.
Le statut juridique des esclaves
Le code noir, rédigé en 1685, servait à réglementer la vie des esclaves sur les plantations. Les déportés étant considérés comme des biens meubles, les articles régissaient davantage leur statut juridique que leurs droits.
Autorisé | Interdit |
Être baptisé et instruit dans la religion catholique (art 2) | Avoir une autre religion que la religion catholique (art 3) |
Repos lors des jours de fêtes (art 6) | Se regrouper (art 16) |
Mariage entre esclaves (art 10) | Mariage sans le consentement du maître (art 11) |
Être enterré au cimetière (art 14) | Pas d’enterrement pour les esclaves non baptisés (art 14) |
Distribution de vivres par les maîtres (art 22) | Porter une arme ou un bâton (art 15) |
Avoir un jardin (art 24) | Vendre de la canne à sucre ou de la nourriture (art 18 et 19) |
Avoir deux habits par an (art 25) | Posséder quoi que ce soit (art 21) |
Être nourris et entretenus en cas de vieillesse ou d’infirmité (art 27) | Boire de l’alcool (art 23) |
Être poursuivis criminellement (art 32) | Prendre part à un procès (art 31) |
Être battu par leur maître s’il en a envie (art 42) | Frapper un blanc, sous peine de mort (art 33) |
Voler, sous peine de mort (art 35 et 36) | |
S’enfuir, sous peine de mutilation et de mort (art 38) | |
L’application de ces préceptes vont évoluer avec le temps, notamment au début du XIXe, lorsque la traite va progressivement être interdite.
En effet, face à la montée des courants abolitionnistes, soutenus par les philosophies humanistes de l’époque, le commerce triangulaire va péricliter. Il sera prohibé dans l’empire britannique à partir de 1807 et en France en 1815. Les propriétaires des plantations vont donc se retrouver face à un problème d’approvisionnement. Bien évidemment, des navires négriers vont continuer à faire la traversée, une sorte de marché noir se mettant en place. Mais cela ne sera pas suffisant pour permettre le roulement mortifère institué depuis un siècle.
En se basant sur le code noir, les propriétaires des plantations vont donc encourager la reproduction de leurs esclaves. En effet, selon les articles 12 et 13, l’enfant acquiert le statut de sa mère. Si elle est esclave, il nait esclave lui aussi. Pour assurer la production de nouveaux esclaves, on va donc augmenter les mariages, autoriser officieusement la polygamie et banaliser le viol. Certains propriétaires vont jusqu’à promettre un affranchissement pour les femmes ayant plus de 6 enfants ! Cet objectif était, bien évidemment, impossible à atteindre, le taux de mortalité infantile de la population africaine étant deux fois supérieur à celui de la population française.
Beaucoup de femme vont résister, au viol, mais également à l’enfantement. Les avortements et les infanticides vont connaitre une forte hausse et seront sévèrement réprimés. Ce métissage forcé va conduire à une augmentation de la population de mulâtres qui vont se retrouver au cœur des luttes entre blancs et noirs.
Alors que la population servile augmente progressivement dans les îles, des poches de résistances vont commencer se former. Dirigées par des personnalités charismatiques, des groupes d’esclaves en fuite vont se rallier et mener des révolutions ayant pour but de renverser la société coloniale en place. Un de ses soulèvement sera suffisamment orchestré pour atteindre cet objectif.
Mais, pour en savoir plus, il vous faudra revenir la semaine prochaine pour découvrir la suite et fin de la mésaventure coloniale française !
Pour aller plus loin :
- L’affranchissement dans les colonies françaises
- Ça m’intéresse : l’histoire de la traite négrière en France
Cet article t'a plu ? Tu aimes Exprime ? Suis nos réseaux ou fais un don !