Le spectacle réellement vivant

Abattre les frontières de l’imagination et vivre pleinement ce que l’histoire et le lieu inspirent. Voici le credo d’une forme de théâtre dit « immersif », où vous, spectateurs.trices, prenez part à l’histoire. On abat les murs du théâtre. Cette forme artistique est encore peu répandue alors qu’elle existe déjà depuis environ 20 ans, notamment au cœur de la ville de Shakespeare. Tour d’horizon d’une intrigante forme artistique, qui nous mène au paroxysme du « drama ». 

Punchdrunk, pionnière du genre 

Genèse londonienne 

Dans cette conception du spectacle vivant, il s’agit de penser chaque aspect de l’environnement sensitif du.de la spectateur.trice, dans le but de lui offrir une expérience qui lui restera en mémoire. Ainsi, c’est dans un lieu (tenu secret, jusqu’au jour J) intégralement conçu pour l’occasion, que le.la spectateur.trice se rend. 

Une fois sur les lieux de la représentation, il est possible de déambuler à sa guise pendant que les acteurs et actrices jouent ça et là. De plus, s’il est proscrit de prendre la parole, des interactions sont tout de même possibles, certaines écrites et d’autres improvisée, en fonction de la pièce concernée et du moment opportun. 

Une des compagnies pionnière du genre se trouve en Angleterre, à Londres plus précisément (est-ce bien étonnant ?). Punchdrunk est née, en 2000, des mains de Felix Barrett, à la direction artistique. Le but est d’innover, d’étoffer la représentation théâtrale, notamment en sollicitant différents registres sensitifs et en laissant plus de liberté au spectateur. Tout ça est assez général mais, depuis sa fondation, la compagnie explore à chaque création de nouvelles façon d’atteindre ces objectifs. 

 » We create unique experiences that take you to another world. For children, families, adults and communities, our work can transform, have a powerful impact and take you on an unforgettable journey. » Punchdrunk

« Nous créons des expériences uniques qui vous emmènent dans un autre monde. Pour les enfants, les familles, les adultes et les communautés, notre travail peut transformer, avoir un impact puissant et vous emmener dans un voyage inoubliable. »
Felix Barrett et Maxine Doyle, metteur en scène et chorégraphe de “Sleep No More” par Punchdrunk. Credit: Sara Krulwich/The New York Times

Laboratoire de narration théâtrale

En 2017, c’est un lieu dédié à l’innovation qui prend place à Tottenham Hale, Fallow Cross.  Sur 3 300 mètres carrés sont conçu les prochaines merveilles de la compagnies. On teste, on construit et déconstruit, pour atteindre les idées les plus folles, pour toucher les confins des mondes imaginaires naissant dans l’esprit des équipe de Punchdrunk.

Cette étape fut importante pour le projet dans sa globalité puisque Fallow Cross représente cet endroit où tout est possible, où toutes les idées peuvent être testées et surtout où tout peut « maturer », évoluer, en parallèle des activités annuelles de la compagnie (pendant les tournées de les spectacles aboutis par exemple). 

Credit: Ryoko Uyama

L’idée de donner la possibilité aux spectateurs.trices, de se déplacer à leur rythme au sein du lieu de la représentation, est l’aboutissement de recherches de la compagnie. L’immersion n’en est que renforcée du fait de la liberté presque totale et les angles de vue multipliés. A cette liberté s’est ajoutée le port d’un masque vénitien qui fonde un tout autre rapport à la représentation et notre propre position de spectateur.trice.

« […] introduced masks, suddenly inhibition fell away and people found a sense of freedom in their anonymity, allowing them to fully explore their surroundings and become totally absorbed in the world around them. » Punchdrunk

(…) en introduisant des masques, l’inhibition est soudainement tombée et les gens ont trouvé un sentiment de liberté dans leur anonymat, leur permettant d’explorer pleinement leur environnement et d’être totalement absorbé dans le monde autour d’eux. »
Extrait de Sleep No More, 2012

Une création événement 

En 2003 apparaît un ovni qui sera revisité deux fois par la suite, en 2009 puis 2011, par ses créateurs. L’ovni théâtral n’est autre que Sleep no more, une adaptation de Macbeth, de William Shakespeare, dans le style d’un thriller d’Alfred Hitchcock, utilisant la musique retravaillée de la bande sonore des films classiques du réalisateur britannique. Tout cela fut mis en scène dans le bâtiment Beaufoy à Londres, une ancienne école victorienne.

Sleep no more a mis à l’épreuve d’un réel public, les différents éléments immersifs expérimentés à Fallow Cross. Immersif, oui, mais pas seulement. En effet, flouter les bornes de la fiction et proposer un théâtre de l’exploration, au sein d’un lieu s’étalant sur plusieurs centaines de mètres carrés, est aussi une proposition unique : si un même spectateur vient deux fois voir la pièce, il aura vu deux faces de l’oeuvre (à moins qu’il possède le don d’ubiquité-lucky him!); de la même manière, deux spectateurs n’auront pas vu la même version de l’oeuvre (la discussion à la sortie doit être enrichissante). 

We wanted to challenge the boundaries of the relationship between viewer and performer and between viewer and space” Maxine Doyle, co-metteur en scène et chorégraphe à Punchdrunk (l’article)

« Nous voulions défier les limites de la relation entre le spectateur et le performeur et entre le spectateur et l’espace. »
Photo d’une représentation de Sleep no more par Huffington Post (article)

Chacun des sens en éveil, nous sommes, en tant que public, également très importants : la pièce est façonnée par notre regard; les points sur lesquels notre regard se pose constituent notre scène, notre séquence narrative, unique et personnelle. D’ailleurs, l’ensemble des spectateurs.trices contribuent sûrement beaucoup à l’expérience des un et des autres. 

Portée éducative visionnaire

Forte de son succès, la compagnie évolua, ces dernières années, vers divers objectifs. C’est avec la volonté de soutenir les talents de demain que la branche éducative de la compagnie est née en 2008. Punchdrunk Enrichment a pour but de former de jeunes gens à « l’art de la scène », grâce à des projets théâtraux concrets, développés avec eux. 

Plus largement, la compagnie a pour ambition de contribuer à cette recherche et avancée en matière de procédés narratifs et théâtraux. C’est d’ailleurs pour cela que la dimension éducative se trouve aujourd’hui être un moteur créatif puissant. 

Pour conclure, en tant que spectateur.trice, la position et l’implication est d’une tout autre nature lorsqu’on se rend à une pièce de théâtre immersif. L’expérience est chamboulée du fait de l’absence de l’usuel mur entre public et comédiens.ennes, ce fameux quatrième mur est abattu. 

Ainsi déambulant réellement à l’intérieur de l’oeuvre, nous pouvons toucher non plus seulement avec les yeux mais marcher dans l’intrigue, la questionner, la toucher. De cette façon, cela questionne aussi l’idée de « représentation ». Vivant, le spectacle-vivant, se voit transformé, du moins à travers le travail de des compagnies -encore peu nombreuses- qui flirtent avec les limites de notre imagination.

Le rêve est vécu éveillé. Temporairement, la fiction fusionne avec le réel…pour notre plus grande joie. 

A la prochaine !

Pour aller plus loin, un entretien avec Felix Barret par Build Series


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