Écrivaine, journaliste et militante, Gabriela Cabezon Camara est une femme aux multiples casquettes. Engagée en faveur de l’écologie, et dans les milieux féministes et LGBTQI, elle est l’autrice d’ouvrages au style subversif, terriblement queer, dans lesquels sa plume rythmée nous transporte jusque dans les bas-fonds du cœur humain.
La plume au service du militantisme
Née en 1968 dans la province de Buenos Aires, diplômée de lettres, Gabriela Cabezon Camara est d’abord journaliste. Elle travaille pour divers titres de presse, et notamment pour le supplément SOY du journal Pagina 12, qui traite des questions de genre et de la communauté LGBTQI en œuvrant pour la diversité et l’inclusivité. Ce n’est qu’à 40 ans qu’elle écrit son premier roman. Une attente qui semble lui avoir réussit puisqu’en 2020, elle termine finaliste du Booker Price et du prix Médicis en 2021, et est désormais considérée comme l’une des pionnières de la littérature latino-américaine.
Plus qu’une femme de lettres, c’est aussi une fervente militante, et chacun de ses ouvrages est empreint de messages poignants. Cabezon n’a pas pour habitude de mâcher ses mots, et avec un brin de provocation, elle n’hésite pas à dénoncer un système gangrené où les pauvres, les femmes, et les personnes queer sont les grand·es perdant·es.
Elle fut également l’une des instigatrices du mouvement NiUnaMenos, nom sous lequel se sont rassemblées les manifestations qui ont eu lieu en 2015 et en 2016 en Amérique Latine et en Espagne pour lutter contre les violences faites aux femmes et la récurrence des féminicides.
Une écriture musicale et rythmée
Gabriela Cabezon Camara conçoit le roman comme une “histoire qui se raconte en musique”. C’est en cherchant la mélodie des mots qu’elle écrit. Et c’est justement cette quête de musicalité qui fait tout le caractère unique de son style. Avec une prose rythmée et lyrique, tour à tour criée, chantée, murmurée, ses romans se détachent par leur matérialité. Elle décrit elle-même son rôle d’écrivaine comme celui “d’imaginer d’autres mondes possibles”, et elle utilise pour cela une écriture étrange à la fois exaltée et exaltante, cadencée, tour à tour suave et dissonante qui reflète à la fois l’absurdité et la beauté du monde.
L’écrivaine a ce génie si particulier, cette capacité à nous emporter dans ses torrents de mots, avec des phrases décousues et qui parfois n’en finissent pas… autant de tempêtes que l’on se prend de plein fouet dans une frénésie verbale.
Gabriela Cabezon Camara parvient à mélanger les registres dans une œuvre quasiment bacchanale, passant de l’argot des bidonvilles à la littérature grecque ou au style gaucho, sans fausse note. En s’abandonnant complètement à ses fantaisies et à celles de ses personnages, en s’affranchissant des codes, Cabezon développe une écriture subversive, hypnotisante et déroutante.
TRois romans, une réalité sociale brutale et des héroïnes queer
Dans son premier roman, Pleines de Grâce, Gabriela Cabezon Camara joue habilement de sa plume dans un petit bijou d’humour et de provocation. Quand Qüity, journaliste, rencontre Cleopatra, travestie élevée au rang de Sainte dans son bidonville parce qu’elle communique avec la Vierge, c’est le début d’une aventure queer au possible qui déjoue les codes de l’amour, de communauté et de la famille.
Avec une prose à la fois brutale et lyrique, l’écrivaine dépend avec brio la vie des “villas miserias”, la violence des gangs et de la police, les fêtes et la cumbia qui rythment la vie des habitants, la prostitution, la drogue, l’entraide, les expulsions. Dans son œuvre perchée et d’un réalisme violent, tour à tour répugnante et jouissive, Cabezon nous embarque dans une formidable transe mystique dont on ne ressort pas indifférent.
Le deuxième ouvrage de Gabriela Cabezon Camara est en réalité le recueil de deux nouvelles, Tu as vu le visage de Dieu et Romance de la noire blonde. Ici, l’écrivaine s‘inspire de deux faits divers qui ont lieu en Argentine. Dans un style très cru, elle témoigne de la violence du système dans son pays. Entre Beya, victime de la traite des femmes, prisonnière d’un réseau de prostitution, et Gabi, jeune artiste qui s’immole par le feu face aux forces de l’ordre pour échapper à l’éviction, Cabezon parvient à nous offrir une œuvre à la fois poétique et politique. Toujours avec une écriture très rythmée, parfois saccadée, elle nous embarque dans les vies de ces deux femmes, et des mélodies discordantes teintées de révolte.
Dans son dernier roman, Les Aventures de China Iron, l’autrice nous fait voyager dans le temps pour partir à la rencontre d’une Argentine encore sous le joug de l’Angleterre, à l’aube de la révolution industrielle.
Souvent qualifié de “western queer”, Les Aventures de China Iron retrace le périple d’une héroïne qui va, au fil du roman, se libérer, se découvrir, et découvrir en même temps sa compagne de voyage avec qui elle vivra une passion ardente dans la pampa. En s’inspirant du poème épique “Martin Fierro” de José Hernandez écrit en 1872, l’écrivaine fait ressurgir l’épouse oubliée du protagoniste dans son roman qu’elle conçoit comme un “dialogue amoureux” avec le travail d’Hernandez, pour en faire une épopée queer et féministe.
Avec Gabriela Cabezon Camara et d’autres écrivain·es avant gardistes comme Ariana Harwicz, Selva Almada ou Julian Lopez, un vent nouveau souffle sur la littérature contemporaine en Amérique Latine, pour notre plus grand plaisir.
Dans une interview accordée à Punch Magazine en 2020, Cabezon confie qu’elle prépare un roman sur la diaspora Basque en Argentine et la résistance des peuples natifs chassés de leurs terres, un thème cher au cœur de l’écrivaine.
Pour aller plus loin :Interview The Punch Magazine Interview The White Review
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