Déménagement de Jakarta : vers une capitale 2.0 ?

Cela semble difficile à croire, pourtant, après la Malaisie en 2003 ou la Birmanie en 2006, c’est bel et bien le projet un peu fou que s’est lancé l’Indonésie il y a maintenant près de trois ans : Jakarta, capitale du pays, va être déménagée à 2000 kilomètres de son emplacement actuel.

Pour comprendre les raisons ayant motivé une telle décision et la naissance du projet, retour sur la situation actuelle de la ville.

Jakarta, une ville qui se noie

La situation de Jakarta, capitale de l’Indonésie, est depuis quelques années en passe de devenir critique. Outre de gros problèmes de pollution, d’embouteillages et de qualité de l’air, la métropole, située sur la côte nord-ouest de l’île de Java et comptant près de 10 millions d’habitants, est confrontée à un problème plus urgent encore : elle s’enfonce de plusieurs centimètres par an dans l’eau, menaçant directement l’avenir de millions de personnes. Pire, selon les experts, si rien n’est fait, un tiers de la ville risque de finir sous l’eau d’ici 2050.

Inondation à Jakarta en 2013

Les causes de ce phénomène sont multiples, l’activité humaine restant toutefois la principale responsable : selon les géologues, l’épuisement des nappes phréatiques, dont les ressources sont pompées de manière excessive et illégale par les habitants, en est la première cause. En effet, un grand nombre de Jakartanais n’a pas accès au réseau d’alimentation d’eau et est contraint d’avoir recours à ces méthodes alternatives pour s’en procurer.

De plus, Jakarta est construite sur des marécages, au bord de la mer de Java, ce qui la rend particulièrement sujette aux inondations. Sans compter qu’elle s’affaisse également sous le poids des nouvelles constructions, toujours plus nombreuses en raison de la surpopulation dont elle est victime. Plus de béton signifie moins d’espace pour que l’eau pénètre dans le sol, amplifiant ainsi le risque d’inondations.

Mais l’activité humaine n’est pas la seule fautive, la montée des eaux et le réchauffement climatique ont également leur part de responsabilité.

En conséquence, le sol s’affaisse inexorablement : en moyenne Jakarta s’enfonce de 5 à 10 centimètres par an, et jusqu’à 20 centimètres dans certains endroits. Certains quartiers de la ville sont même déjà plusieurs mètres sous le niveau de la mer, laissant les habitants complètement désemparés.

Quelles solutions ?

Le 16 août 2019, pour faire face à la menace pesant sur Jakarta, le président Joko Widodo a donc annoncé son projet de déménager la capitale politique de la ville et ses quelques 10 millions d’habitants.

Et c’est l’île de Bornéo, partagée entre l’Indonésie, la Malaisie et le Brunei, qui a été retenue pour accueillir cette nouvelle capitale politique. Cette dernière se situera plus précisément à l’est de Bornéo, dans la province orientale de Kalimantan (partie indonésienne de l’île), entre les villes de Balikpapan et Samarinda. Jakarta devrait quant à elle rester la capitale économique du pays.

Carte illustrant le futur emplacement de Nusantara sur l'île de Bornéo. © master-iesc-angers.com
Carte illustrant le futur emplacement de Nusantara sur l’île de Bornéo. ©master-iesc-angers.com

Le site, d’abord choisi pour son faible risque de désastre naturel, tels que les inondations, tremblements de terre, ou éruptions volcaniques, a également été choisi pour sa localisation stratégique, en plein cœur de l’Indonésie.

Un projet controversé

Ce projet, dont le coût est estimé à 33 milliards de dollars, a toutefois reçu un accueil mitigé, en particulier de la part des défenseurs de l’environnement, en raison notamment du défrichage potentiel qu’il entraînerait à Bornéo. En effet, l’île, qui héberge 6 % de la biodiversité mondiale, est réputée pour abriter une faune et une flore très riche, dont des orangs-outans en voie d’extinction. Elle craint donc de voir son écosystème menacé, alors qu’elle est déjà la cible de la déforestation et de fréquentes inondations.

Une mère orang-outan et son bébé

En février 2020, le gouverneur de l’est du Kalimantan, Isran Noor, avait également exprimé ses réticences vis à vis de ce projet et intimé au gouvernement central d’être particulièrement attentif quant à la protection des forêts recouvrant en partie la zone choisie pour l’emplacement de la nouvelle capitale. Il était même allé jusqu’à déclarer qu’il arrêterait personnellement la construction de cette dernière si elle endommageait les forêts.

Une inquiétude légitime quand on sait que, selon le WWF, l’île de Bornéo a déjà perdu près de la moitié de ses forêts ces trente dernières années.

De plus, le projet du futur palais présidentiel, prévu en forme de Garuda géant (créature mythologique et emblème du pays), a également beaucoup fait réagir, provoquant notamment de nombreuses moqueries sur les réseaux sociaux, les internautes considérant cette architecture kitsch.

Cependant, malgré les réticences, la préparation du projet a bel et bien démarré en 2020, avant de se voir retarder par la crise sanitaire. Ce n’est que le 18 janvier dernier que le projet de loi autorisant le déménagement de la capitale sur l’île de Bornéo a officiellement été adopté par le Parlement.

Nusantara, une « green city » ?

Également annoncé en janvier 2022 et choisi parmi 80 propositions différentes, le nom de cette nouvelle capitale sera Nusantara. Selon Kompas, grand quotidien national Indonésien, Nusantara est un mot d’origine Sanskrite qui désigne l’ensemble de l’archipel indonésien, et signifie plus précisément « archipel ». Ce nom a été choisi par le président Joko Widodo, notamment parce qu’il est facile à prononcer, et qu’« il reflète la géographie de l’Indonésie », comme l’a précisé le ministre de la Planification du développement national Suharso Monoarfa au moment de l’annonce.

Et Joko Widodo n’a cessé de l’assurer depuis l’annonce du projet, Nusantara sera une ville verte. Le projet, qui peut sembler un peu utopique, a été dévoilé dans une série de modélisation visible notamment sur le compte instagram du Président.

Nusantara a en effet été pensée pour être une ville « futuriste » : verte donc, construite en plein cœur de la forêt et accordant une grande importance à la préservation de la nature et de l’écosystème. Les aménagements piétonniers y occuperont une grande place, le président Widodo ayant déclaré que « les gens seront proches de toute destination et pourront s’y rendre à vélo ou à pied ».

Simulation de la future capitale. Capture d'écran Youtube.
Simulation de la future capitale. Capture d’écran Youtube.
Simulation de la future capitale. Capture d'écran Youtube.
Simulation de la future capitale. Capture d’écran Youtube.

De plus la ville se veut zéro émissions, avec des transports exclusivement électriques. Selon le Jakarta Post, un parc industriel vert, alimenté par des centrales hydroélectriques et solaires aurait également commencé à se développer dans le nord du Kalimantan en décembre dernier.

Nusantara s’étendra sur environ 56 000 hectares (mais 256 000 hectares au total ont été réservés pour sa construction).

Le lancement officiel de sa construction a été donné le 14 mars 2022 dernier selon Courrier international, avec pour objectif le déménagement des institutions gouvernementales à partir de 2024, comme l’avait précisé le ministre de la planification de l’époque, Bambang Brodjonegoro. Le projet serait de déménager 25 000 fonctionnaires chaque année jusqu’en 2027, avec une fin des opérations prévue pour 2045.

Photo de couverture : Jakarta, Capital City of Indonesia. Jakartadunia, source et licence


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