L’enfance recèle des émotions enfouies, parfois oubliées, que l’interprète va tenter d’exhumer dans le but de faire jaillir une proposition sur scène. La capacité à transformer son quotidien, l’émerveillement, la curiosité ou encore le plaisir du jeu sont autant de sensations de l’enfance qui favorisent ce sentiment primaire de l’amusement. Cette sensibilité pour le jeu favorise un regard candide et toujours renouvelé de l’artiste entrant en scène. L’immense metteur en scène Peter Brook ne dit-il pas à la fin de son livre L’espace vide que « jouer est un jeu » ?
Nous invitons les lecteurices à replonger en enfance à travers le récit d’un·e artiste, pour essayer de comprendre la grande place consciente ou inconsciente que cette période occupe dans le processus de création.
Dans ce terreau fertile de l’enfance, la comédienne Céline Clergé livre ses souvenirs, dévoilant tour à tour, une vocation naissante, des rires inoubliables, des parfums enivrants, des mythes fondateurs, une solitude infinie, une amitié indéfectible, une passion pour les ours et des chansons mélancoliques.
D’Épernay à Lille
Pour Céline Clergé, le terrain de l’enfance est une zone familière dans laquelle elle aime aller puiser. Pour preuve, sa future création : Climat de France, premier spectacle de sa compagnie « Où en est la nuit ? ».
Originaire d’Épernay, Céline suit l’option théâtre au lycée Marc Chagall à Reims. Son bac en poche, elle arrive à 18 ans à Paris et passe un an au cours Florent. Elle sera ensuite reçue au conservatoire du 16e arrondissement dirigé par Stéphane Auvray-Nauroy.
Par la suite, elle fera plusieurs stages avec notamment le metteur en scène Jean-Michel Rabeux et l’auteur Eugène Durif. Au Théâtre La loge, elle rencontre le metteur en scène Laurent Bazin. Elle sera son assistante à la mise en scène pour Britanicus, plans rapprochés et jouera dans la pièce Bad Little Bubble B, qui recevra le prix Impatiences 2013. Elle collaborera de nouveau avec lui pour la film Les falaises de V, qui mélange théâtre immersif et réalité virtuelle.
Après avoir découvert le clown avec Anne Cornu et Vincent Rouche, elle continue cette pratique à son arrivée à Lille en 2015 avec Gilles Defacque sur la scène du Prato ; scène sur laquelle elle donne la première lecture de sa pièce Climat de France.
Une jeunesse aux côtés des adultes
En 2016, c’est au café Le Polder que Céline écrit son spectacle.
J’avais besoin d’être dans un lieu de vie, comme celui dans lequel j’avais vécu.
Céline Clergé
Ce spectacle retrace son enfance passée dans l’hôtel tenue par sa mère. Dans cet hôtel, une petite fille rêve d’une vie « comme tout le monde ». Le travail à l’hôtel accapare sa maman, Céline l’accompagne tout le temps au milieu des touristes et des VRP de passage. Dans ce milieu où elle ne croise jamais d’autres enfants, les employés deviennent des frères et sœurs de substitution pour cette fille unique. Dans ce « seul en scène », Céline mélange plusieurs points de vue : Céline adulte, Céline enfant et d’autres personnages comme sa mère ou le cuisinier. Patrice Riera, ancien camarade du conservatoire du XVIe arrondissement, rejoint le projet à la mise en scène en septembre 2020.
Je me souviens…
À l’occasion de cette série d’articles sur la relation enfance/artiste, des questions sont posées pour tenter de comprendre plus en profondeur les événements fondateurs et autres souvenirs marquants, de la jeunesse de l’interprète. Céline Clergé s’est prêtée au jeu.
À quel âge as-tu envie de devenir comédienne ?
C’est venue très tôt, vers l’âge de 9/10 ans. Je faisais des spectacles avec l’école, mon père m’emmenait voir des pièces, je voyais énormément de films (pas forcément de mon âge d’ailleurs), tout ça a forgé mon désir de devenir comédienne. Mais la fois où c’est devenu très précis pour moi, c’est quand j’ai annoncé, lors d’un repas familial, mon envie de faire ce métier. Mon grand-père paternel, alors ancien éclairagiste pour le cinéma a eu une réaction très négative me disant que c’était un milieu d’hypocrites et enchaînant tous les stéréotypes sur les actrices… Mon père s’est alors énervé et a pris ma défense en affirmant que je ferai ce que je voudrais. Le fait que ma parole déclenche un tel séisme dans la famille m’a beaucoup marqué et a cristallisé l’envie chez moi d’aller jusqu’au bout de mon désir. Je pense aussi que mon père m’a défendu ce jour-là, car lui aussi aurait aimé être artiste.
Te souviens-tu du premier spectacle que tu as vu ou qui t’a marqué ?
Le dîner de con avec Jacques Villeret. Un souvenir très fort de voir toute une salle rire, c’est d’ailleurs le lendemain que j’ai annoncé que je voulais être actrice. Je me souviens aussi des spectacles de Muriel Robin, que je regardais sur cassette, de sa démesure. Elle disait des choses qui ne se disaient pas à l’époque pour les femmes, elle était « cash » et pourtant, elle parvenait à embarquer le public avec elle. Je me rends compte aujourd’hui que c’est l’envie de faire rire qui m’a donné envie de monter sur les planches alors que paradoxalement, je regardais beaucoup de films sombres et mélancoliques.
Qu’écoutaient tes parents ?
Mon père écoutait Brel, Brassens, Piaf, Trenet, Reggiani, ce qui m’a donné le goût de la chanson à texte, de la chanson réaliste. Ma maman écoutait Barbara et j’ai une symbiose totale avec cette chanteuse mais celle qui me procurait le plus d’émotions, c’est Dalida. Il suffit que j’entende une de ses chansons pour fondre en larmes, ça peut me transcender complètement en tant qu’interprète. Il y a une chose au présent et terriblement humain qui me bouleverse dans sa voix, dans ce qu’elle est, dans ce qu’elle transpire… C’est désuet et très humain à la fois. En plus, à cette époque, j’allais voir des spectacles dans des cabarets transformistes où il y a avait des prestations de Dalida. Un jour, j’ai enregistré une cassette d’une émission de télé sur Dalida chez mes grand-parents et je refaisais les chorégraphies dans ma chambre.
Avais-tu, parmi les artistes, des modèles ?
Ma génération a été profondément marquée par le film La Boum avec Sophie Marceau, dont j’étais fan. Un peu plus tard, j’ai découvert Charlotte Gainsbourg, dans les films : L’effrontée et La petite voleuse de Claude Miller. Je pouvais m’identifier à elle, à son ennui, à sa métamorphose. Bien plus tard, j’ai appris que L’effrontée était une adaptation d’un livre de Carson McCullers, intitulé Frankie Adams. J’ai lu tous ces romans. Ils m’ont inspiré pour mon spectacle.
Comme autre figure importante, il y a Marylin Monroe. Quand j’étais enfant, une amie de mon père m’a dit un jour que j’avais des airs de Marylin Monroe quand elle était très jeune. Elle m’envoyait tous les ans pour mon anniversaire une carte postale représentant Marylin. Au début, je ne comprenais pas bien qui elle était, malgré ça, elle était très présente dans mon univers, comme « une fée ». En grandissant, je me suis intéressée à sa vie et j’ai tout vu d’elle. Un jour, j’ai découvert une photo de Marylin Monroe et Carson Mc Cullers ensemble ! J’ai eu un choc quand j’ai appris qu’elles se connaissaient toutes les deux ! Cette photo, pour moi, est très symbolique, elle incarne beaucoup de choses. Ce sont mes mythes ! Je pense que les mythes nous forgent, ils sont aussi nécessaires à « ma cuisine intérieure » en tant que comédienne.
Qu’aimais-tu faire à l’époque que tu aimes toujours faire aujourd’hui ?
J’adorais les parfums, faire des parfums et faire des mélanges de parfums. Aujourd’hui, l’un de mes plus grand kifs, c’est sentir des odeurs, reconnaître des odeurs. J’adorerais créer un jour un spectacle autour de cette sensation.
Une odeur qui te fait directement retomber en enfance ?
L’odeur des feuilles de cassissier dans le jardin de mes grands-parents, en Normandie.
Ton premier souvenir de film ?
L’Ours de Jean-Jacques Annaud. J’avais 5 ans, je crois… Depuis, la figure de l’ours me fascine complètement, elle m’a d’ailleurs beaucoup accompagnée durant l’écriture du spectacle, période durant laquelle j’ai lu L’hôtel du New-Hampshire de John Irving qui conte l’histoire d’un petit garçon qui vit dans un hôtel avec sa famille et… Un ours. Pour parler de mon spectacle, j’ai souvent cité aussi l’histoire de Boucle d’or, qui pourrait en être un bon résumé. Dans ce conte, chaque ours a une place bien déterminée, notamment pour manger, chose que moi, je n’avais pas dans ma vie à l’hôtel et qui me manquait. Je conseille également aux passionné·es des ours le livre de Michel Pastoureau, L’Ours.
Le film ou la chanson qui symbolise ton enfance ?
L’effrontée de Claude Miller et la chanson Sarà Perquè Ti Amo que l’on retrouve dans le film.
Ton passe-temps préféré enfant ?
Jouer aux Barbies !
As-tu gardé des amitiés d’enfance ?
Mon amie Élise, depuis le collège. C’était très fort, on s’écrivait des lettres. J’avais souvent des amitiés très fusionnelles, car j’étais fille unique. Élise et moi étions très différentes, elle avait une corporalité très assumée, un caractère très affirmé et moi, j’étais plus sensible, ça faisait un bon équilibre.
Quel enfant étais-tu ?
J’étais très sensible. J’étais imprégnée de tout ce qui se disait, de tout ce que je voyais. J’étais poreuse. Je savais imiter des voix, des corps, car j’étais très observatrice. J’ai vite compris que j’allais être entendue si je ressemblais à l’autre, d’où ce besoin d’imitation. J’étais très empathique de toutes les histoires qu’on me racontait ou que je voyais sur les écrans. J’étais vraiment dans les films.
Quelles sensations de l’enfance te nourrissent aujourd’hui sur un plateau ?
La curiosité. Cette envie d’aller de l’autre côté du miroir, cette envie de transgresser. J’avais un grand plaisir de voir un film qui me secouait et aujourd’hui sur un plateau, je n’ai pas peur de laisser apparaître ce qui est plus sombre.
L’enfance c’est…
Ce que je garde de mon enfance, c’est l’enveloppe, c’est la chaleur, c’est le fait de pouvoir se lover au creux d’un ventre, de pouvoir se blottir, de pouvoir être portée, de pouvoir se sentir protégée et intégrée à l’autre. La sœur de ma grand-mère me disait, quand je me levais le matin, « Ton petit cœur, il n’est pas encore réveillé ». C’est vrai qu’il y a quelque chose le matin qui est dur à mettre en route et quand on est dans l’amour, que ce soit enfant avec ses parents ou plus tard avec son amoureux.se, on a besoin de bras. Quand j’allais chez ma grand-mère, c’était une plénitude absolue, d’avoir accès aux bras le matin.
Qu’aimerais-tu dire à la petite fille que tu étais ?
Ne sois pas triste. Cette solitude t’a permis de te raconter plein d’histoires qui aujourd’hui, vivent à travers toi.
Le spectacle Climat de France a été programmé récemment par le Théâtre Massenet et a été accueilli par le Théâtre de la Verrière, à Lille, pour deux représentations, on espère le revoir bientôt. On pourra aussi retrouver Céline prochainement, dans une pièce de la Cie Diptyque Théâtre, Je m’appelle Alice ou la parole des petites filles, dont les premières auront lieu au Théâtre Massenet en octobre 2021.
Les liens de Céline Clergé :
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