Éducation sexuelle dès le primaire : attentes des enseignants et réticences persistantes

Alors qu’un nouveau programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) doit entrer en vigueur à la rentrée 2025-2026, enseignants et futurs enseignants se disent globalement favorables à son déploiement, tout en exprimant un besoin accru de formation et de soutien.

Une réforme ancienne, mais renforcée

Depuis 2001, la loi impose trois séances annuelles d’éducation à la sexualité dans les écoles. Dans les faits, cette obligation a souvent été appliquée de façon partielle, faute de temps ou de formation. Le gouvernement a donc présenté début 2025 un programme national, baptisé EVARS, qui est entré en vigueur dès septembre.

Au primaire, les séances porteront sur la connaissance du corps, l’expression des émotions, la prévention des violences et l’apprentissage du consentement. Au collège et au lycée, elles aborderont également la reproduction, la contraception, les infections sexuellement transmissibles (IST) et l’égalité filles-garçons.

Ce programme a pour ambition de devenir un levier essentiel dans la lutte contre les violences sexuelles faites aux mineurs. En renforçant la prévention et en donnant aux enfants des outils concrets pour reconnaître des situations à risque, il cherche à briser les tabous et à instaurer un climat de confiance entre élèves, enseignants et familles.

La campagne nationale de lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants rappelle une réalité glaçante : toutes les trois minutes en France, un enfant est victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle. Derrière ces chiffres se cachent des vies marquées par la souffrance et le silence, d’où l’importance d’une éducation adaptée, progressive et continue.

L’école Jean Macé d’Armentières. Photo : Amanda Noël

À travers EVARS, l’école se voit confier un rôle central : non seulement transmettre des connaissances, mais aussi protéger, écouter et accompagner. L’enjeu est double : prévenir les violences avant qu’elles ne surviennent et offrir aux enfants un espace où leur parole peut être entendue et prise au sérieux. Ce faisant, l’éducation sexuelle dépasse le simple cadre scolaire pour devenir une véritable mission de société, au service du bien-être et de la sécurité des plus jeunes.

Les enseignants largement favorables… mais prudents

Nous avons réalisé et diffusé un questionnaire auprès d’enseignants et de futurs enseignants qui met en lumière un consensus autour de la nécessité d’agir dès le primaire. Sur 11 réponses, 81,8 % des répondants jugent important de sensibiliser les enfants dès l’école aux consentements afin de leur donner des repères et de les protéger.

« On ne parle pas de sexualité à proprement parler, mais de respect, de consentement et d’émotions. C’est essentiel pour prévenir les abus. »

estime une enseignante de CE2

Les thèmes jugés les plus prioritaires sont le consentement, la prévention des violences sexuelles, et la connaissance du corps.

63,6 % des répondants souhaitent bénéficier de ressources pédagogiques clés en main, de formations spécifiques et, dans certains cas, de l’intervention de professionnels extérieurs (psychologues, associations spécialisées).

« Si l’école fait tout, les familles risquent de se désengager. Or les enfants ont besoin d’entendre ces messages aussi à la maison. »

nuance toutefois un enseignant de CM1

Au-delà de la prévention des violences, les enseignants voient dans ces séances un moyen de contrer la désinformation, très présente sur internet.

« Si nous ne faisons rien, les enfants apprendront ailleurs, souvent par la pornographie ou des rumeurs entre camarades. »

témoigne Alice, une étudiante en formation

L’échantillon de professionnels de l’enfance qui ont été interrogés dans notre sondage souhaite un soutien auprès d’associations ou de professionnels de santé, qui leur semblerait indispensable pour mener à bien ces séances.

Sondage de l’association Exprime sur l’éducation sexuelle auprès de 11 professionnels de l’enfance en aout 2025

Une protection jugée nécessaire contre la désinformation

Si l’école doit désormais assurer un socle commun, elle n’est pas la seule actrice de l’éducation à la sexualité. En France, de nombreuses associations spécialisées jouent un rôle essentiel d’accompagnement auprès des familles et des jeunes.

Le Planning familial, présent sur tout le territoire, propose des interventions dans les établissements scolaires, mais aussi des permanences anonymes et gratuites. Les conseillers répondent aux questions des adolescents comme des parents, qu’il s’agisse de contraception, de consentement ou de violences sexuelles.

Des associations plus locales, comme Sésame, développent également des actions de prévention et d’information auprès des familles, avec un objectif : créer un espace de parole où les enfants et les adultes se sentent écoutés et soutenus.

À côté de ces structures, les réseaux sociaux occupent une place croissante dans l’éducation informelle des jeunes. Certains comptes Instagram, gérés par des sexologues ou des militants, rencontrent un vif succès auprès des préadolescents et des adolescents. C’est le cas de @wicul_, qui vulgarise les notions liées au corps, au consentement ou aux relations affectives, et de @sexonslibre, qui propose une approche inclusive et pédagogique de la sexualité.

Ces ressources, bien qu’extérieures à l’école, contribuent à lever les tabous et à offrir aux jeunes des contenus fiables, à l’opposé des images souvent trompeuses ou stéréotypées auxquelles ils peuvent être exposés en ligne. Elles constituent ainsi un relais précieux pour les familles comme pour les enseignants, qui ne peuvent pas toujours répondre à toutes les interrogations.

« Je ne sais pas si c’est vraiment une bonne chose mais c’est grave gênant de parler de sexualité avec les parents, je préfère être informé à l’école. Surtout quand on a des parents qui sont fermés à la discussion.« 

Émilien, collégien

« Quand on est une fille, malgré la bonne entente avec ma mère, je ne me vois pas parler de sexualité avec elle, je peux lui dire si j’ai un copain, mais c’est tout ! »

Jade (prénom modifié), lycéenne

Entre avancée et vigilance

La mise en œuvre du programme EVARS suscite donc à la fois espoir et prudence. Les enseignants saluent une avancée majeure pour la protection et l’épanouissement des enfants, mais préviennent : sans moyens concrets, la réforme risque de rester théorique.

À la rentrée 2025-2026, les premières séances permettront de mesurer l’efficacité réelle de cette réforme. Les attentes sont fortes : faire de l’éducation à la sexualité un outil de prévention des violences, mais aussi un levier d’égalité et de respect dès le plus jeune âge.


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