Que ce soit l’interdiction de Barbie dans plusieurs pays ou le rhabillage numérique de Florence Pugh dans certaines versions d’Oppenheimer, la censure continue de dénaturer le 7e art. En Occident, elle domina notamment l’âge d’or d’Hollywood au moyen du Code de production, aussi dénommé « Code Hays ».
Hollywood : la ville du vice et du péché
Après des débuts tâtonnants, l’industrie cinématographique connait, dans les années 1910, une véritable métamorphose ! Les studios déménagent à Los Angeles, les réalisatrices sont remerciées (voir notre article sur Alice Guy) et les acteurs se professionnalisent.
Coupé du monde au milieux des collines, ce microcosme s’adonne à une vie de plaisir et d’excès. Mais si les frasques hollywoodiennes fascinent l’Amérique, elles sont loin d’être conformes aux mœurs puritaines de l’américain moyen.
Cette tolérance de « l’Hollywood way of life » fut fragilisée par une suite d’affaires scabreuses qui culminèrent, en 1921, au viol et au meurtre de l’actrice Virginia Rappe par Roscoe Arbuckle, une star du cinéma muet. Ce scandale déclencha une vague d’indignation à travers le pays et une véritable levée de boucliers des milieux religieux conservateurs.
Face à la menace d’une censure étatique, les studios prirent les devants en privatisant le processus. En 1922, ils créèrent ainsi la « Motion Picture Producers and Distributors of America » (MPPDA), une association chargée de redorer l’image d’Hollywood. Présidée par Williams Hays, elle publiera, dans les années qui suivirent, des règles de bonnes conduites censées assurer la bonne moralité des films.
Prénommées les « Don’ts and Be Carefuls », ces premières ébauches d’autocensure furent peu à peu remaniées jusqu’à aboutir, en 1930, au code de production, ou « Code Hays ».
N’étant pas obligatoire, le code ne fut que très peu respecté à ses débuts. Les professionnels du cinéma, qui avaient jusqu’alors pu créer à leur guise, n’y virent qu’une simple lubie qui serait vite oubliée.
Un code pour les gouverner tous
C’était sans compter sur la Grande Dépression et la chute vertigineuse de 40 % des revenus de l’industrie cinématographique. Les faveurs des milieux religieux et conservateurs, qui détenaient à l’époque une influence considérable auprès du public, devinrent donc vitales pour les studios. C’est ainsi qu’en 1934, le respect du code devint une condition sine qua none à la distribution des films.
Sans grande surprise, le contenu du code Hays est fortement orienté. Pas de sexe, pas de blasphème, pas de « perversion sexuelle », pas de couple de « races » différentes et, surtout, pas d’anti-héro. Quiconque défit la loi ou la morale doit être sévèrement puni, même dans les œuvres de fiction.
L’un des premiers film à faire les frais de l’autocensure fut Tarzan. Maureen O’Sullivan, qui nageait nue dans le premier opus, fut gentiment priée d’aller se rhabiller pour la suite.
Cette soudaine pudeur affecta également l’animation, dont notamment une icône du cinéma pré-code : Betty Boop. Sous l’effet d’Hays, celle-ci perdit son iconique jarretière, ses robes se rallongèrent et ses aventures se limitèrent à la sphère domestique. Selon Mark Fleischer, petit-fils du créateur : « Cette sorte de représentation normative des mœurs de la classe moyenne a retiré toute joie de vivre à Betty (…) le code Hays fut le début de la fin pour Betty Boop ».
Loin de se décourager, certains réalisateurs virent dans ses restrictions une opportunité créative. En effet, en usant d’allégorie, d’ellipse et d’ingéniosité technique, il était possible de contourner les règles sans pour autant les enfreindre. Le maître en la matière était Alfred Hitchcock. Contraint de limiter les embrassades à 3 secondes (montre en main), il réussit à contourner la censure en démembrant un baiser de 3 minutes en segment de 3 secondes chacun.
Le déclin de l’empire Haysien
Appliqué strictement de 1934 à 1954, le code commença à péricliter au cours des années 50. L’évolution des mœurs et les prémisses de la révolution sexuelle amoindrirent l’influence des conservateurs sur la jeune génération. Le fait qu’un film se libère des règles du code n’était plus synonyme d’échec commercial mais de triomphe !
Une œuvre qui rencontra ainsi un succès phénoménal tout en s’affranchissant du code fut Certains l’aiment chaud (1959) de Billy Wilder. Non seulement Maryline Monroe y aborde des décolletés plongeants mais surtout, les deux héros se travestissent en femmes, acte « pervers » formellement prohibé par Hays.
Soutenu par la critique et par l’engouement du public, les réalisateurs repoussèrent ainsi, films après films, la pudibonderie des studios. La concurrence de la télévision et l’influence des films étrangers jouèrent également un rôle crucial dans la débâcle. Non soumis au code, la Nouvelle Vague européenne réussit particulièrement à séduire le public américain (on se demande bien pourquoi…).
Si bien qu’en 1964, il fut décidé que le code Hays avait fait son temps. Vestige de l’âge d’or d’Hollywood, il fut remplacé en 1968 par une classification conditionnant l’accessibilité des films à l’âge des spectateurs. Ce système est aujourd’hui utilisé dans de nombreux pays, dont en France (avec, néanmoins, un léger décalage au niveau de l’appréciation de l’âge… ).
Films | France | USA | Belgique / Pays-Bas |
Tous publics | – de 17 ans | – de 12 ans | |
Tous publics | – de 13 ans | – de 12 ans | |
Tous publics | – de 17 ans | – de 16 ans |
Le jour d’après
Si le code Hays ne fut plus appliqué, son impact sur le cinéma continua insidieusement de perdurer. Les couples mixtes, par exemple, restèrent fortement minoritaires. Et lorsqu’ils apparaissaient à l’écran, leurs interactions étaient beaucoup plus platoniques que pour un couple aux mêmes origines ethniques.
Il en va de même pour la représentation LGBT+. L’homosexualité, qui tombait dans la catégorie prohibée des « perversions sexuelles », pouvait désormais être suggérée mais à la condition que le personnage connaisse une fin tragique. Il ne fallait surtout pas que les spectateurs s’imaginent que ce style de vie puisse mener au bonheur…
Aujourd’hui, si les relations gay sont davantage présentes au cinéma et dans les séries, les personnages LGBT+ continuent de subir une mortalité bien supérieure à leurs homologues hétérosexuels. Ce phénomène est d’une telle ampleur qu’il a même un nom : Bury your gays.
Eternal censorship of a greedy mind
Bien que libéré du code Hays, le cinéma hollywoodien reste une industrie dont la clientèle est désormais composée d’une multitude de populations aux mœurs hétérogènes. Soucieux de ne pas se voir interdire des marchés juteux à l’étranger, les studios continuent donc de se refréner délibérément sur certains sujets. Affectant plusieurs maillons de la chaine de production, cette nouvelle autocensure officieuse étouffe les voix divergentes, notamment celles des femmes, et prive certains publics minoritaires de représentation.
Il faudra néanmoins nous en contenter en attendant qu’une Seconde Vague remette le cinéma à la place qu’il n’aurait jamais du quitter : celle d’un art libre et subversif !
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