Moins imposantes de par leur taille que les sculptures grecques antiques, ces statuettes sont tout autant impressionnantes. Premières représentations humaines figuratives, le temps qui nous sépare de ces œuvres préhistoriques se compte en milliers d’années. Témoins d’une époque marquant l’apparition de l’Homme moderne (Homo sapiens), les « vénus » paléolithiques soulèvent encore aujourd’hui bien des interrogations.
Qui sont-elles ?
Pour comprendre le contexte, il est nécessaire de revenir sur des notions parfois indigestes… alors, on s’accroche !
Les « vénus » paléolithiques, sont aussi appelées « vénus » gravettiennes, car elles proviennent du gravettien, une culture eurasiatique du paléolithique supérieur. Pour comprendre dans quelle temporalité se trouve ce dernier, nous pouvons diviser la préhistoire en deux parties : le paléolithique (âge de la pierre ancienne) et le néolithique (âge de la pierre nouvelle). Le paléolithique supérieur est une époque de transition, de l’Homme de Néandertal vers l’Homo Sapiens, avec notamment la conception des premiers objets d’art.
Voici une rapide présentation des « vénus » paléolithiques :
- Ces figurines datent d’environ 25 000 à 20 000 ans avant notre ère (nous ne sommes qu’en 2023, cela donne une idée de leur âge quelque peu avancé).
- Elles mesurent entre 4 et 25 cm de hauteur.
- Elles sont réalisées dans des matériaux résistants tels que l’ivoire, la terre cuite et la pierre, étant donné qu’elles furent confectionnées lorsque les Hommes préhistoriques étaient encore nomades. Cela permettait de les transporter sans trop risquer de les casser. Certaines statuettes retrouvées ont tout de même été faites en céramique, matériau largement utilisé durant le néolithique, une fois les Hommes préhistoriques devenus sédentaires.
Entre 2014 et 2019, 15 figurines ont été retrouvées lors d’un chantier de fouilles archéologiques, sur le site de Renancourt, dans la Somme, près d’Amiens. Il s’agit des premières « vénus » déterrées dans le Nord de la France, et aucune n’avait été trouvée sur le territoire depuis 1959, en Dordogne. En effet, les artefacts découverts recouvrent une zone géographique assez importante, puisque cela s’étend environ de l’Espagne à la Russie.
Quelques-unes des plus connues
La dame de Brassempouy, ou dame à la capuche, est découverte en 1894, sur le site de Brassempouy, dans les Landes.
Il s’agit d’une des représentations d’un visage humain les plus anciennes. D’une taille de seulement 3 cm, les traits réalistes du visage sont définis avec une grande précision et ce qui semble être sa coiffe, ou une capuche comme le suggère son nom, est quadrillée.
Cette figurine en ivoire de mammouth, diffère des autres « vénus », car le visage n’est généralement pas esquissé. D’ailleurs, elle n’est pas considérée pas certains historiens comme une « vénus », car en plus de la rigueur du trait du visage, il n’y a pas de corps pour prolonger la statuette. Or, le corps est partie constituante des statuettes.
La « vénus » de Willendorf, est découverte sur le site du même nom en 1908, en Autriche, et est conservée au musée d’histoire naturelle de Vienne. Elle mesure 11 cm, est faite de calcaire et des traces de pigment rouge laissent penser qu’elle était peinte.
On retrouve ce qui semble être également une coiffe, qui entoure sa tête, mais le visage n’est pas défini. Une caractéristique que l’on retrouve chez la plupart des « vénus », est la stéatopygie, c’est-à-dire que le volume du fessier, des cuisses et des seins est hypertrophié, soit la mise en avant des capacités reproductrices.
Enfin, en 2019, a été trouvée une quinzième « vénus », sur le site de Renancourt. Elle est la seule des 15 à être entière et bien conservée, cette figurine de craie, qui mesure seulement 4 cm, est exposée au musée de la Picardie, à Amiens. Comme les deux autres, elle présente une coiffe quadrillée, ainsi qu’une stéatopygie, à la manière de la « vénus » précédente.
un nom anachronique
Le nom de « Vénus » pour désigner ces artefacts est fortement répandu. Néanmoins, les historiens le placent entre guillemets, car le mythe de la déesse Vénus provient de la mythologie grecque, déesse bien postérieure au paléolithique supérieur.
En effet, Vénus chez les Romains et Aphrodite chez les Grecs, est la déesse de la beauté, de l’amour, de la séduction et de la fertilité. L’olympienne incarne un certain idéal de la féminité, caractérisée entre autres par son apparence physique et sa capacité de maternité.
Il semblerait qu’on ait commencé à nommer les figurines préhistoriques ainsi au XIXe siècle, période importante de découvertes archéologiques et du retour de l’art grec dans la société.
Les représentations de la divinité sont innombrables, que ce soit en sculpture ou en peinture, durant l’Antiquité ou la Renaissance, mais on remarque vite des ressemblances. Parmi elles, la nudité de Vénus et le fait que l’œuvre soit réalisée par un homme. Ainsi, cette appellation de « vénus » n’est pas faite au hasard, et peut être abordée comme le reflet d’une interprétation biaisée et fantasmée.
Figurines aux multiples interprétations
Malheureusement, les Hommes préhistoriques n’ont pas laissé de traces écrites pour expliquer le mode d’emploi de ces statuettes, le sens donné dépend alors en grande partie de notre imaginaire contemporain.
Pour commencer, des historiens leur ont attribué… une visée pornographique. Ensuite, la stéatopygie des figurines est une caractéristique redondante chez la majorité des figurines, on pense alors à des représentations de déesses de la fécondité et de la maternité. En réalité, le territoire géographique de ces « vénus » est très étendu, ce qui mène à penser qu’il ne pouvait y avoir une seule utilisation.
Dans son livre Les grandes oubliées, Titiou Lecoq souligne le fait que peu de représentations humaines sont faites durant la préhistoire (environ 5 %) et les femmes sont plus représentées que les hommes. De plus, rien n’indique que ces statuettes n’aient pas été faites par des femmes pour les femmes.
« Mais on n’a absolument aucune preuve que ces œuvres, sculptures, gravures, peintures, aient été faites exclusivement par des hommes. Rien si ce n’est nos propres biais, qui nous font toujours relier art et homme, puissance artistique et masculinité. »
Titiou Lecoq – Les grandes oubliées, pourquoi l’Histoire a effacé les femmes – 2021
Pour finir, une certaine confusion apparaît face à ces œuvres à l’aspect moderniste, et leurs véritables utilisations resteront toujours sans réponse, même si l’on observe des lectures différentes selon les époques. En-tout-cas, la présence féminine dans l’art préhistorique ne peut être niée, en témoignent les nombreuses « vénus » et les vulves qui ornent les parois des grottes.
Aujourd’hui, les historiennes sont de plus en plus présentes, et proposent une autre lecture de l’Histoire, de quoi dépoussiérer certains préjugés des siècles précédents.
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