6 Place Sébastopol à Lille, c’est à côté de l’emblématique théâtre que tu peux retrouver l’Affranchie. « Librairie des féminismes, fan de poésie, de théâtre, de fleurs, d’amitiés et d’audace », peut-on lire dans la description de son Instagram, L’Affranchie se distingue des autres librairies de la ville par sa spécialisation dans la littérature féministe et queer ainsi que dans les arts du spectacle.
Malgré l’essor exceptionnel de la vente de livres dits « féministes » depuis le mouvement #MeToo, le nombre de librairies militantes pour la cause des femmes reste très restreint, et ce partout en France. Les Éditions des femmes, créées par Antoinette Fouque en 1973, en dénombre seulement une quarantaine dispersées parmi les villes françaises.
Des arts du spectacle aux essais féministes
À l’origine spécialisée dans les arts du spectacle, on pouvait retrouver l’Affranchie sous un autre nom, Dialogue théâtre, et dans un local situé au cœur du Vieux Lille. La Librairie est reprise en 2012 par Soazic Courbet, son actuelle gérante. Après des premières années de survie, la librairie arrive finalement place Sébastopol en 2016 et prend le nom de l’Affranchie en septembre 2017.
C’est donc à ce moment qu’arrive le féminisme dans la librairie, d’abord sous la forme d’un petit rayon spécialisé, qui s’est aujourd’hui bien agrandi. Le déclic se fait après une révélation, pendant la lecture du roman graphique Les sentiments du prince Charles de Liv Strömquist. Le marché de la littérature féministe émerge tout juste en France où encore très peu de productions parlent de sujets féministes, tandis que les essais anglophones ne sont que peu traduits.
Mais c’est aussi le début du mouvement #MeToo. L’Affranchie, au cœur de cette prise de parole des femmes, fait de plus en plus de place aux essais et récits féministes.

une librairie féministe ?
À l’Affranchie cohabitent essais féministes, recueils de poésie, pièces de théâtre, livres jeunesse, récits de vie et presse militante. Si aujourd’hui la librairie se dit spécialisée en féminismes, tout l’intérêt est également de maintenir son héritage des arts du spectacle via des rayons toujours très fournis. C’est toute la richesse de l’Affranchie et de sa clientèle capable de passer d’un genre à l’autre et de faire interagir des littératures qui ne coexistent que rarement.

La sélection des ouvrages qui vous retrouvez sur les étagères est minutieuse : « tout est sélectionné et étudié pour être certaine que les livres correspondent à nos engagements » explique la libraire. Si l’on y retrouve majoritairement des essais féministes, la librairie s’ouvre davantage aujourd’hui à la fiction, suite à la demande des client·es.
« C’est par ce qu’on lit qu’on peut imaginer des futurs désirables. »
Soazic Courbet, au micro de Nathalie Sejean pour le podcast Faire.
un marché concurrentiel ?
Depuis 2017, les écrits féministes semblent avoir déferlé dans tous les espaces de vente de livres. Selon une étude menée par Livres Hebdo en 2021 : « la vague #MeToo a provoqué une ruée éditoriale vers les thématiques féminines et féministes. Entre 2017 et 2020, la production de livres consacrés aux femmes en non-fiction a augmenté de 15 % ».
En réalité, ce mouvement est à double tranchant. S’il rend plus accessible la littérature féministe, c’est en contrepartie d’une récupération de la cause des femmes par les entreprises du livre peu ou non informées sur ces thématiques. Les acteurs·ices féministes présent·es dans le monde de l’édition dénoncent le féminisme washing ou purple washing de ces entreprises. Aujourd’hui, les thématiques féministes sont devenues un marché lucratif comme un autre.
L’enjeu pour les librairies militantes est donc de mettre en avant des projets véritablement engagés et des auteurs·ices peu relayé·es dans les magasins culturels et médias traditionnels. L’Affranchie a donc fait le choix de rester radicale dans ses sélections d’ouvrages ce qui, selon sa fondatrice, est incompatible avec un possible enrichissement.


Être une librairie indépendante : une question de survie ?
Cet essor de l’édition féministe est à nuancer. Dans la dernière étude publiée à ce sujet en novembre 2025 par Livres Hebdo, on constate un recul des ventes de 22 % en quantité vendue et de 28 % en chiffre d’affaires. Ce recul s’inscrit dans un contexte plus général de crise des librairies.

Dans ce contexte où les grandes surfaces culturelles concurrencent de plus en plus les librairies, faire fonctionner une librairie indépendante est une lutte quotidienne. Avec un budget à l’équilibre, la librairie ne fait donc pas de bénéfices ce qui empêche la création d’une trésorerie stable et la gestion des imprévus financiers.
Lire pour résister
Les librairies indépendantes et féministes font exister des visions du monde et laissent entendre des voix souvent mises à l’écart de la culture « mainstream ». Des discours qui concernent pourtant une part non négligeable des lecteurs·ices qui restent au rendez-vous et soutiennent les petites librairies telles que l’Affranchie.
« Nous avons 30 % de clientes réguliers·ères. En majorité des femmes et des personnes non binaires et trans, puisqu’il s’agit aussi de notre ligne éditoriale. »
Soazic Courbet, pour Exprime

Maintenir ces librairies ouvertes est une forme de résistance contre une culture dominante relayée par les magasins culturels et médias traditionnels. Leur rôle est de diffuser un travail, des pièces et des œuvres d’auteurs·ices qui sortent des systèmes d’oppression dans leur narration. À l’Affranchie, moins de 3 % des références sont écrites par des hommes hétérosexuels cisgenres.
« C’est notre raison d’exister : proposer des littératures peu visibles. »
Soazic Courbet, pour Exprime
Voici ce qu’écrit à ce propos Antoinette Fouque, militante féministe et une figure historique du Mouvement de libération des femmes, pour l’Edition des femmes :
« Né.e fille ou garçon, on devient femme ou homme, masculine ou féminine : écrire ne sera donc jamais neutre. […] En aucun cas, il ne s’agissait de déclarer a priori qu’il y avait une écriture de femme. Editer, dans ce contexte, prend alors un sens nouveau. Publier des livres, c’est assister des femmes écrivains dans leur travail de mise au monde de textes. »
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