Changement climatique et santé mentale

Depuis de nombreuses années déjà, les effets destructeurs du changement climatique font partie de notre quotidien et nous ne sommes pas tous égaux face à ceux-ci. Le dernier rapport du GIEC (2023) souligne que dans les régions touchées, des problématiques relatives à la santé mentale émergent : troubles de stress post-traumatique, anxiété, dépressions. Tentons d’abord de mieux comprendre qui est touché.

Un « colonialisme » climatique

Une étude du think tank Carbon Brief (2022) a cherché à savoir quels pays ont le plus contribué à l’émission des 2 500 milliards de tonnes de CO2 émises par l’humanité depuis 1850. Une tonne de CO2 émise en 1850 conserve encore son pouvoir chauffant sur notre atmosphère contemporaine. Sans surprise, les pays occidentaux sont les principaux responsables de ces émissions.

Pourtant, ces pays ne sont pas les plus affectés par des événements climatiques extrêmes. Ce sont les pays africains, les îles des Caraïbes ou du Pacifique qui sont le plus touchés, malgré leur faible population et l’impact restreint qu’ils ont eu sur le climat. Ces événements conduisent à des déplacements de population, que les locaux vivent parfois comme une injustice. Cette situation est d’ailleurs qualifiée de « colonialisme » écologique par l’historien belge David van Reybrouck :

« Il en va du réchauffement climatique comme du tabagisme passif : vous n’avez rien demandé à personne, mais vous en subissez toutes les conséquences. […] Et bien voilà : disons que les pays du Sud sont les fumeurs passifs de l’hémisphère nord. Non, c’est même pire en réalité, car ils souffrent plus que les fumeurs eux-mêmes ».

David Van Reybrouck, Nous colonisons l’avenir, 2022
Personnes déplacées à cause de catastrophes naturelles, 2008-2017. Photo : FNSP, Sciences Po, Atelier de cartographie, 2018

Tous ces bouleversements affectent donc des populations majoritairement pauvres, qui ne sont pas armées économiquement, psychologiquement ou médicalement pour faire face à de tels bouleversements, les plongeant encore plus dans la précarité.

« Quelles pertes chaque fois qu’un village est chassé pour laisser place à un projet extractiviste, à un barrage ? Les habitants abandonnent leurs maisons, leurs écoles, les puits qu’ils ont construits, leurs églises, leurs cimetières, leurs ancêtres. Mais ils laissent aussi la richesse d’un territoire qu’ils avaient choisi, d’un fleuve qui les nourrissait, d’une végétation qui les soignait. Quel est le coût de cette perte là ? »

Oumou Koulibaly Kone, activiste écoféministe au Sénégal, dans le 1 Hebdo, n° 438

Quels traumatismes subsistent ? Peu d’études prennent en considération ces sujets pour le moment.

Autre exemple criant d’une migration forcée : le peuple Kuna vit sur l’île de Carti Sugdupu, au large du Panama, depuis au moins 1690. Les habitants, relativement autonomes depuis 1925, ont été sur le devant de l’actualité en 2024, après être devenus les premiers réfugiés climatiques d’Amérique. Menacée par la montée des eaux qui guettait d’ici une décennie et qui aurait complètement enseveli l’archipel, la communauté s’est établie pour la première fois sur le continent. La population est délocalisée dans un village moderne, avec plus de confort, et la qualité de vie générale des Kuna semble meilleure.

Toutefois, de nombreuses questions se posent : comment garder ses traditions et coutumes dans un environnement étranger ? Quel impact sur l’identité profonde de ce peuple ? Comment se sentir chez soi en tant que peuple de pêcheurs alors que le nouveau village, financé certes par le gouvernement panaméen, est aménagé à plusieurs kilomètres de la mer ?

L’impact psychologique du changement climatique

Les études sont plus nombreuses en occident. Des conséquences différentes sont observées en fonction de la catastrophe vécue. Celles-ci ne sont pas propres au changement climatique, car les catastrophes naturelles ont toujours existé et ont sans doute depuis longtemps eu un impact similaire sur la santé mentale des gens, mais de plus en plus de personnes sont affectées aujourd’hui.

Les inondations font partie des catastrophes climatiques les plus fréquentes. En plus de devoir faire face à l’événement en tant que tel, de nombreuses traces subsistent dans la gestion de l’après-inondation (perte de l’habitation, de biens matériels, stress de la délocalisation, deuil), notamment dans l’aspect mental. Tout ceci résulte en un stress accru, la dépression, et souvent aussi un trouble de stress post-traumatique, dans 36 % des cas.

Les cas de feux de forêt sont liés à l’émergence de symptômes comme la dépression, l’anxiété, des phobies ou de la paranoïa. Ces dernières années, l’Europe, le Canada, les États-Unis ou encore l’Australie ont été particulièrement touchés par ces catastrophes. Une étude menée en Australie montre qu’un an après des feux, 42% de la population affectée nécessitait toujours d’être suivie psychologiquement. Autour du monde, les victimes présentent les mêmes maux. Que ce soit en Californie ou en Grèce, environ un tiers des personnes touchées souffre d’une dépression majeure, et environ un quart des personnes vit avec un trouble de stress post-traumatique.

Dans les cas de sécheresses extrêmes, les agriculteurs sont particulièrement affectés : perte de récoltes, végétaux qui se développent plus lentement et conséquences économiques qui en découlent. Une étude de l’université australienne d’Adélaïde, établit un lien entre les périodes de sécheresse et le taux de suicide chez les agriculteurs : un mois de fortes sécheresses supplémentaires augmente le taux de suicide jusqu’à 32%.

En 2023, la France comptait 9 200 suicides par an chez les agriculteurs, ce qui représentait déjà un des taux les plus élevés d’Europe, toutes causes confondues. Les périodes de sécheresses étant plus intenses et fréquentes, il est malheureusement probable que ce chiffre augmente lors des prochaines décennies. Il est urgent qu’un accompagnement adapté des agriculteurs soit mis en place, non seulement pour les aider à adapter leur pratique professionnelle, ce qui commence à être mis en place, mais aussi pour l’aspect psychologique.

Enfin, de nombreuses études réalisées depuis plusieurs décennies établissent une corrélation entre hautes températures et comportements violents : crimes, viols, suicides ou simplement colères exagérées sont plus fréquents par canicule. La question de la prévention de ces comportements, qui touchent principalement les populations précaires, devient donc elle aussi centrale.

Les troubles psychologiques causés par le changement climatique sont évidents, et représentent un phénomène assez récent, et pour l’instant peu étudié et pris en compte dans les politiques de santé publique. Tout cela sans compter les personnes victimes d’éco-anxiété. Face à une situation écologique qui ne va pas en s’améliorant, il est important que les pouvoirs publics mettent en place des dispositifs et des suivis adaptés pour les individus touchés, pour les aider à faire face à une situation qui est déjà difficile.


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