Camille Claudel, sculpter « comme un homme »

Camille Claudel évolue dans la société française de la fin du XIXe siècle. Être une femme signifie alors rester dans la sphère domestique et intime, le chemin du mariage et par la suite de la maternité sont une évidence, pas de place pour l’ambition carriériste et personnelle. Camille Claudel est souvent associée au sculpteur Auguste Rodin, et à sa folie déclarée qui justifie son internement durant ses 30 dernières années de vie. Mais Camille Claudel est surtout un exemple de déviance du carcan imposé aux femmes, son parcours en tant qu’artiste et, particulièrement en ce XIXe siècle, de femme artiste, mérite d’être retracé encore et encore… Au même titre que ses collègues masculin !

Claudel et Rodin, liaison passionnelle 

Mettons les pieds dans le plat directement, si Camille Claudel est autant rattachée à Auguste Rodin, c’est qu’il lui a effectivement permis d’avoir accès à un grand atelier de sculpture et de profiter, en partie, de la renommée grandissante du sculpteur.

Née en 1864, Camille montre dès l’enfance un talent et un attrait particulier pour la sculpture. Sa mère n’approuve pas cette passion, et encore moins l’idée que Camille en fasse son métier. Heureusement, son père l’encourage et la laisse même apprendre auprès du sculpteur Alfred Boucher. Une fois à Paris, à défaut de pouvoir apprendre aux Beaux-Arts, alors encore interdits aux femmes, Camille apprend dans une académie privée, et auprès d’autres artistes.

Portrait de Camille Claudel

En 1882, Alfred Boucher part pour l’Italie et confie l’enseignement de Camille à un autre sculpteur, le fameux Auguste Rodin. La rencontre des deux artistes devient une relation passionnelle, tant pour leurs talents de sculpteur·ice, que pour les sentiments l’un envers l’autre. Dans un premier temps, Claudel est l’élève de Rodin, puis forte de son talent, elle devient assistante dans son atelier. Elle contribue alors à la renommée de Rodin, notamment en moulant les mains et les pieds de certaines des statues, tâche normalement effectuée par l’artiste et non par les assistants qui s’occupent davantage de tailler le marbre d’après ces moules.

Une artiste au-delà d’une collaboratrice

Ce rôle de collaboratrice ne convient pas à Camille Claudel, qui se garde des moments pour créer ses propres sculptures, et souhaite pouvoir s’y occuper exclusivement. Voici trois de ses œuvres :

La petite châtelaine, Camille Claudel, 1892-1896, Musée d’Art et d’Industrie de Roubaix. Photo : Pierre André

La petite châtelaine, datant de 1895-1896, est exposée au musée La Piscine à Roubaix. Cette sculpture est un portrait en buste, d’une petite fille de 6 ans qui aurait posé de nombreuses heures pour l’artiste (une soixantaine d’heures). La tête de la jeune fille est légèrement relevée, avec son regard qui se dirige vers le haut.

L’Âge mûr, Camille Claudel, 1899, Musée d’Orsay. Photo : Pierre André

L’âge mûr (1899), fut initialement une commande de l’État ensuite suspendue. Claudel accuse Rodin de l’avoir faite annulée, rien ne le prouve même s’il est vrai que la sculpture n’était pas à l’avantage du sculpteur. On y retrouve effectivement une référence à la vie sentimentale des deux amants, Rodin n’ayant pas épousé Camille, car il souhaitait rester auprès de sa femme, une certaine Rose Beuret.

Cette sculpture évoque également le temps qui passe inévitablement. Un vieil homme est représenté, se faisant accompagner par une vieille dame, tandis qu’une femme plus jeune, à genoux, essaye de le retenir.

« Mais si la sculpture fait écho à sa séparation d’Auguste Rodin, Camille Claudel y évoque avant tout la destinée humaine : cette allégorie des âges de la vie, montrant le passage de la jeunesse à l’âge mûr puis à la vieillesse, revêt une portée universelle. »

Musée Camille Claudel, collections
La vague ou Les baigneuses, Camille Claudel, 1898-1903, Musée Rodin. Photo :
Jean-Pierre Dalbéra

La vague, ou Les baigneuses, réalisée vers 1900, fait partie des sculptures que Camille Claudel appelle des croquis d’après nature. Trois femmes se tenant la main se trouvent dans le creux d’une vague prête à les engloutir. Cette œuvre est inspirée du travail du peintre japonais Hokusai.

Folie d’être femme ?

À l’aune du XXe siècle, et alors que Camille a décidé de s’émanciper, afin d’évoluer en dehors de l’ombre de Rodin, sa santé mentale se dégrade. Bien qu’une psychose paranoïaque lui sera diagnostiquée, on ne peut nier l’impact sociétal qui a dû peser sur la santé de l’artiste. Être une femme dans un monde d’homme était déjà considéré comme une anomalie, comme le rappelle la conservatrice en cheffe du musée Camille Claudel, Cécile Bertran. À cela s’ajoutent la précarité dans laquelle vit Camille Claudel ainsi que son isolement social.

« Pour louer son travail, [les critiques] ont besoin de dire que son travail est viril. On voit qu’il y a une espèce d’impossibilité entre être un grand sculpteur habile et être une femme. »

Cécile Bertran, dans l’émission Autant en emporte l’Histoire de Stéphanie Duncan sur France Inter

Camille Claudel détruit plusieurs de ses œuvres, se referme sur elle, et souffre de paranoïa. Elle est persuadée que Rodin et ses autres souhaitent détériorer son travail. En 1913, suite à la mort de son père qui fut une figure de soutien durant toute sa vie, elle est internée. C’est en 1943, durant la Seconde Guerre mondiale, que Camille Claudel meurt. Les patients de ce que l’on nomme à cette époque les asiles psychiatriques, sont considérés comme inutiles et sont alors abandonnés, sans nourriture ni soins.

Artiste née, Camille Claudel durant toute sa vie tente de se frayer un chemin parmi ces artistes au masculin. Elle souhaite par-dessus tout exister à part entière et non pas sous le joug d’hommes, aussi bienveillants soient-ils, ou du moins tentent-ils de l’être. Les œuvres de Camille Claudel sont aujourd’hui reconnues et célébrées, avec notamment l’ouverture, en 2017, du musée Camille Claudel à Nogent-sur-Seine, dans l’Aube.


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