Cheveux : entre identité et discriminations

En mars 2024, l’adoption de la proposition de loi rendant passible de poursuites pénales la discrimination capillaire propulse les cheveux et les discriminations qu’ils subissent au cœur d’un débat médiatisé. Comment ces poils qui recouvrent nos têtes revêtent-ils une identité et des significations multiples.

LeS cheveuX : Qu’est-ce que c’est ?

Les cheveux, ce sont d’abord ces poils qui habillent nos têtes. On en a plus ou moins, on les aime plus ou moins, on les soigne plus ou moins. Leur partie visible n’est en réalité qu’un amas de cellules mortes. Seul leur bulbe est vivant. Cette réalité biologique contraste fortement avec l’importance qu’ils peuvent avoir dans notre société.

Vivre sans eux ? La calvitie survient lorsque le stress, la dépression ou des fluctuations hormonales raccourcissent certains cycles de vie des cheveux. Elle est souvent perçue comme un défaut esthétique mais suscite des réactions émotionnelles variées. Si certains la vivent comme une perte de confiance en soi, d’autres la voient comme une affirmation de maturité ou de sagesse.

Cheveux : croyances, identités et société

L’exemple de Samson, ce personnage biblique dont la force et la puissance résident dans ses cheveux, illustre bien l’ambivalence des significations que peuvent revêtir les cheveux.

Si la virilité de Samson réside dans ses cheveux, portés par une femme, ils peuvent symboliser la féminité. L’art de la coiffure en Occident, marqué par la vision judéo-chrétienne, voit les cheveux féminins comme un objet de séduction et de tentation. On masque ceux-ci par des voiles ou des coiffes jusqu’au XVIe siècle.

Hans Memling, Portrait d’une femme en prière
(1480)

Dans de nombreuses civilisations, les coiffures reflètent la position sociale de leur porteur. Dans sa série documentaire, Cheveux afro, Rachel Kwarteng explore le vécu capillaire de 19 femmes afrodescendantes, de leur enfance à aujourd’hui. Avant la colonisation, et la tonte de beaucoup d’esclaves, les sociétés d’Afrique accordaient une place importante à l’art du cheveu.

Sur le blog cheveuxafroculture, on apprend que chez les Wolofs du Sénégal, une coupe partiellement rasée indiquait qu’une fille n’était pas encore en âge de se marier. Chez les Fulanis, les jeunes filles portaient des perles couleur ambre et des pièces dans leurs cheveux. Les femmes mariées, elles, utilisaient de plus grands ornements de couleur ambre. La coiffure marquait ainsi des étapes de vie, tout en ayant un rôle esthétique et spirituel.

Femme zouloue mariée avec coiffure pyramidale

Sur d’autres continents, les coupes de cheveux ont souvent servi de signe de domination. Par exemple, les femmes tondues en France à la Libération, accusées de collaboration, subissaient cette humiliation publique pour expier leurs fautes et laver symboliquement la nation.

Un autre exemple est celui de la Chine sous les Mandchous. Du Moyen-Âge jusqu’à la révolution de 1911, ils imposeront le rasage hémicrânien et le port de la natte aux hommes chinois. Ils utilisent cette norme capillaire pour exercer un contrôle sur la population et punissent de mort ceux qui n’obéissent pas.

Casas-Rodríguez Collection, Saïgon, Chinois mécaniciens à bord des Chaloupes, (c.1907) 1505 P. Cochinchine

Le traitement des cheveux varie selon la place sociale, le genre et la texture des cheveux. En Occident, bien que la démocratisation des salons de coiffure ait permis aux femmes de quitter l’espace domestique traditionnellement réservé à leur coiffure, elle n’a pas bénéficié à tout le monde de manière égale.

Le salon de coiffure, un espace pour tous ?

C’est à Martha Mathilda Harper qu’on doit l’invention du salon de coiffure. En 1888, elle ouvre son propre salon à Rochester, marquant ainsi le début d’une ère nouvelle où l’art de la coiffure devient accessible à tous.

Bob Bonte, Salon de coiffure, 1958

Au XXe siècle, l’industrialisation croissante des soins capillaires a popularisé l’image de la « ménagère parfaite », toujours impeccablement coiffée. Ce changement a ainsi créé des normes esthétiques souvent oppressantes. Par exemple, Eugène Schueller démocratise l’accès aux produits capillaires en introduisant la première teinture pour cheveux en France. Néanmoins, il renforce aussi les pressions sociales pour correspondre à des standards de beauté.

Pour les personnes afrodescendantes, la pression sociale pour arborer des cheveux lisses a conduit à une véritable bataille contre la texture naturelle des cheveux. Cette lutte esthétique était également politique, offrant la possibilité d’accéder à des positions sociales plus favorables. L’histoire nous montre ainsi des anecdotes révélatrices. On peut citer celle des esclaves domestiques, qui, en contact avec des femmes aux cheveux lisses, ont tenté de modifier leur propre texture capillaire par divers moyens : repassage, fourchettes chaudes… Au XXe siècle Garret Augustus Morgan permet l’industrialisation du défrisant chimique à froid, produit formulé à base de soude caustique.

Dans le second épisode de Cheveux afro, les femmes qui témoignent nous parlent de leur expérience de ces produits lissants au packaging coloré, loin de laisser supposer la dangerosité des ingrédients qu’ils contiennent. La pression sociale pour avoir des cheveux raides a longtemps été intense et le reste encore. Elle a fait des actes en apparence anodins un parcours du combattant : se coiffer, trouver des produits adaptés, se rendre dans un salon de coiffure sans en être rejetée.

Affiche du documentaire Cheveux Afro


Hier comme aujourd’hui, vivre avec ses cheveux naturels revient à s’exposer à des gestes discriminants. Cela participe à la formation d’une identité qui peut être douloureuse.

La révolution Nappy (Natural and happy), qui célèbre les cheveux portés au naturel, voit les personnes racisées revendiquer leur pleine intégration dans la société, sans avoir à modifier leur identité. Ce mouvement annonce des changements significatifs. On peut aujourd’hui trouver des gammes de produits et des salons de coiffure adaptés aux cheveux texturés. Un diplôme qui vise à enseigner la coiffure des cheveux texturés a aussi vu le jour. Des artistes, comme Rachel Kwarteng, Laura Nsafou (alias Mrs Roots) avec son album jeunesse Comme un million de papillons noirs ou Lou Lubie avec sa BD Racines participent à lever la méconnaissance et les préjugés autour des cheveux afro et de leur représentation.

Orquidea Martins, Time for magic


Le combat continue toujours. La loi autour de la discrimination capillaire inscrit cette lutte au niveau juridique. Les cheveux texturés ne sont en effet toujours pas perçus comme professionnels. S’il y a des avancées au niveau des représentations ou des soins proposés, c’est seulement un début ! Le diplôme évoqué n’est pas encore détenu par beaucoup de professionnels. Les soins destinés aux cheveux texturés sont chers et les mentalités toujours en train d’évoluer.


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