Kukum, un récit innu

Kukum est un récit de Michel Jean publié aux édition Dépaysage en 2019. Ouvrir ce livre c’est partir en voyage au bord de Pekuakami : un lac si grand qu’il ressemble à l’océan. Perdu au milieu des arbres, Michel Jean laisse la parole à Almanda, une jeune femme qui va quitter le monde qu’elle connait et partir à la découverte du sentiment liberté. 

« Une mer au milieu des arbres. De l’eau à perte de vue, grise ou bleue selon les humeurs du ciel, traversée de courants glacés. Ce lac est à la fois beau et effrayant. »

Michel Jean, Kukum

Découvrir les Innus

Kukum est un récit intimiste qui met en lumière un peuple autochtone très souvent laissé de côté car méconnu : les Innus. Situé historiquement au niveau du Québec et de Terre-neuve-Labrador leur existence a relevé pendant longtemps du mythe.

En effet, puisque le peuple se composait principalement de chasseurs nomades, très peu d’écrits les mentionnaient comme un peuple à part entière ce qui leur a valu d’être entouré de mystère ou rattaché à d’autres peuples. Néanmoins, ils furent l’un des derniers peuples autochtones d’Amérique du Nord à se retrouver dans des villages permanents.

Deux innus, l’un debout, l’autre assis, en période de chasse dans une prairie
Un chasseur innu du Labrador vêtu d’un manteau en peau de caribou, vers 1910 Tiré de In Northern Labrador, de William B. Cabot, 1912
Carte du Quebec (bleu) et du Labrador Terre-Neuve (rouge)

Au rythme de la nature

C’est au sein de cette tribu que l’on rencontre Almanda, une jeune fille de fermière qui décide de s’unir avec Thomas, un Innu. Son histoire est celle de la découverte d’une culture qui n’est pas la sienne mais au sein de laquelle elle devra désormais trouver sa place. On découvre avec elle la barrière de la langue, les difficultés de tout apprendre à nouveau : comment marcher en forêt, comment pagayer, comment chasser…

« Je me suis servie du thé, qui a fini de me réveiller. J’ai avalé un peu de viande séchée et nous sommes demeurés un instant à écouter la forêt s’animer. « 

Michel Jean, Kukum

L’écriture douce et poétique de Michel Jean nous berce entre les hivers rudes où la neige ralentit les mouvements et les étés dans les plaines, symbole d’insouciance. On accompagne la tribu dans les nombreux voyages, la chasse, les moments de joie et les moments de douleur. On se familiarise peu à peu à ce rythme de vie différent. Toujours en mouvement. Au fur et à mesure des pages cette vie si proche de la nature nous devient familière.

Le lac Pekuakami ou St Jean, vision de la NASA

Si ce n’est pas son peuple de naissance, Almanda ne s’y sent pas étrangère. Cette tribu devient la sienne. Même si cette vie est difficile, Almanda découvre également l’héritage des Innus. Par exemple, elle apprendra à confectionner des bonnets brodés de perles ou encore à préparer la nourriture des neiges. C’est tout une tradition culturelle qui se présente sous les yeux des lecteurs et lectrices.

Le livre nous la présente à la fois pleine de jeunesse au fil de son aventure, mais également en vieille femme qui regarde le passé et le chemin parcouru. C’est d’ailleurs de là que provient le nom du récit : Kukum qui veut dire « grand-mère » en Innu.

Les colons : destructeur d’harmonie

Ce serait bien trop facile de se laisser flotter au rythme des saisons et des voyages des Innus. Très vite apparaît ce petit mot qui nous est tant familier mais si destructeur : celui de « progrès ». Finalement, le havre de paix que les lecteurs et lectrices apprennent à connaître devient menacé. Les arbres de la forêt sont coupés, des barrages sont érigés, le territoire devient occupé. Les Innus, peuple nomade se retrouvent pris au piège.

« Ils ne se contentent pas de couper les arbres, rageait-il, c’est toute la vie qu’ils détruisent, les oiseaux, les animaux, ils abattent l’esprit même de la forêt. Comment des hommes peuvent-ils se montrer aussi cruels ? »

Michel Jean, Kukum

C’est l’appropriation des terres. Les colons s’imposent par la force et ignorent les peuples qui vivaient sur ces terres avant eux. Finalement le poids de la tradition ne pèse rien contre celui de la « modernité ». Kukum nous dévoile alors tout un autre pan de l’histoire de la tribu Innu. D’un peuple libre, nomade et fiers, ils se retrouvent enfermés au sein de réserves, de « village permanents ». Traités comme des animaux en cage, la vie y est difficile et sans merci. Beaucoup souffrent et sombrent dans l’alcool et la drogue. Mais le progrès ne s’arrête pas. On détruit des forêts pour y construire des village, des chemins de fers… On force l’apprentissage d’une langue commune qui est celle des colons. Avec cette modernité c’est toute une tradition qui s’éteint à petit feu. 

Un récit de reflexion

Kukum est envoûtant. Il plante des graines de réflexions au fil des pages : quelle est la place que nous donnons à nos origines, à notre histoire ? Almanda nous apprend que nos différences sont une force, que notre patrimoine est un trésor qui doit survivre à l’épreuve du temps. C’est également un récit qui confronte le lecteur à la dure réalité des peuples autochtones et l’histoire de la colonisation. Comment se laisser enfermer quand la vie auparavant se résumait par la liberté ?

Couverture du roman Kukum de Michel Jean

On ne sort pas indemne de ce livre. On en ressort grandi. En effet, les yeux que l’on pose sur le monde autour de nous sont emplis d’une sensibilité nouvelle. Nous vivons dans un monde qui change constamment mais Kukum nous invite à prendre le temps de regarder ce qui s’y trouve avant de tout raser pour construire au nom du « progrès ». Car il n’y a pas qu’une seule façon de vivre et c’est ce qu’Almanda nous apprend tout au long du récit.


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