Origines d’un jazz libre

Expérimental, d’avant-garde, le free jazz est un courant musical qui, par définition, ne connaît que très peu de limites. En effet, cette approche du jazz, de la musique, implique une liberté autant théorique que pratique, tout en ayant des codes. Expression d’une époque, cette musique propose, en 2023, un voyage temporel à part entière et une expérience esthétique rare.

Qu’est-ce que le free jazz ? Qui sont les fondateurs de ce courant musical ? Explorons ensemble les origines du free jazz. 

Le son d’une époque

Le free jazz s’est développé aux États-Unis, au début des années 1960, dans un contexte politique complexe de guerre du Vietnam, à un moment où la contestation sociale grandit au sein de la communauté noire, victime de ségrégation. De tout temps, la musique, en tant que mode d’expression artistique ancestral, a suivi les contextes sociaux et politiques des civilisations humaines. 

La reconstruction des bornes de genre, la réinvention de nouvelles normes esthétiques, le free jazz peut être perçu comme le besoin à cette époque, de créer un son novateur et surtout libre. Autrement dit, pour les musiciens, il est alors question de proposer une autre écriture du monde et ainsi s’approprier le discours qui a été volé au peuple.

Quelques années après la guerre, les courants artistiques sont tournées vers l’avenir tout en portant des traumatismes encore vivaces dans nombres d’esprits créatifs. Dans de nombreux domaines artistiques, rompre les codes devient nécessaire afin de se reconstruire et envisager d’autres possibles, s’affranchir des anciens dictats pour se reconnecter à ce que l’on est et à l’universalité. 

Création d’un langage commun

Pour toute pratique créative, qu’elle soit artistique ou non, les humains ont conçu des codes communs afin de pouvoir dialoguer et améliorer leurs savoir-faire collectivement. Ainsi, la musique s’est vue attribuée, dès le Moyen-Âge, le solfège comme méthode centrée sur l’apprentissage du système de notation et cela constitue encore aujourd’hui la base de l’éducation musicale de la musique occidentale. Néanmoins, les règles évoluent et pour le plus grand plaisir de nos oreilles. 

Parmi les artistes qui abaissèrent les barrières, on peut citer Jackson Pollock, qui inventa son propre langage pictural. Le critique d’art moderne Will Grohmann écrit, au sujet de l’œuvre de l’artiste américain :

« Ici est la réalité, non celle d’hier, mais celle de demain. […] Et quel raffinement de conception picturale. […] Tout est inventé dans l’esprit d’un événement naturel et universel. »

Will Grohmann

C’est d’ailleurs l’œuvre de Jackson Pollock, White light, qui fut choisie comme visuel pour la pochette de l’album Free Jazz: A Collective Improvisation, considéré par certain·es comme le manifeste du free jazz. Quand Ornette Coleman sort cet album en 1960, il s’agit du premier album d’improvisation collective dans le jazz d’avant-garde, à la croisée entre le jazz et la musique expérimentale. Elles sont là, les racines du free jazz !

Ornette Coleman – Free Jazz: A Collective Improvisation

En musique, on parle d’harmonie pour désigner les différentes notes perçues ensemble comme étant harmonieuses. Quelque soit le domaine, la théorie n’empêche pas la créativité, au contraire, elle peut la favoriser. Ainsi, les musiciens qui touchent à l’improvisation, contre toute attente, sont souvent très techniciens et leur pratique est souvent très structurée pour pouvoir être efficace et créer l’émotion. D’ailleurs, Ornette Coleman dit un jour : « Comment est-ce que je change l’émotion en connaissance ? C’est ce que j’ai essayé de faire avec ma trompette ». 

Deux musiciens libres

Ornette Coleman

Ornette Coleman. Geert Vandepoele. Licence

Né en 1930, au Texas, Ornette Coleman est devenu saxophoniste ténor et alto, trompettiste, violoniste et compositeur. Le free jazz perdure en partie sur les bases qu’il a énoncées, mais le funk le revendique également comme précurseur. Il est donc important dans un tel article de vous faire sa présentation et de vous inviter à aller écouter sa musique. 

Né au sein d’une famille de musiciens, cet art l’accompagna tout au long de sa vie. Autodidacte, il appris à jouer d’un grand nombre d’instruments seul et c’est surement pour ça que l’improvisation restera au cœur de sa pratique. Dès les premières scènes, sa musique divise mais ceux et celles qui y seront sensibles affirment dans des chroniques que c’est « un génie qui va changer l’histoire du jazz ». 

Extrait d’un documentaire datant de 1966, où on découvre le trio formé par Coleman qui se rend à Paris pour enregistrer la bande son d’un film.

Ornette Coleman dit lui même avoir tenté « une approche nouvelle et plus libre du jazz ». Il put aborder le sujet longuement avec John Coltrane, également musicien de jazz illustre, et explora diverses pistes, lors de sessions prolongées, aux côtés du pianiste Cecil Taylor et Albert Ayler, saxophoniste. 

Son travail fut mondialement reconnu à la fin de sa carrière avec le prix Pulitzer pour son album Sound Grammar, sorti en 2006. 

cHARLES Mingus

Fredonner une mélodie et la reproduire de façon inventive. Ce fut la méthode employée par Charles Mingus et les musiciens à ses côtés. En effet, Mingus sera toute sa vie tourné vers l’improvisation collective et cherchera continuellement à ne pas s’inscrire dans un catégorie mais bien à créer sa propre musique, unique

Money Jungle (Remastered) · Duke Ellington · Charles Mingus · Max Roach · Duke Ellington

Très tôt, il se passionna pour la musique de Duke Ellington, chef d’orchestre de jazz américain, avec lequel il joua plusieurs fois dans sa carrière. Ils sortiront ensemble l’album Money Jungle, en 1961, dans lequel Mingus est à la contrebasse, Max Roach à la batterie et Duke Ellington à la composition. 

Lui-même né aux États-Unis, en 1922, il commença par apprendre le trombone puis le violoncelle et ensuite la contrebasse. C’est aux côtés du grand Louis Armstrong qu’il fera ses première scènes, au début des années 40. Il joua partout dans le monde et croisa la route de beaucoup de musiciens de jazz. 

Charles Mingus. Tom Marcello. Licence

Particulièrement prolifique à partir de 1956, il sorti une trentaine de disques en seulement 10 ans. Le Mingus Big Band, qui continue de donner des concerts, a été créé après sa mort par son épouse Sue Mingus. L’objectif de cette formation est de jouer la musique de l’artiste, en particulier les nombreuses compositions qui ont été découvertes après sa mort.

Mingus Big Band, en 2002, qui performe à l’occasion du Bern Jazz Festival

Ornette Coleman et Charles Mingus ont connu deux trajectoires de vies différentes mais elles se rejoignent en beaucoup de points. Les principaux seraient surement l’exigence dans la passion et un amour de la création collective. Le free jazz est un courant qui nous ramène à ce que la musique a de plus essentiel, entre l’émotion pure et la rigueur la plus dure. On vous invite donc à aller écouter leur musique, et le free jazz actuel, afin de tenter de ressentir ce que ces musiciens ont travaillé à retranscrire de leur vécu. 


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