Rivers Solomon, l’auteur·e de SF qui défie le genre

Si il y a bien un genre littéraire qui a du mal à se défaire de ses codes, c’est la Science-Fiction. Mais bonne nouvelle, un vent nouveau souffle sur les étagères de nos librairies ! Rivers Solomon, écrivain·e afro-américaine, non binaire et autiste asperger est parvenue à exploser le cadre de la SF. Iel signe trois ouvrages captivants encensés par la critique…

Nous sommes un chant, et nous sommes unis. Nous nous souvenons.

Les abysses

De la science-fiction queer, enfin!

Elle n’avait l’air ni d’un homme ni d’une femme mais, s’il fallait trancher – et la plupart des gens ne pouvaient pas s’en empêcher -, on aurait décrété qu’elle était un homme, elle en était certaine.

L’incivilité des fantômes
Couverture de Sorrowland aux éditions Aux Forges de Vulcain, paru en 2022
Sorrowland ©Editions Aux Forges de Vulcain

Certes, dans les ouvrages de Solomon, on retrouve certains des schémas classiques de la Science-fiction et de la dystopie. L’héroïne de Sorrowland s’échappe d’une secte de fanatiques et sent son corps se transformer subitement. Avec Les abysses, l’écrivaine·e imagine un peuple humanoïde, les descendants des esclaves noires jetées à la mer.

Dans L’incivilité des fantômes les humains ont détruit la Terre et vivent désormais à bord d’un immense vaisseau spatial, le Matilda. Ce qu’il reste de l’humanité poursuit alors une épopée à travers l’espace en quête de la Terre Promise, sur fond de fanatisme religieux, de régime totalitaire et de ségrégationisme. 

Mais Solomon est là pour renverser les codes. Avec ses personnages non binaires, genderfluid ou hermaphrodites, et un soupçon de romance lesbienne, Solomon réinvente la notion de genre. Iel nous offre une science-fiction dépoussiérée, loin du cadre hétéronormé, où la communauté queer a (enfin !) toute sa place. 

C’est parce qu’iel connaît la discrimination et l’invisibilisation que Solomon livre avec tant de sensibilité des récits de vie aussi poignants.

 J’essaie d’être audacieux·se dans tout ce que j’écris. Si je ne me sens pas vulnérable, un peu gêné·e, et profondément inquiet.e de la façon dont les gens réagiront, alors ce que j’ai écris n’est probablement pas fidèle à mes expériences.

Rivers Solomon, dans une interview pour Pen.org

Avec un style à la fois cru et poétique, parfois avec une touche de sarcasme, l’auteur·e tisse des intrigues haletantes, et c’est tout simplement addictif. Au delà d’une écriture acérée et des personnages étonnants, une force inouïe émane de ses romans. Plus que du divertissement, ils représentent aussi un combat.

Le poids de l’histoire et la force de la colère

Avant je n’étais personne. Quand tu incarnes tous ceux qui ont vécu autrefois, quand tu existes pour tous ceux qui vivent aujourd’hui, tu n’es personne.

Les abysses

Chez Solomon, le lien entre mémoire collective et mémoire individuelle est palpable. 

Dans Les abysses, quand les Wajinrus, ce peuple des mers, se transmet son histoire, c’est en fait toute l’histoire du peuple afro-américain qu’il s’agit, l’Histoire avec un grand H. L’auteur·e montre alors l’importance de connaître ses racines, de savoir d’où l’on vient, mais aussi le poids écrasant que le passé peut avoir. 

Aster, l’héroïne de L’Incivilité des fantômes, mène quant à elle un double combat, à la fois contre le spectre du racisme et de la ségrégation qui hante le Matilda, et celui de ses propres traumatismes qui ne cesse de la poursuivre. 

Couverture de L'incivilité des fantômes aux éditions Aux Forges de Vulcain, paru en 2019
L’incivilité des Fantômes ©Editions Aux Forges de Vulcain

Les romans de Solomon sont comme un cri, un hurlement qui s’élève et qu’on ne peut ignorer. C’est celui des oublié·es, des opprimé·es.

Ses héroïnes brûlent d’une rage viscérale et n’hésitent pas à se réapproprier leur colère. L’auteur·e va jusqu’à imaginer des femmes à la fureur animale, sanguinaires, brutales et impulsives. Dans une société où la colère et l’agressivité sont perçues comme des traits masculins et où les femmes en colère sont souvent qualifiées d’hystériques, c’est une véritable bouffée d’air frais.

C’était elle qui dominait, elle était la souveraine, la reine, le seigneur de cet homme, et elle serait son bourreau.

Sorrowland

Liées par leur désir de révolte, toutes ces femmes ont en commun un parcours subversif, à contre courant de toutes les normes établies par les sociétés dans lesquelles elles ont grandi. C’est ce refus absolu de toute forme de sujétion qui les poussera à prendre tous les risques, au péril de leurs vies. Plutôt mortes que prisonnières.

Rivers Solomon lors d’une interview pour Numerama

Une dimension politique

Écris ce qui te terrifie.

Rivers Solomon dans une interview pour Penguin
Couverture de Les abysses aux éditions Aux Forges de Vulcain, paru en 2020
Les abysses ©Editions Aux Forges de Vulcain

Bien entendu, les romans de Solomon font tous référence au douloureux passé de la communauté noire. Dans Les abysses, iel fait ressurgir du passé les victimes oubliées du commerce triangulaire, ces femmes destinées à être vendues comme esclaves, jetées à la mer lors de la traversée de l’Atlantique parce qu’elles étaient enceintes. 

L’Incivilité des fantômes, nous rappelle que l’idéologie des suprémacistes blancs est loin d’appartenir au passé, le racisme et le ségrégationnisme restent présents, comme une plaie mal refermée qui refuse de cicatriser.

Chaque roman est un rappel, non seulement de l’Histoire que nous avons souvent tendance à oublier, mais aussi de ce à quoi le futur pourrait ressembler si nous ne regardons pas en arrière.

C’est pour cette raison que l’écrivain·e est souvent associé·e à l’afrofuturisme. Entre réflexion sur l’Histoire et critique dystopique, le mouvement s’interroge sur l’avenir des afro-descendants. Passé et futur se font écho, et la littérature afro-américaine imagine un avenir où les Blancs ne jouent plus le rôle principal.

À travers ses œuvres, Rivers Solomon dresse une critique habile des États-Unis, pays de la destruction et de la colonisation plus que de la liberté. Iel dénonce un système fondé sur le racisme et la bigoterie, où les individus sont les pions de leaders mégalomanes.

Les vraies libertés que ce pays protégeait étaient le droit de posséder et le droit de détruire.

Sorrowland
Rivers Solomon ©Telerama

Avec seulement trois romans, Solomon a su assurer sa place dans le monde de la S-F et faire honneur à l’afrofuturisme. Ici, on a hâte de voir ce que l’auteur·e nous réserve pour la suite!

En attendant, pour plus de lectures queer et hautes en couleurs, on vous invite à jeter un œil à notre portrait sur Gabriela Cabezon Camara 😉


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