Fin 2021, le think thank* The Shift Project faisait paraître un rapport sur l’impact environnemental du secteur culturel. S’inscrivant dans le cadre du Plan de transformation de l’économie française, le rapport Décarbonons la culture ! présente les pratiques les plus émettrices de gaz à effet de serre et les alternatives possibles pour répondre à l’urgence climatique.
La problématique environnementale est assez peu pensée dans le monde de la culture, alors même qu’il est directement concerné et pourrait représenter un moteur pour la transition d’autres secteurs.
* Un think tank est un « cercle de réflexion émanant généralement d’institutions privées, et apte à soumettre des propositions aux pouvoirs publics » (source: Larousse)
« À travers son empreinte physique, le monde de la culture est aussi responsable que vulnérable face aux bouleversements et aux transformations à venir »
Décarbonons la culture ! The Shift Project
Cinq dynamiques de transformation permettront à la culture de réduire ses émissions de gaz à effet de serre.
Relocaliser les activités
Le transport des publics, des œuvres et des professionnels est souvent la première cause des émissions de gaz à effet de serre.
Par exemple, dans le secteur du livre, la pâte à papier peut provenir d’Australie et le livre peut être imprimé en Chine, avant d’être expédié vers un distributeur en région parisienne qui l’acheminera aux points de ventes. La plupart de ces trajets se font par frets routiers et aériens qui émettent le plus.
Pour citer un autre exemple, de nombreux lieux culturels offrent la possibilité de s’alimenter, comme les cinémas ou les festivals. En faisant le choix d’une alimentation locale, ils contribueraient au secteur de l’agro-alimentaire de leur territoire et réduiraient les distances de trajet de la nourriture.
La relocalisation permettrait donc de réduire les trajets et ainsi les émissions, tout en étant un moteur de la transition locale et de la création d’emplois.
Ralentir
Le rythme de la culture s’est progressivement accéléré et les institutions se sentent obligées de suivre ce rythme pour rester pertinentes dans le cadre de la multiplication de l’offre culturelle.
Ainsi, les expositions temporaires s’enchainent dans les musées, le temps de prêt d’une œuvre étant généralement de quatre mois. Les troupes de théâtre et les groupes de musique enchainent eux aussi les dates, d’une ville à l’autre ou d’un pays à l’autre. Cela implique de nombreux trajets qui, comme nous venons de le voir, émettent énormément de gaz à effet de serre.
Des alternatives existent, comme la diffusion entre plusieurs partenaires locaux et l’augmentation du nombre de représentations dans un même lieu. La solution la plus productive en termes d’échanges et d’encouragement à la création serait d’inviter les artistes à rester plus longtemps sur un territoire (résidence) et leur offrir la possibilité d’animer des conférences et des masterclass, de collaborer avec d’autres artistes locaux, etc.
Diminuer les échelles
Une dynamique similaire à celle du rythme existe pour la taille des évènements culturels. Le rapport dénonce une « course à l’armement » entrainant une augmentation des jauges et surtout des émissions de gaz à effet de serre.
« Plus un événement culturel attire de visiteurs, plus son audience est internationale, plus sa programmation doit déployer des performances spectaculaires pour se différencier… et plus le bilan carbone s’alourdit »
Décarbonons la culture ! The Shift Project
Les festivals de musique contemporaine sont particulièrement concernés par ce phénomène. Le transport des festivaliers est le premier émetteur de gaz à effet de serre, notamment à cause du transport aérien, mais également routier.
La prise en compte du réseau de transports en commun est donc primordiale dans le choix de la localisation d’un festival. Une autre solution serait de diviser le festival en plusieurs évènements à plus petite jauge, répartis tout au long de l’année et sur tout le territoire, offrant ainsi des perspectives de tournées plus locales.
Eco-concevoir
Les professionnels de la culture sont encouragés à considérer systématiquement l’impact écologique des créations pour réfléchir à des alternatives plus soutenables, qui n’entraveraient en rien leurs ambitions artistiques.
Ainsi, les musées ou les troupes de théâtre peuvent établir un « budget carbone » pour chaque exposition temporaire ou spectacle, qui ne devra être dépassé sous aucun prétexte. Pour les aider dans cette tâche, ils peuvent faire appel à des outils d’aide à la décision calculant les émissions de chaque alternative. Ils peuvent aussi compter sur les ressourceries et recycleries pour trouver des matériaux de seconde main. Ces mêmes matériaux seront ensuite redonnés aux ressourceries pour profiter à d’autres créations.
Renoncer à certaines pratiques
Enfin, les objectifs environnementaux ne pourront être atteint sans renoncer purement et simplement à certaines pratiques.
Renoncer aux matériaux les plus polluants comme la moquette, bien souvent solution de simplicité pour les expositions temporaires. Renoncer aux dispositifs les plus énergivores comme les gros générateurs électriques à essence. Renoncer à l’amélioration constante de la qualité du streaming qui pèse sur les bandes passantes… Les solutions sont nombreuses pour peu qu’on ose les envisager.
Pour autant, chacun de ces changements doit être effectué avec précaution pour ne pas tomber dans l’excès qui détériorerait la culture :
« L’urgence doit se conjuguer avec une vision de long terme, et le « monde d’après » se heurte à trois risques : passer de la surabondance à la décroissance […], glisser de la modestie vers la moindre qualité, et basculer dans le nationalisme en perdant de vue les coopérations internationales »
Françoise Benhamou, « Crise de l’archipel culturel », Esprit, 09/2020
En résumé, pour atteindre les objectifs fixés par les Accords de Paris, le monde de la culture se doit de changer ses pratiques, en commençant par les mesures les plus rapides et faciles à mettre en place, jusqu’aux plus difficiles demandant une transformation totale des habitudes. Pour cela, il doit être guidé par des politiques publiques exigeantes et des aides à la mesure de ses ambitions. La formation des étudiants et des professionnels de la culture aux enjeux environnementaux est également un levier d’action important.
Pour consulter le rapport dans son entièreté : Décarbonons la Culture ! : le Shift publie son rapport final (theshiftproject.org)
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