Portraits d’Artistes #3 : La Compagnie Zone-poème

Pour ce troisième article des « Portraits d’Artistes », entrons dans l’univers protéiforme de Mélodie Lasselin et Simon Capelle de la compagnie Zone-poème-. Ce duo se joue des frontières, faisant de chaque espace une zone artistique, interrogeant leurs arts et bousculant le public dans ses habitudes. Leurs créations s’inscrivent dans une volonté de rencontre. Un mot qui résonne particulièrement fort en cette époque les contacts nous sont restreints.

L’Art serait « non essentiel » en cette période de crise sanitaire. La culture, on peut la retrouver éventuellement sur nos écrans d’ordinateurs, or, c’est sur scène que le spectacle vivant  se ressent le mieux. A’ une période où les feux des projecteurs sont éteints, mettons en lumière les femmes et les hommes, qui, un jour, ont décidé de faire de la scène leur métier.

Parcours et rencontre

Il y a une dizaine d’année, Mélodie et Simon se rencontrent sur scène, dans une création de Nicolas Genestin, de la Cie Talus. Mues par l’envie de travailler ensemble, ils décident, en 2016, de créer leur propre compagnie, Zone-poème-.

« La compagnie est née du désir de s’interroger sur les frontières, poreuses, entre les pratiques (la danse, le texte) et de creuser la question de la présence sur scène. La zone n’est pas un territoire défini , mais un espace en construction, qui se nourrit des rencontres et qui est toujours en recherche. »

Simon Capelle

Mélodie Lasselin est danseuse et chorégraphe. Elle se forme au Ballet du Nord, à Roubaix, puis part en Suisse et rejoint ensuite le jeune ballet de Cannes. Elle commence à travailler en Allemagne et créé ses propres chorégraphies. On la retrouve également dans différents spectacles au Mexique, à Cuba, en Espagne, etc. En France, elle enseigne la danse et participe aux créations de Karima Mansour et Germaine Acogny, entre autres. Ses différentes expériences la rapprochent de plus en plus du théâtre.

Quant à Simon Capelle, enfant, il se forme à la danse et à la musique. À la fac, il découvre le théâtre, c’est une révélation. Il obtient un Master d’études Théâtrales et un Master de Lettres, à Lille. Il se forme comme comédien à le Biennale College Teatro de Venise, auprès de grands metteurs en scène comme Wadji Mouawad ou Mark Ravenhill, qui lui ouvrent d’autres perspectives. Il travaille par la suite avec plusieurs compagnies du nord de la France (Cie Talus, Cie Maskantête, collectif des Mobiles Hommes). En tant qu’auteur, il a publié plusieurs pièces de théâtre et un roman.

La Cie Zone-poème- est un espace en création qui s’expérimente. Leurs créations se rapprochent de la performance, comme une proposition toujours unique et mouvante.

Mélodie et Simon s’entourent d’artistes qui eux aussi ont plusieurs compétences (Baptiste Legros, comédien, musicien et compositeur; Martina Pozzan, scénographe et photographe, et d’autres).

Leur premier spectacle, « Oracle », voit le jour en 2018. Aujourd’hui soutenu par Le Gymnase CDNC de Roubaix et la compagnie de l’Oiseau-Mouche où ils sont artistes associés, le duo travaille de nouveau sur ce projet en vue de nouvelles représentations.

Oracle, rencontre avec le public

Oracle, c’est la pièce manifeste de la Cie. C’est un solo écrit par Simon et chorégraphié et  interprété par Mélodie. Comme souvent dans leurs créations, il est ici question du langage. La Cie interroge ce que cette parole permet ou ne permet pas et ce qu’elle peut provoquer comme changement dans le monde.

Le spectacle s’inspire du mythe de la Pythie. Dans la Grèce antique, la Pythie était une jeune femme, vierge, désignée par la Cité, qui délivrait les messages des Dieux, en réponse aux questions qui lui sont posés. Ces messages appelés oracles étaient ensuite interprétés par des prêtres. 

Le texte est un manifeste politique sur le féminisme et les violences faites aux femmes. Il propose la possibilité de réparation dans un monde incertain où les blessures sont encore vivaces. Le spectacle souhaite questionner comment la parole donnée conditionne nos comportements et nos pensées. Une question est posée aux spectateur.trice.s, ils sont invités à prendre position. Ainsi, le public est placé comme acteur.trice du spectacle.

Fidèle à leur principe de mélange des pratiques artistiques, des vidéos accompagnent la danseuse dans sa prophétie. Durant la représentation sont développés des photographies de papiers photosensibles. Le duo travaille toujours en relation avec son époque. En 3 ans, le texte a changé et il sera amené, sans doute, à bouger si il est joué encore dans 10 ans.

Tout leur processus de création démarrent en extérieur, et, pour Oracle, ils sont allés visiter  les sites ou se produisaient ces rituels en Grèce. Dès  ses prémices, la compagnie, investit  l’espace public, démystifiant ainsi l’idée qu’il faudrait être sur une scène de théâtre pour faire acte artistique.

Quand l’art s’invite dans la rue

Dans la performance Miracle, qui fut jouée sur différentes places d’Europe, Mélodie et Simon se font face pendant une heure, en s’avançant l’un vers l’autre, très lentement. Au bout d’une heure, chacun va écrire sur ce qu’il/elle a ressenti durant la performance et conclut l’expérience. Cette création a été pensée peu de temps après les attentats de 2015 en France. Ces événements ont impacté profondément la population et l’espace public a été modifié. Durant cette performance, le comportement peut-être très différents d’un passant à un autre. Par exemple, certain.e.s s’arrêtent attendant que quelque chose se passe. Ils attendent un miracle, comme nous attendons dans la vie qu’un événement soudain surgisse.

Une autre performance fut initiée par le duo juste après le premier confinement, les 11 et 12 Mai 2020. Elle s’intitule Révolution. Durant 36h, plusieurs personnes se sont relayées sur la Grand Place, à Lille. Durant 30 minutes, deux personnes se font face, l’une s’en va, l’autre prend la place de celui/celle qui s’en va et fait face à une nouvelle personne, de nouveau pour 30 minutes, et ainsi de suite. L’idée était de se réapproprier l’espace public, de pouvoir se rencontrer à nouveau à travers une expérience intense et ainsi créer une œuvre commune.

Réalisation: Sofian Hamadaïne-Guest

L’espace public, la ville, les gens qui y vivent, sont autant d’éléments inspirants pour les futures performances qui composent le projet Barbare.

Barbare (Europpean Museum of translation) Zone XIV,

La barbarie est opposée à la culture, c’est ce qui sort du cadre. Le barbare est celui qui nous est étranger.

« Barbare interroge la question de la frontière et plus particulièrement de la frontière avec l’autre et comment est-ce qu’on construit cette relation avec cet autre. »

Simon Capelle

L’union européenne c’est 28 pays et autant de langues et de cultures différentes. Qu’est-ce qui nous lie ? Qu’est ce qui nous sépare ? Et comment notre culture influence notre vision d’un pays ? En partant de ces questions, Mélodie et Simon souhaitent monter comment la rencontre, la relation à l’autre peut-être malgré tout possible.

« Barbare » est une performance en 28 épisodes. Chaque épisode représente un pays, dure environ 20 minutes et peut prendre plusieurs formes (installation plastique, concert, danse, théâtre, film….). Ce qui est primordial pour Mélodie et Simon, c’est de ne surtout pas se répéter d’une performance à l’autre.

Dans l’esprit des « grands voyages » qu’effectuaient les philosophes du XVI et du XVII ème siècle, à travers l’Europe, le duo parcoure des pays et s’arrête dans les capitales. Ils y séjournent quelques jours puis écrivent à partir de leurs perceptions de la ville, du pays et aussi à partir des rencontres. En quelques instants, qu’est-ce que « je » vais percevoir de ce monde étranger avec les clichés que j’ai en tant que français.e ? Ils ne cherchent pas à faire une carte d’identité pour chaque pays, mais à se nourrir de leurs ressentis et à rendre compte, de manière subjective, de comment la culture peut-être une source pacificatrice et comment elle peut être source de violence (dans le rejet de l’autre par exemple et la façon dont l’Europe traite les migrants).

L’installation Danmark illustre bien cette réflexion sur les frontières. Que ce soit la frontière entre les zones et la frontière avec l’autre . Sur une table, dans un design qui rappelle celui des pays scandinaves, sont posés deux écrans qui se font face. On peut y voir des images avec  Mélodie dans l’un et Simon dans l’autre. La table est une sorte de passerelle entre les deux.

Comment faire pour combiner ces deux entités? Là aussi, le.la spectateur.trice doit se questionner, bouger autour de cette table pour voir l’un, sans quitter des yeux l’autre. C’est un travail autour du visage, ce visage sur lequel on peut s’attarder, qui est notre premier accès à l’autre ou vis à vis duquel on peut passer sans vraiment le regarder.

Comme dans tous les épisodes de Barbare, une voix-off accompagne la création. Ici, la voix-off en danois nous dit que les sans-abris doivent payer une taxe pour pouvoir mendier. Cette information violente nous met face au cliché (erroné ou pas) que nous pouvons avoir du Danemark, celui d’un pays bienveillant où il fait bon vivre.

Artistes Colibri

Pour cette saison 2020/2021, Mélodie et Simon sont « artistes colibris »  à la Compagnie de l’Oiseau-Mouche, à Roubaix. C’est à dire qu’ils sont artistes associés de la compagnie. Le nom « colibris » est donné par la directrice, madame Léonor Baudouin, en référence au nom de la compagnie roubaisienne.

Ils répètent et jouent à l’oiseau-mouche. Ils travaillent aussi avec ses comédien.ne.s , qui sont des artistes en situation de handicap mental. Ils créés avec eux.elles, à partir des écrits que l’auteur Antonin Artaud a produit durant son voyage en Irlande en août et septembre 1937.

« L’endroit correspond bien à notre travail, car il y beaucoup d’espaces différentes dans un même lieu (ESAT, restaurant, salle de spectacle…) c’est un lieu ouvert ou beaucoup de gens se croisent.« 

Simon Capelle
Prise vue lors d’un workshop du spectacle Prophéties avec les comédien.ne.s de la cie de L’Oiseau-Mouche,
crédit photo: Compagnie de l’Oiseau-Mouche

Là aussi, le projet se teinte d’une couleur européenne. En effet, la Cie de l’Oiseau-Mouche est en lien avec la Compagnie Blue Tapot, située à Galway. Le hasard faisant bien les choses, Galway est une des villes où Antonin Artaud a séjourné durant son voyage en Irlande. En octobre 2021, Simon et Mélodie iront en Irlande et travailleront avec 4 comédien.nes de l’ oiseau-mouche, 4 comédien.nes polonais.e.s et 4 irlandais.e.s pour proposer un nouveau workshop sur ce projet.

En parallèle, tous les deux mènent des ateliers de pratiques amateurs en danse et théâtre, qui aboutissent toujours sur des créations en fin d’année. Pour eux, c’est un outil de recherche, qui leur permet d’apprendre à transmettre à des gens dont ce n’est pas le métier. 

En conclusion, quelles réflexions pour la culture de demain? Le duo considère que la culture ne doit pas être pensée comme un produit culturel. Notre corps n’est pas juste un corps de consommation, c’est aussi un corps de pensées, d’imaginaires, de sensations et le théâtre est un lieu où ce corps pense, vit et expérimente la relation au monde et aux autres. La Cie Zone-poème- prône un modèle de lieu culturel ouvert, permettant au public d’assister au processus de création. En somme, un lieu de rencontre dans lequel différents espaces et réflexions sont possibles. Quand les lieux culturels ré-ouvririont, on espère pouvoir toutes et tous se retrouver pour s’écouter, débattre, échanger et éprouver ensemble des émotions.

Les liens de la compagnie Zone-poème :


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