A l’heure où une menace sanitaire s’élève au-dessus des humains, questionner le lien entre nature et culture peut représenter un intérêt. Voici quelques exemples de discours écologistes dans l’art qui ouvrent des réflexions sur nos modes de vie.
La protection des écosystèmes est aujourd’hui un impératif pour la survie de l’espèce humaine. Autrement dit, l’humanité est dépendante de la bonne santé de sa maison, la Terre. Néanmoins, ce constat est encore loin d’être sur toutes les bouches; nombreux sont les climats-sceptiques, même au sein des gouvernements de pays développés. Dans le secteur qui nous intéresse, la culture, certains artistes se réclament de pensées écologistes radicales lorsqu’ils créent. Le Cerf Volant s’est donc intéressé à celles et ceux qui pratiquent l’art dit « anthropocène ».
La Nature n’existe pas car tout est « connexion »
Cet adjectif, « anthropocène », est emprunté au vocabulaire scientifique (suite à un congrès réunit en 2012). Il s’agit d’une nouvelle ère géologique dans laquelle l’Homme est devenu une force laissant son empreinte sur la croûte terrestre : les matériaux fabriqués par l’Homme forment une couche sur la surface de la Terre, depuis 10 000 ans avant notre ère (lorsque l’humanité se sédentarise grâce à l’agriculture), et cette couche a atteint son stade critique en 1945.
Suite à ses constats, de nombreux penseurs et artistes se sont mis à créer, à produire encore davantage de matière pour notre réflexion et notre force d’agissement. Car oui, nous ne sommes pas impuissants.
Timothy Morton publia en 2010, La Pensée écologique, ouvrage qui fait passer la vision écologiste connue jusqu’alors comme bien démodée. C’est d’ailleurs pour cela que Morton a, dans un premier temps, été considéré comme bien trop original pour être pris au sérieux, aujourd’hui, il fait figure de référence dans bien des études en sciences sociales.
« Tout est interconnecté avec tout »
Timothy Morton
Le philosophe déconstruit l’écologie théorisée jusque là. Selon lui, l’écologie est histoire de coexistence, d’interconnexion entre chaque élément vivant, humain et non-humain. Cette interconnexion va bien au-delà de l’homme.
Morton nous parle également d’économie en mettant à terre le capitalisme: « Étant donné que la prétendue main invisible du marché “décide” des solutions à adopter au moment même où elle conduit les choses à leur perte, le temps que le marché “résolve tout”, il n’y aura plus rien à résoudre (…) Le réchauffement climatique est le symptôme que le capitalisme mondial ne peut plus maîtriser. ».
L’art, ce lieu de la rencontre, de connexion
Cette vision a conquis de nombreuses personnes, dont des artistes, qui sont particulièrement engagés. La musicienne Björk a collaboré avec celui qui est maintenant son ami, le fameux Timothy Morton.
En 2015, c’est à l’occasion d’une exposition d’œuvres multi-médium (films, instruments, objets, costumes etc.) de l’artiste, au musée d’art moderne de New York (MOMA), que furent rendus publiques ses échanges e-mail avec le philosophe. Leur dialogue, engagé par Björk, avait pour but de parvenir à mettre des mots et concepts sur le rapport que l’artiste entretient avec la nature, avec ses origines islandaises… Cet échange peut être retrouvé sur Dazed.
« Last year i reached out to the philosopher timothy morton to see if he would be interested to start a dialogue with me, to search for a definition of me and my friends’ stance in this world, which i felt his writing came very close to already. Of course i’m still searching but this email chat of ours got pretty close and we shared a couple of coordinates trying to define what “ism” a pop musician from Iceland would be »
Björk
Dans le média canadien La Presse on peut lire : « C’est d’une chanson de Björk, Hyperballad, qu’il s’est inspiré pour développer son concept d’hyperobjet. Timothy Morton mélange allègrement la poésie, l’architecture, la métaphysique, le bouddhisme et l’écothéorie dans ses essais qui révolutionnent notre façon de voir la crise écologique et, plus globalement, la biosphère. » Ainsi, Morton nous montre qu’il est impératif et urgent de modifier notre vision du vivant.
« Refaçonner notre monde, nos problèmes et nous-mêmes, voilà qui fait partie du projet écologique. »
Timothy Morton
D’autres exemples d’artistes anthropocènes
Ana Mendieta, éloge à Mère Nature
Les premières à avoir établi un lien entre nature et culture sont sûrement les éco-féministes. En effet, ces personnes affirment que destruction des espaces naturels et oppression des femmes ont la même origine, le patriarcat.
Parmi les artistes pionnières se réclamant de cette pensée, ont peut citer la cubaine Ana Mendieta avec son œuvre « Earth body » dans les années 70.
Séparée de sa famille cubaine pour aller vivre aux Etats-Unis très tôt dans sa vie, Ana devint artiste et ressent le besoin de travailler plusieurs problématiques. Au centre de son travail se trouve les questions d’identité, de genre, d’appartenance géographique et de filiation. Ainsi, en tant que figure prégnante d’autres mouvements artistiques tels que le body art ou le land art (via la sculpture, la performance, la peinture etc), son souhait fut de représenter la connexion entre l’humain et son environnement naturel, tel un hommage à « Mère Nature ».
Mary Beth Edelson, divinité de la nature
Mary Beth Edelson est une artiste américaine, appartenant au premier courant des artistes féministes. A la fois photographe, peintre, perforeuse, faisant autant du collage que de l’impression, elle innova au service de messages engagés, dénonçant les inégalités sexistes sévissants de son temps.
Inspirée par Edouard Manet, Henri Matisse et Paul Cézanne, Mary Beth Edelson utilisait son corps nu pour incarner des déesses néo-paiennes. Dans un premier temps, dans les années 60, elle effectua le portrait de mères avec leurs enfants. On connaît ensuite ses performances, effectuées suite à ses études supérieures en philosophie et psychologie, dans les années 70. C’est surtout à partir de cette période que débutèrent ses travaux engagés dans la lutte contre le patriarcat.
L’héritière, Tina Tarpgaard
Chorégraphe danoise, Tina Tarpgaard part du principe que nous avons séparé nature et culture dans notre acception actuelle du monde. Ainsi existe une division entre l’espèce humaine et toute autre être vivant sur Terre, ce pour le meilleur et pour le pire (en se percevant soit comme supérieur au reste en l’exploitant soit comme inférieur et respectueux). Pour elle cette vision est totalement erronée, nous ne sommes pas divisés, nous sommes dans un écosystème où tout vivant a sa place et se trouve être l’égal de son prochain.
A travers ses performance Tina entend permettre au spectateur de percevoir plus concrètement ce rapport au monde et également mettre en scène l’extinction annoncée de l’espère humaine. C’est le cas dans sa performance « Mass-bloom explorations » durant laquelle elle partage pendant 6 jours, 7 heures par jour, un espace exigu avec des milliers de vers de farine. « Souvent utilisé comme appas ou nourriture pour les oiseaux, ces vers sont aussi connu pour leur capacité à manger le polystyrène; ils ont ainsi une meilleure chance de survie que l’espère humaine face à la catastrophe écologique qui menace notre planète.« (extrait de l’émission Tracks, Arte, lien plus bas).
L’art anthropocène vient ainsi révéler ou renforcer le constat selon lequel notre condition humaine n’est pas gage de protection indéfinie. Autrement dit, nous sommes hébergés et partie prenante d’un ensemble. L’art qualifié d’anthropocène nous donne l’occasion de comprendre la coexistence entre l’Humanité et son environnement naturel.
En espérant que ce sujet vous aura inspirés, nourris, pour des réflexions artistiques encore plus colorées…et engagées.
Pour aller plus loin encore, cet épisode Tracks. Aussi, un projet d’envergure.
Image de couverture : Anthropocène de Jérémy Gobé à la Fondation Bullukian (Lyon). Photo : Jean-Pierre Dalbéra
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